Les souvenirs les plus immédiats qu'évoque en moi ma
scolarité à l'école « La Fontaine » de Wissous ne sont guère
brillants. Je me souviens surtout d'avoir ressenti de la fierté à avoir passé
deux ans dans la classe de madame Simi sans recevoir même une seule gifle, et
je me souviens de ce directeur dont je tairai ici le nom par considération pour
ses enfants, qui liront peut-être ces lignes, pour sa triste spécialité dans
mon souvenir, celle d'attraper les garçons par les quelques cheveux de devant
l'oreille. La grimace de l'élève ainsi tenu ne laissait pas d'ambiguïté sur la
douleur que celui-ci ressentait. L'enseignant, lui, n'avait pas mal. Deux
enseignants qui auront surtout laissé en moi le souvenir de leur sadisme, mais,
peut-être pire encore, n'auront laissé en moi aucun souvenir d'un quelconque
enseignement qu'ils eurent dû me laisser.
Triste constat.
A quoi aspirent l'instituteur moyen, le professeur de
collège, ou de lycée ? Cherche-t-il à déceler parmi ses élèves qui est promis à
un brillant avenir ? Aspire-t-il à faire atteindre aux autres le maximum de
leurs possibilités ? A-t-il un projet éducatif ? Certains livres, ou
films, décrivent de telles situations, racontent quelques vocations incarnées
chez tel ou telle jeune enseignant/e.
Je ne crois malheureusement pas que les enseignants que
je côtoyai - finalement énormément de temps - cinq jours par semaine, neuf mois
par an, se soient élevés même à réfléchir une fois à de tels thèmes.
Me reste de l'école le vif souvenir des accessoires,
encrier, ardoise, table à deux places avec banc incorporé et système
d'accrochage du cartable, tableau, craie, carte de France au mur mais dans sa
version authentique, tenue soigneusement roulée dans le porte cartes jusqu'au
moment où elle était cérémonieusement déroulėe et accrochée au tableau.
Et le souvenir des ordres lancés par l'adjudant de
service, ou la dictée quotidienne -ou presque - durant laquelle il se promenait
dans les rangs d'un air soupçonneux.
Vraisemblablement la cour, avec le foot, occupaient une
bien plus grande place en moi, mais demeure floue la raison de telles
répartitions d'investissements ? Comme on dit en hébreu, on peut faire tel ou
tel choix par attraction, ou par répulsion de son contraire. On peut aimer la
cour pour la cour, pour ses jeux, son activité, ou parce qu'elle est le moment
où on est libéré de la phase dite d'enseignement.
Étais-je d'emblée programmé à étudier sans effort, à être
très porté sur la vie sociale, à avoir de l'énergie à brûler en quantités
industrielles, et donc à être beaucoup plus porté sur la récréation et la
sortie de l'école ? Ou la piètre qualité des enseignants, et donc du système
scolaire dont la France et les français sont tellement fiers est-elle la cause
de telles orientations d'esprit ?
Ai-je préféré la récréation en tant qu'elle-même ? Ou en
tant que refuge ? En tant que permettant d'échapper à la routine scolaire ?
J'ai quelques souvenirs diffus de quelques résumés de nos
livres de classe, j'ai quelques souvenirs écrans de quelques dates, de quelques
récitations, de quelques fables qu'il fallait savoir par coeur, mais je crains
que cela n'aille pas plus loin.
J'ai probablement appris le calcul, l'orthographe et la
grammaire, si je juge aux résultats, mais je crains que l'école n'ait été pour
cela que le lieu de mise en pratique de capacités qui étaient miennes, et qui
étaient par ailleurs encouragées par la maison.
Je me souviens de notre professeur de maths au lycée, en
classe de 1ère, dont le principal effet avait eu de me persuader que j'étais
nul en maths, ce qui pour elle n'était que la preuve que je devais être nul,
point. Je me souviens de ce professeur de physique que j'avais en terminale et
qui prenait visiblement plaisir à amener l'élève qu'il y avait fait venir, à
donner à un moment ou à un autre la réponse : "zéro", ce qui lui
permettait de répondre d'un ton mielleux : " c'est votre note
?".
Je crains de ne décrire ici sinon tout un système
scolaire érigé sur le sadisme, au moins un système dans lequel le bien être de
l'élève n'est en aucun cas de la préoccupation de l'enseignant.
On disait en riant que l'enseignant moyen avait - à cette
époque où la rentrée scolaire était le 15 septembre - trois motivations à
l'exercice de sa profession : juillet, août et septembre. Je ne sais pas
combien il s'agit d'une blague.
Combien d'enseignants auraient-ils fait leur le principe
lévinassien du dialogue éthique, en vertu duquel je suis responsable de ce
qu'entend mon interlocuteur ? En vertu duquel sa motivation, son image de
lui-même, ses résultats dépendent énormément de mon attitude, moi l'enseignant,
à son égard ?
Je crains que monsieur Barbier, notre malheureux
professeur de latin de 4ème, n'ait souffert de son métier et de ses élèves de
telle manière que sa carrière - sa vie ? - n'a pu que lui être un enfer. Je
suis très triste qu'une telle situation se soit produite, je suis même confus
d'avoir apporté ma - minime -contribution à cet enfer, mais je plaide non
coupable.
J'avais 13 ans et ne faisais que "subir" ce
non-enseignement. Où - par contre - étaient l'administration, l'inspection, les
services psychologiques attenants au système scolaire ? Je crains qu'il n'aient
été nulle part.
Il faut quand même rappeler quelques souvenirs positifs,
quelques enseignants dont je garde un plutôt bon souvenir, telle Mme Colmez,
mme Cagnon, mon professeur de français de classe de Seconde dont le nom ne me
revient malheureusement pas et qui nous parlait de Camus avec émotion.
En ce qui concerne l'école primaire, il semblait que
Wissous s'enorgueillait de cette école Jean de La Fontaine, dont le souvenir
qu'il m'en reste est effectivement d'un lieu esthétique et neuf.
Je me souviens
qu'au début de ma scolaritė, il y avait encore un champ en face de l'école,
au-delà du trottoir du "chemin de la Vallée", sur lequel passait
l'autobus 297 sur son trajet retour vers Paris. J'ai quelques souvenirs diffus
de batailles d'épis, ou de paille dans ce champ, probablement après la moisson,
mais cela a forcément dû se produire...après la moisson , c'est à dire l'été,
bien après le début des grandes vacances. Je me souviens aussi d'avoir été
attristé de la construction d'une éspèce de hangar à la place de ce champ,
quelques annėes plus tard.
J'ai aussi comme le souvenir d'un match de football dans
la cour de récréation, comme il y en avait tous les jours, mais alors que
j'avais la jambe dans le plâtre, et que je jouais quand même, malgré les
reproches des enfants autour de moi. Je m'ėtais cassé la jambe en essayant une
manoeuvre avec un ballon à moitié dégonflė sur lequel je trébûchai et me
fracturai le peronné. Cela se passait à La Troche, peu avant la rentrėe et bien
que plâtré pour un mois, je ne supportai visiblement pas d'attendre le retour à
la normale et me livrai à l'activité principale de ma scolarité dans le déni le
plus total de ma condition, mais, encore une fois, sans qu'aucun enseignant ne
soit intervenu, se soit préoccupé de quoi que ce soit en relation avec cette
situation.
En ce qui concerne ma scolarité des premier et second
cycle, l'essentiel des souvenirs est résolument extra scolaire, les amitiés et
les premières amours tenant le devant de la scène, l'éveil à la conscience
sociale et politique, le second plan.
Il semble que j'ai bėnéficié d'un très bon et chaleureux
enseignement à l'école maternelle, où Mme Lopata vouait un véritable interêt à
ses élèves. Et je n'ai retrouvé cela que 12 ans plus tard, chez mon professeur
de maths de Terminale, mr Jollis, qui arborait fièrement au revers de son
veston des palmes académiques qui ne lui avaient pas été remises vainement.
Ces deux dernièrs auront probablement été les deux seuls
enseignants qui m'ont communiqué ce qui ressemblait à un goût pour la
profession.
C'est un goût dont j'ai l'intense satisfaction de pouvoir
dire que je l'ai eu et longtemps, en bouche et ailleurs. Surtout ailleurs en
vérité, car il n'est pas ici question de palais, mais d'échange. De situation
où celui qui reçoit est celui qui donne. Il ne reçoit pas une quelconque
monnaie de pièce par lui donnée, mais il reste enrichi de ce qu'a laissé en
lui, pour la vie souvent, celui ou celle qu'il a côtoyé du fait de cette
situation d'enseignement.
Dans un autre texte j'expliquerai en quoi ce thème me parait
être le thème central du livre du Deutéronome, appelé en hébreu "les
paroles", le thème de la si particulière résonance que le face à face
d'enseignement procure à la parole.
Aussi profond que je puisse fouiller, et malgré le titre
donné à ce post, je ne parviens pas à trouver ni à l'école « La Fontaine »,
ni au lycée d'Antony, de quelconques sources de ce qui fit de moi un
enseignant. Il me faut donc les chercher ailleurs. J’ai quelques
hypothèses, certaines remontant à des expériences positives, aux Eis où j’eus
la première occasion de devoir « éduquer » (même si le mot est
peut-être fort)
, ou lors de mises en situation précoces, d’autres rattachées a
contrario à cette critique - si ce n’est
cette révolte - que ce système scolaire éveilla en moi. Le total additionné de
toutes ces sources, négatives et positives, ferait-il huit ?