mercredi 31 juillet 2013

Huit sources d'une carrière d'enseignant.



Les souvenirs les plus immédiats qu'évoque en moi ma scolarité à l'école « La Fontaine » de Wissous ne sont guère brillants. Je me souviens surtout d'avoir ressenti de la fierté à avoir passé deux ans dans la classe de madame Simi sans recevoir même une seule gifle, et je me souviens de ce directeur dont je tairai ici le nom par considération pour ses enfants, qui liront peut-être ces lignes, pour sa triste spécialité dans mon souvenir, celle d'attraper les garçons par les quelques cheveux de devant l'oreille. La grimace de l'élève ainsi tenu ne laissait pas d'ambiguïté sur la douleur que celui-ci ressentait. L'enseignant, lui, n'avait pas mal. Deux enseignants qui auront surtout laissé en moi le souvenir de leur sadisme, mais, peut-être pire encore, n'auront laissé en moi aucun souvenir d'un quelconque enseignement qu'ils eurent dû me laisser.

Triste constat. 

A quoi aspirent l'instituteur moyen, le professeur de collège, ou de lycée ? Cherche-t-il à déceler parmi ses élèves qui est promis à un brillant avenir ? Aspire-t-il à faire atteindre aux autres le maximum de leurs possibilités ? A-t-il un projet éducatif ?  Certains livres, ou films, décrivent de telles situations, racontent quelques vocations incarnées chez tel ou telle jeune enseignant/e.

Je ne crois malheureusement pas que les enseignants que je côtoyai - finalement énormément de temps - cinq jours par semaine, neuf mois par an, se soient élevés même à réfléchir une fois à de tels thèmes.

Me reste de l'école le vif souvenir des accessoires, encrier, ardoise, table à deux places avec banc incorporé et système d'accrochage du cartable, tableau, craie, carte de France au mur mais dans sa version authentique, tenue soigneusement roulée dans le porte cartes jusqu'au moment où elle était cérémonieusement déroulėe et accrochée au tableau. 

Et le souvenir des ordres lancés par l'adjudant de service, ou la dictée quotidienne -ou presque - durant laquelle il se promenait dans les rangs d'un air soupçonneux.

Vraisemblablement la cour, avec le foot, occupaient une bien plus grande place en moi, mais demeure floue la raison de telles répartitions d'investissements ? Comme on dit en hébreu, on peut faire tel ou tel choix par attraction, ou par répulsion de son contraire. On peut aimer la cour pour la cour, pour ses jeux, son activité, ou parce qu'elle est le moment où on est libéré de la phase dite d'enseignement.

Étais-je d'emblée programmé à étudier sans effort, à être très porté sur la vie sociale, à avoir de l'énergie à brûler en quantités industrielles, et donc à être beaucoup plus porté sur la récréation et la sortie de l'école ? Ou la piètre qualité des enseignants, et donc du système scolaire dont la France et les français sont tellement fiers est-elle la cause de telles orientations d'esprit ?

Ai-je préféré la récréation en tant qu'elle-même ? Ou en tant que refuge ? En tant que permettant d'échapper à la routine scolaire ?

J'ai quelques souvenirs diffus de quelques résumés de nos livres de classe, j'ai quelques souvenirs écrans de quelques dates, de quelques récitations, de quelques fables qu'il fallait savoir par coeur, mais je crains que cela n'aille pas plus loin. 

J'ai probablement appris le calcul, l'orthographe et la grammaire, si je juge aux résultats, mais je crains que l'école n'ait été pour cela que le lieu de mise en pratique de capacités qui étaient miennes, et qui étaient par ailleurs encouragées par la maison.

Je me souviens de notre professeur de maths au lycée, en classe de 1ère, dont le principal effet avait eu de me persuader que j'étais nul en maths, ce qui pour elle n'était que la preuve que je devais être nul, point. Je me souviens de ce professeur de physique que j'avais en terminale et qui prenait visiblement plaisir à amener l'élève qu'il y avait fait venir, à donner à un moment ou à un autre la réponse : "zéro", ce qui lui permettait de répondre d'un ton mielleux : " c'est votre note ?". 

Je crains de ne décrire ici  sinon tout un système scolaire érigé sur le sadisme, au moins un système dans lequel le bien être de l'élève n'est en aucun cas de la préoccupation de l'enseignant. 

On disait en riant que l'enseignant moyen avait - à cette époque où la rentrée scolaire était le 15 septembre - trois motivations à l'exercice de sa profession : juillet, août et septembre. Je ne sais pas combien il s'agit d'une blague.

Combien d'enseignants auraient-ils fait leur le principe lévinassien du dialogue éthique, en vertu duquel je suis responsable de ce qu'entend mon interlocuteur ? En vertu duquel sa motivation, son image de lui-même, ses résultats dépendent énormément de mon attitude, moi l'enseignant, à son égard ?

Je crains que monsieur Barbier, notre malheureux professeur de latin de 4ème, n'ait souffert de son métier et de ses élèves de telle manière que sa carrière - sa vie ? - n'a pu que lui être un enfer. Je suis très triste qu'une telle situation se soit produite, je suis même confus d'avoir apporté ma - minime -contribution à cet enfer, mais je plaide non coupable.

J'avais 13 ans et ne faisais que "subir" ce non-enseignement. Où - par contre - étaient l'administration, l'inspection, les services psychologiques attenants au système scolaire ? Je crains qu'il n'aient été nulle part. 

Il faut quand même rappeler quelques souvenirs positifs, quelques enseignants dont je garde un plutôt bon souvenir, telle Mme Colmez, mme Cagnon, mon professeur de français de classe de Seconde dont le nom ne me revient malheureusement pas et qui nous parlait de Camus avec émotion.



En ce qui concerne l'école primaire, il semblait que Wissous s'enorgueillait de cette école Jean de La Fontaine, dont le souvenir qu'il m'en reste est effectivement d'un lieu esthétique et neuf. 


Je me souviens qu'au début de ma scolaritė, il y avait encore un champ en face de l'école, au-delà du trottoir du "chemin de la Vallée", sur lequel passait l'autobus 297 sur son trajet retour vers Paris. J'ai quelques souvenirs diffus de batailles d'épis, ou de paille dans ce champ, probablement après la moisson, mais cela a forcément dû se produire...après la moisson , c'est à dire l'été, bien après le début des grandes vacances. Je me souviens aussi d'avoir été attristé de la construction d'une éspèce de hangar à la place de ce champ, quelques annėes plus tard.

J'ai aussi comme le souvenir d'un match de football dans la cour de récréation, comme il y en avait tous les jours, mais alors que j'avais la jambe dans le plâtre, et que je jouais quand même, malgré les reproches des enfants autour de moi. Je m'ėtais cassé la jambe en essayant une manoeuvre avec un ballon à moitié dégonflė sur lequel je trébûchai et me fracturai le peronné. Cela se passait à La Troche, peu avant la rentrėe et bien que plâtré pour un mois, je ne supportai visiblement pas d'attendre le retour à la normale et me livrai à l'activité principale de ma scolarité dans le déni le plus total de ma condition, mais, encore une fois, sans qu'aucun enseignant ne soit intervenu, se soit préoccupé de quoi que ce soit en relation avec cette situation.

En ce qui concerne ma scolarité des premier et second cycle, l'essentiel des souvenirs est résolument extra scolaire, les amitiés et les premières amours tenant le devant de la scène, l'éveil à la conscience sociale et politique, le second plan.

Il semble que j'ai bėnéficié d'un très bon et chaleureux enseignement à l'école maternelle, où Mme Lopata vouait un véritable interêt à ses élèves. Et je n'ai retrouvé cela que 12 ans plus tard, chez mon professeur de maths de Terminale, mr Jollis, qui arborait fièrement au revers de son veston des palmes académiques qui ne lui avaient pas été remises vainement.

Ces deux dernièrs auront probablement été les deux seuls enseignants qui m'ont communiqué ce qui ressemblait à un goût pour la profession.

C'est un goût dont j'ai l'intense satisfaction de pouvoir dire que je l'ai eu et longtemps, en bouche et ailleurs. Surtout ailleurs en vérité, car il n'est pas ici question de palais, mais d'échange. De situation où celui qui reçoit est celui qui donne. Il ne reçoit pas une quelconque monnaie de pièce par lui donnée, mais il reste enrichi de ce qu'a laissé en lui, pour la vie souvent, celui ou celle qu'il a côtoyé du fait de cette situation d'enseignement.

Dans un autre texte j'expliquerai en quoi ce thème me parait être le thème central du livre du Deutéronome, appelé en hébreu "les paroles", le thème de la si particulière résonance que le face à face d'enseignement procure à la parole. 

Aussi profond que je puisse fouiller, et malgré le titre donné à ce post, je ne parviens pas à trouver ni à l'école « La Fontaine », ni au lycée d'Antony, de quelconques sources de ce qui fit de moi un enseignant. Il me faut donc les chercher ailleurs. J’ai quelques hypothèses, certaines remontant à des expériences positives, aux Eis où j’eus la première occasion de devoir « éduquer » (même si le mot est peut-être fort)


, ou lors de mises en situation précoces, d’autres rattachées a contrario à cette critique -  si ce n’est cette révolte - que ce système scolaire éveilla en moi. Le total additionné de toutes ces sources, négatives et positives, ferait-il huit ?   


lundi 15 juillet 2013

Huit sources et un confluent.



L'article est à la page "retrospective", chapitre deux de la partie "Wissous".