lundi 23 mars 2020

Pourim - Pessah’ 3 - sur fond de corona





David Grossmann écrivait cette fin de semaine sur le caractère universel de notre situation qui n’a pas de précédent, et qui donc en cela s’apparente à quelques célèbres épisodes, dont le déluge, la sortie d’Egypte, la destruction du temple de Jérusalem, épisodes qui ont marqué des tournants dans l’histoire de l’humanité.

Il parlait de la capacité hypothétique de l’homme à tirer des enseignements, à mettre à profit - ou non - de pareils événements pour changer une partie de sa vision des choses.

C’est encore une étonnante coïncidence avec le calendrier. Ne serait-ce pas le premier objectif, chaque année en théorie, de la période d’arrivée sur Pessah’ ?

Nous parlons chaque année de se sentir soi-même comme si on sortait d’Egypte, d’enseigner à ses enfants, de se débarrasser du h'ametz..et le centre de ces consignes est de se renouveler, de se libérer, de se regénérer. Et nous paraissons bien être mis de force en travaux pratiques de cette consigne !

Cela m’amène à un regard un peu nouveau sur cette comparaison que l’on fait régulièrement entre Noé et Avraham, élevant le second à un bien plus haut niveau que le premier, Avraham ayant compris que c’est un message, une façon nouvelle de pensée qui allait vraiment opérer des changements, tandis que Noé n’a pu que considérer l’aspect concret de la situation (et l’hébreu illustre magistralement cela : le mot « téva » veut dire tout autant « arche » que « mot » ! S’il avait été Avraham, Noé aurait fabriqué le monothéisme, non l’arche de Noé).

La question qui s’impose aujourd’hui est de se demander si le danger auquel était confronté Avraham était similaire à celui face auquel se trouvait Noé.

En d’autres termes, nous goûtons quelques miettes de quelque chose un peu apocalyptique, d’humanité en écueil si ce n’est pas véritablement en danger de disparition, et il semble que ce n’était pas la situation d’Avraham.

Un midrach que je rappelle souvent tant je le trouve fort attribue à Noé l’instauration...de l’esclavage, comme tentative de remédier à la crise de l’humanité ! (Ce sont les dessous de l’épisode de son ivresse à la descente de l’arche : Ham se serait opposé au projet de Noah qui avait dit « j’aurai un quatrième enfant et il sera esclave des trois autres », au point de castrer son père...qui impose malgré cela sa volonté : « ton quatrième fils sera esclave ! » Maudit-il Ham).

Ce midrach (daat zkénim mibaalé hatossefot sur Genèse 9 25 ) est très profond à mon sens, et élève Noé plus haut que celui du menuisier de base (je rappelle que j’ai beaucoup de respect pour les menuisiers).

Ce midrach laisse imaginer ce dont quoi on discutait chez Noé au repas du soir. Discussion philosophico-historique de haut niveau avec des partisans de l’égalité face à des promoteurs de l’esclavage. Aux yeux des rabbins, l’antiquité ne ressemble pas aux temps préhistoriques. Et ce sont des rabbins du moyen âge...dont le niveau de réflexion est bien plus élevé que celui que nous sommes enclins à attribuer à nos ancêtres les gaulois.

Ce midrach présente Noé comme l’individu qui réfléchit sur le fléau qui frappe l’humanité et qui tente une solution. L’humanité a fauté par chienlit et anarchie totales ? Il faut la structurer, instaurer un ordre.

Le monde occidental moderne (auquel j’appartiens) verrait aisément des relents de fascisme dans une telle résolution. Les termes « ordre nouveau » ont une très lourde connotation. C’est peut-être la raison de la tiédeur vis à vis de Noé, individu qui sût réfléchir mais dont la réflexion était loin de pouvoir apporter un vrai remède.

Il n’en demeure pas moins que le mécanisme doit être moteur. Il faut réfléchir pour quelque chose.

De quelle Egypte allons-nous sortir ? Qu’enseignerons-nous en ce Pessah’ 5780 à nos enfants ? Le côté concret de la situation ? Combien nous avons (aurons-nous?) su écarter la menace du virus, de la contamination et des complications respiratoires ? Ou autre chose ?

Il est trop tôt pour répondre aujourd’hui. Les hébreux n’ont reçu la Torah que 50 jours après être sortis d’Egypte, 50 jours qui sont habituellement conceptualisés comme 50 étapes. Les hébreux sont même considérés comme ayant reçu la Torah « de force » dans le Sinaï et n’avoir choisi vraiment de l’accepter que 1000 ans plus tard , avec l’épisode de Pourim !

Mais l’enseignement de nos baalé hatossefot est tout d’abord qu’il faut réfléchir. Que nous nous réclamons d’une tradition d’étude et de réflexion. Noé, et Avraham, et les enfants d’Israël ont réfléchi, ont su identifier ce de quoi ils sortaient, ce face à quoi ils s’édifiaient.

C’est peut-être notre challenge d’aujourd’hui. Nous sommes modernes, postmodernes même, et donc la majorité d’entre nous ne raisonne plus en termes de faute et de punition. On a d’ailleurs l’impression que ce n’est plus comme cela que fonctionne un monde qui s’est multiplié, développé, ramifié et a atteint à de nombreux égards une situation plus complexe que manichéenne.

Mais d’être postmodernes ne nous dispense pas d’avoir à réfléchir et entre autres à d’éventuelles solutions.

Un patient à moi me disait hier que si on reste fidèles à la conviction que la justice divine, justice absolue, repose sur le « mida kenégued mida » (l’homme/l’humanité reçoit/paie à l’aune de ce qu’elle a suscité), alors il faut bien se rendre compte qu’un milliard d’individus ont été tenus à l’isolement, autrement dit il y a peut-être quelque chose d’hautement nocif dans le mode antérieur à cela, caractérisé par une vaste abolition des distances ?

A manier avec prudence et circonspection. Le quant à soi, la méfiance vis à vis d’autrui ont de nombreux relents malodorants.

Un des côtés agréables de ce confinement est que je ne ressens pas d’hostilité. Chacun est éloigné mais non par ostracisme, antisémitisme, ou autre. Chacun se tient à distance mais l’agression est considérée dangereuse autant que la proximité et c’est comme un bourgeon de quelque chose de nouveau.

« Annunciamos algo nuevo » chantait Paco Ibañez.

A nous de conceptualiser ce algo nuevo..peut-être en nous inspirant pour sa recette, de celle de la ketoret ?


jeudi 19 mars 2020

Pourim - Pessah’ à l’ombre du corona 2



Je me suis rendu compte que je n’avais pas été ni le seul ni le premier à évoquer la ketoret..

Je me suis même demandé dans quelle galère ne m’étais-je pas embarqué...à quels comparses n’allais-je pas être associé ?

Les posts, appels, prières publiques au nom de la ketoret comme « anti épidémie » sont légion et ils ne sont pas tous dépourvus de primitivisme, pour le moins...

Et pourtant, je veux continuer...mais en tentant au maximum de traiter le sujet sur le mode que je me suis mis récemment à intituler le mode du « super iyun » ou mode de tentative (à la mesure de mes menus moyens) d’approfondissement maximal (toutes proportions gardées « à la Chouchani »).

Et la tache est relativement ardue avec la ketoret...parce qu’en fouillant même beaucoup de textes, on trouve à revendre les mêmes superlatifs...sans arguments, et peu de textes à développement « nourrissant ».

Au nom de ces superlatifs, la ketoret est la potion magique. Et il convient surtout de s’en persuader.

Et nous préférons poser la question « pourquoi » ? Eh il semble qu’on ne trouvera la réponse à cette question qu’en y réfléchissant...ce qui est toujours conseillé.

On trouvera quand même quelques remarques intéressantes, chez Rashi par exemple au sujet de l’insertion d’une malodorante parmi dix plantes « bon odorantes » : cela vient selon lui indiquer que la communauté (dont le chiffre 10 est le pradigme) peut être de bonne odeur (renommée ?)même en contenant en son sein quelques éléments négatifs, ou mieux encore : il faut inclure les négatifs, et non les extraire.

On trouvera aussi que la myrthe figure au nombre des ingrédients, et que si elle sent bon, elle n’en est pas moins amère et déplaisante à consommer et que ceci peut être vu au niveau allusif.

On trouvera aussi qu’une des vertus de la ketoret était de parfumer toute la ville de Jérusalem quand on la brûlait, et que cela présentait entre autres l’avantage d’éliminer l’odeur du sang des sacrifices. La ketoret est ainsi à l’image de ce que laisse derrière lui un individu qui fait du bien. Son parfum est à même de couvrir les odeurs les plus pestilentielles.

On trouvera aussi - et surtout, dirais-je - , et une nouvelle fois dans Rachi, que la ketoret n’arrête pas l’épidémie de Korah du fait de son essence, mais pour donner justement le contre pied à ceux qui la voyaient, après l’épisode de la mort de Nadav et Avihou et des 250 comparses de Korah’, comme vecteur de mort. Le commentaire de Rachi a la grande vertu de déconnecter la ketoret en elle-même de son effet. Elle n’a ni l’essence de poison ni de pseudo essence de potion magique.

Mais alors, que vient-elle nous apporter ? Et encore, pourquoi le rituel lui fait-il cette place de choix ? Et entre autres en attendant que la lecture de sa composition joue un rôle en cas d’épidémie..?

Entre dans la préparation de la ketoret un ingrédient que l’on appelle en hébreu « maaleh ashan », et qui désigne la plante fumigène qu’il fallait utliser de manière à ce que la fumee de l’encens monte droit en non en volutes. La tradition mentionne un secret, que ne possédait qu’une seule famille, de l’utilisation de cette plante (un peu comme le fameux parfum afarsémon dont seuls les habitants d’Ein Guédi possédaient - et conservaient jalousement - le secret).

Ressort principalement de ce détail que ce que fait surtout cette ketoret est de relier le ciel et la terre, le monde d’en bas et le monde d’en haut.

Et c’est peut-être autour de cette notion qu’il faut chercher l’explication du rôle de cette ketoret : elle fait jouer de concert
les éléments dont l’homme a le contrôle et ceux qui lui échappent. Elle pourrait avoir pour rôle d’exprimer haut et fort que certains événements sont le fait de quelque chose qui dépasse l’homme, et que l’homme sait accepter cela malgré son désir de domination de tout ce qui l’environne.

Cette épidémie vient comme re-battre nos cartes. Et plusieurs en ont déjà l’intuition. Elle vient comme nous mettre en exergue que le monde et ses commandes sont au-delà des capacités humaines, et la ketoret est l’expression de la reconnaissance humaine de cela.

Dire la composition et la préparation de la ketoret, ainsi que la brûler ne sont pas obligatoirement l’expression de l’affiliation aux thèses déterministes. L’homme fait quelque chose, dit quelque chose. Et ce qu’il dit témoigne de sa bonne volonté à accepter de se plier à certains rites, voire à leur accorder de l’importance même s’il ne comprend pas les règles du fonctionnement de tout cela.

Freud voyait dans la blessure narcissique quelque chose qui est de nature à faire avancer l’humanité. Il avait probablement raison.


mardi 17 mars 2020

Encore Pourim et Pessah'...à l'ombre du corona



Et en l’espace de peu de jours, nous voici dans une situation qu’il nous a été impossible d’anticiper.

Selon les pays, les mesures ont eté plus ou moins efficaces, plus ou moins rapides, mais il apparaît que le résultat est sensiblement identique d’un pays à l’autre, c’est à dire que nous sommes confinés.

Je reste frappé par le caractère imprévisible de cette situation, même s’il ne manque pas , comme toujours, de gens pour venir vous rappeler comment « il aurait fallu », « il aurait été simple », « untel l’avait dit »...

On a l’impression que le monde n’a pas vu venir une situation qui nous paraissait inimaginable, tant nous étions sûrs de notre haut niveau scientifique, de nos progrès. Les épidémies nous paraissaient des souvenirs anciens. Le hiv a été contrôlé, le sars aussi, aujourd’hui plus d’épidémies, pensions-nous...

Et voilà que nous sommes confinés...dans nos maisons, alors que nous croyions il y a seulement quelques heures que nous n’étions que « mieux avisés » de ne plus prévoir de voyages, quelques jours à peine après avoir regardé de haut tout ce qui se passait loin chez les chinois mais heureusement pas chez nous....

Nous ne sommes pas, pour la plupart d’entre nous, malades, mais nous lisons d’effrayants chiffres, et surtout il semble que personne ne soit capable de nous donner une perspective de temps.

Nous sommes confinés...jusqu’à nouvel ordre.

Je tiens à dire en premier lieu que je ne suis confiné que physiquement. Psychiquement, intellectuellement, ou affectivement parlant, je reste avec autant d’espace qu’auparavant. De plus, je me sens lié à tous ceux qui me sont chers, que je les ai ou non vus récemment.

J’écris ce texte en premier lieu pour exprimer ceci haut et fort, et pour appeler à réactions. Ne nous contentons pas de ces posts qui nous sont relayés et que nous relayons nous-mêmes par fb ou autre. Échangeons personnellement. Écrivons-nous, parlons-nous.

En second lieu, je veux essayer de vous faire partager quelques impressions, idées ou questions.

Nous sommes entre Pourim et Pessah’. Shabbat dernier (qui pour l’instant était notre dernier shabbat sous forme encore semi communautaire) était « shabbat Parah », c’est à dire celui des quatre shabbatot précédant Pessah’ où est centrale la notion de purification, entre autres avec la lecture publique dans la Torah des détails des fabrications de l’huile d’onction et de l’encens (exode 30).

Personne ne connaît le secret de la composition de cet encens, c’est à dire de la raison des espèces incluses ou non incluses dans sa préparation.

Depuis la destruction du temple, cet encens n’est plus préparé ni utilisé, mais la liste des composants est scrupuleusement lue deux fois ou trois fois par jour, comme partie intégrante du rituel des prières.

Et le monde rabbinique (pas uniquement kabbalistique) accorde à cet encens une énorme importance. Il faut absolument lire sa composition mot à mot, assis, « parce qu’il est un des secrets de la survie d’Israël » peut-on trouver (par exemple dans le Shaaré Aaron sur Ki tissa) , parce qu’il est lié non seulement à la survie mais à la survie en cas d’épidémie (et le texte biblique détaille cela en Nombres 17  11-15).

Et ce n’est pas uniquement son exhalation qui nous sauve que sa conservation, y compris sa conservation "litanique". Lire sa composition est équivalent à sa consumption, sa combustion.

Avant le Pessah’ d’Egypte, les hébreux ont été tenus de se tenir confinés dans leursmaisons, après avoir mis le sang de l’agneau pascal sur le linteau de la porte, afin que la mort n’entre pas dans leurs maisons, tandis qu’au dehors l’épidémie faisait rage.

Je ne viens pas pieds nus échevelé et vêtu d’une robe blanche vous annoncer que les temps annoncés sont venus. Je viens d’une part souligner la coïncidence entre l’actualité et le calendrier, et je viens d’autre part essayer de suggérer de ne pas toujours nous retrancher dans notre duffisance scientifique moderne ou post moderne.

Si nous nous trouvons pris en flagrant délit d’incapacité à l’échelle mondiale face au corona, consacrons quelques minutes à ne pas seulement balayer du revers de la main une vague analogie avec l’histoire ancienne, mais à réfléchir.

Si ça se trouve, la solution au corona ne se trouve pas uniquement dans l’avenir, dans le « quand on aura développé le vaccin », d’ici un an ou deux..elle peut aussi se trouver dans l’étude de ce qui nous est décrit dans certains textes qui nous paraissent bien obscurs, mais qui décrivent une situation...qui ressemble bien un peu à la nôtre.

Et donc, pourquoi ne pas approfondir, tenter d’approfondir le sujet ? Les docteurs du Talmud comme les appelait Lévinas (à une époque où le doctorat était bien plus valorisé qu’aujourd’hui), intellectuellement nourri chez Chouchani, considéraient ce thème avec le plus grand sérieux.

Je regarde cela avec respect...et je lis consciencieusement la composition de la ketoret, les détails de sa préparation et les commentaires sur le sujet, deux fois par jour, je vous invite à faire de même, et je lirai avec plaisir tout ce que vous me répondrez sur le sujet.

Dans un éventuel prochain texte je tacherai d’entrer dans les détails.