mercredi 23 novembre 2011

Le juif errant est arrivé - nouvelle mouture



Partis invités à passer Shabbat au nouveau domicile d’un vieil ami du kibboutz, je me préparais à trouver à Kfar Guideon un paysage connu. Ce petit mochav aux alentours d’Afoula ne me paraissait pas pouvoir réserver des surprises, à peu près certain que j’étais d’y trouver du connu, du familier, ce que j’ai déjà trouvé dans maints kibboutzim ou mochavims, une sorte de réplique du kibboutz d’où lui est issu, l’équivalent de ce que Nov, Ein Tsourim, Almog ou Retamim ont à montrer. L’un est plus religieux, le deuxième un peu plus grand, le troisième mieux entretenu, certains sont en paysage désertique, d’autres dans la verdure, mais au total ils se ressemblent tous.
Arrivée juste avant l’entrée de Shabbat (qui commence déjà à 4h de l’après midi, à peine un mois après s’être séparés de l’été !), sous un ciel de plomb, avec une pluie qui ne nous a pas lâchés depuis Jérusalem, donc sans avoir vraiment vu de paysage.
Un tout petit endroit, à la « Nothing Gulch », une seule rue perpendiculaire à l’axe Nazareth-Afoula qui a impitoyablement coupé la localité en deux quand il a été upgradé à quatre voies. Vert mais sans épater. Simple. Petites maisons sans faste. Quelques oies, quelques chiens, boue. Autour, quelques collines timides, celles de la basse Galilée, antichambre des vrais paysages typés et découpés du nord du pays. Autour de nous, presque à portée de pas, quelques noms célèbres (Nahalal) ou glorieux (Balfouria), des kibboutzims des premiers pionniers, de la non moins millénairement célèbre Nazareth, Afoula. Champs de brocolis et de betteraves. Eclairages bouchés ce jour, étouffés par ce temps pluvieux, un peu surprenant dans son intensité, inhabituel pour une mi novembre.

On s’installe et se change rapidement, et la première étape du shabbat est sans surprise la synagogue. Le copain me prépare mais en fait si discrètement que je ne le sens pas arriver. « Il y a tous les styles, tu verras », me dit-il…peut-être pour que le style que je vais trouver me soit moins un choc.

Tous les styles…Les Carpates ou le fond de la Pologne et de la Hongrie en Galilée ! voilà les styles. Le choix est entre shtreimel coupé droit ou arrondi. Entre caftan uni ou surpiqué. Entre pantalon ou bas blancs.
Le shteitl en pleine campagne ! la rue Pavée au milieu des champs. Des champs de Galilée.
A Kfar Guideon, on prononce la prière comme mon grand-père s’efforçait de ne plus prononcer tant ma grand-mère lui soulignait l’anachronisme de ce judaïsme archaïque au milieu duquel ils avaient grandi.
Pas l’accent ashkenaze timide des alsaciens. Le vrai yiddish de mon enfance. Celui dans lequel les « ou » se disent « i », les « a », « ouï ».
Le rav de kfar Guideon n’est pas vieux, mais il a l’ancienneté et reçoit les égards du « Rouv ». Celui qui est le chef de file, quand il parle, et aussi quand il ne parle pas. Celui qu’on ne saurait ne pas aller cérémonieusement saluer avant de quitter les lieux, mais qui l’a mérité, s’étant levé à l’arrivée du visage inconnu et s’étant préoccupé de m’installer au meilleur endroit.
De Kfar Guideon on a vue sur La colline de Nazareth où le pape a dit une messe lors de son dernier passage, mais ce qui est resté ineffaçable dans les mémoires d'ici, c’est que le Satmer Rebbe est venu il y a maintenant plus de trente ou quarante ans. On imagine, que dis-je, on sent encore la liesse locale avec laquelle l’arrivée du guide vénérable avait été fêtée !
L’ambiance de ce village aurait probablement réconcilié Albert Londres avec le shtetl. On y est chaleureusement accueilli, et regardé, même quand on a l’air d’un extra terrestre, et on s’y sent étonnamment bien. Que ces yids parlent le français ne m’étonnait pas, jadis, à Paris. Ils avaient si peu l’air parisiens que leur accent ne rajoutait plus rien. On le pressentait avant même qu’ils n’ouvrissent la bouche. Que ces « frime yids » du fond de la Galilée parlent entre leurs prières le vrai hébreu de la rue ajoute encore à l’anachronisme d’une situation, dont la séouda chlichit a été l’apothéose.
Elle se prend ici à la bière, au hareng et au kigel, autour du rav, qui laisse d’abord la parole à un autre vénérable, avant de redonner à l’assistance un ultime épisode de captivation et d’émerveillement religieux, afin de pouvoir repartir pour toute une semaine.
Ces gens de la campagne n’en sont apparemment qu’à leurs heures de loisirs. Quand ils reviennent de leur fonction qui de surveillant de cacheroute, qui de choh’et’, qui d’enseignant, autant d’activités qui les mènent aux quatre coins du pays , quand ce n’est pas du globe.
A la différence de ceux des villes en Israël, qui méprisent ceux qui s’octroient la liberté de travailler au lieu de se consacrer entièrement à la Torah, ceux-ci paraissent tous actifs.
De vrais survivants d’un autre monde.
Pour moi, qui ai ma famille israélienne à 1 km à vol d’oiseau, dans un des kibboutzims les plus anti religieux des débuts du pays, je vis un véritable grand écart identitaire.
Je me remémore ma première visite à Sarid, quand Aminadav nous racontait la géographie et l’histoire de la région, quand il nous emmenait à Migdal Haemek ou à Nazareth déguster un vrai houmouss arabe aspergé d’huile et de coriandre et entouré de toutes petites olives vertes (les « syriennes ») marinées au citron. Il ne mentionnait pas Kfar Guideon ! qui existait pourtant aussi déjà, mais qui ne faisait certainement pas partie de son paysage idéologico-culturel, lui premier enfant d’un kibboutz où les rabbins n’avaient pas le droit de rentrer….
Retrouver dans ses extrêmes toute mon ascendance de Galicie regroupée sur 10 kms carrés de Galilée, voilà bien ce à quoi je ne m’attendais pas ! Un fameux shabbat !