mercredi 22 juillet 2015

eis vintage - oneg animateurs, voyages en Israël


Si préparer un cours est la meilleure occasion d’approfondir ses connaissances sur un sujet donné, travailler au QG comme permanent était comme une situation de préparation constante.
Je me suis retrouvé récemment, au cours des dix dernières années dans une situation similaire, où on est seul dans un bureau, et en correspondance avec des gens que l’on cherche à former, à instruire, à stimuler, et où une bonne partie du travail consiste à trouver le moyen de communiquer à ces gens ce qui pourra les aider, les faire avancer.

A cette époque anté internet, il fallait écrire, imprimer puis diffuser, et comme je l’ai déjà décrit, tout ceci était très manuel, très physique. Au point que la partie conceptuelle était largement inférieure en quantité à la partie physique.

Je m’auto représentais carrément chevauchant au jour le jour la ronéo ou l’offset, et le QG m’a été une véritable école de formation à la frappe, la mise en page, l’illustration, la PNAO en quelque sorte (publication non assistée par ordinateur).

Ami pillait généreusement le jewish catalog pour parsemer ses publications des petits dessins qu’il y trouvait, Alain dessinait et je me souviens surtout de découper, coller, et « chevaucher » les diverses machines.

Mais nous cherchions aussi comment rencontrer nos « cibles » et c’est de cette recherche que naquit l’oneg, dont j’ignore s’il s’est poursuivi, ou dans l’affirmative, combien de temps il s’est poursuivi après mon départ en Israël, en été 81.

Il ne s’agissait de rien d’autre que d’une rencontre bi-mensuelle de fin de shabbat, au cours de laquelle on ferait des activités similaires à ce qui se fait à l’oneg shabbat dans n’importe quelle structure de vacances, mais en la rendant adaptée à des jeunes de 17 ans. Alors que l‘on opta pour une structure en quatre parties : cours, chant de zmirot , encore cours et havdallah, il faut bien conclure que ce n’est pas du programme – peut-être très peu attrayant en lui-même pour des lycéens en fin de parcours ou des jeunes étudiants -  que vint le succès.

Le succès vint incontestablement de la « catalisation » opérée par le lien Alain, Ami et moi. Il ne s’agissait pas d’une entente extraordinaire, nous avions pas mal de conflits, pas mal de discordes, mais nous étions attelés à la même tâche, à la même quête : accroître le souci de transmission auprès des animateurs, et ceci afin qu’eux puissent faire de même avec leurs ouailles.
On chanta donc des zmirot, sur base de la brochure que nous avions (que j’avais) rénovée et tirée en quelques dizaines d’exemplaires, et que l’on « lançait » ainsi, Ami entreprit de faire vivre dans la conscience du judaïsme de diaspora les figures majeures de la Bible (le Nakh’. La plupart de ceux qui sont allés au talmud Torah ont pour la plupart entendu parler des figures de la Torah, et quasiment pas de celles de la suite du récit biblique…et la plupart des animateurs n’étaient pour ainsi dire même pas allés au talmud Torah), et je pris sur moi (en partage avec Alain ? j’ai oublié) la paracha de la semaine.

A cette époque, nous habitions Boulogne et nous allions chaque semaine au cours de Lévinas, le samedi matin après l’office à l’Enio. Le cours de Lévinas, l’enseignement de Lévinas, m’auraient très certainement atteint sans cet oneg, tant ils ont été formateurs si ce n’est vitaux pour moi, tant ils m’ont accompagné longtemps (jusqu’à aujourd’hui), mais j’aurais probablement écouté énormément plus passivement si je n’avais eu à faire moi-même un cours dans la suite de l’après-midi. Je ne pense pas que mon cours ait été une pure retranscription de ce qu’avait dit Lévinas le matin même, peut-être simplement du fait que je ne comprenais pas toujours ce qu’il enseignait, ne trouvais pas automatiquement matière dans son enseignement à transmettre un message signifiant aux animateurs qui étaient l’auditoire, mais ce cours de l’après-midi à Ségur est indissociable dans ma mémoire du cours du matin et du trajet à pied, par l’avenue de Versailles, le boulevard Exelmans, le pont Mirabeau et les rues et avenues du 7ème et du 16ème que l’on suivait sur le trajet. 

Je me souviens que je ne m’occupais pas uniquement de ce que j’allais avoir à dire, d’autant plus que je n’étais pas tout seul (au début avec Marianne, plus tard, avec Marianne et Ayala qui n’a aucun souvenir de combien elle nettoya de ses habits de bébé le sol de la grande salle de Ségur, allant de l’un(e) à l’autre  des présents assis en rond), mais ce trajet d’une heure et quelques me servait à la mise en place de mon intervention…et j’aimais beaucoup cet exercice.

Cet oneg était un peu notre « réunion d’intellectuels » à nous, sans que je ne fasse jamais jusqu’à aujourd’hui la comparaison, mais je suis un peu frappé aujourd’hui par ce parallélisme. Le cours de Lévinas n’était pas seulement un cours, c’était un évènement parisien, peut-être comparable aux séminaires de Lacan. S’y pressait toute la foule des admirateurs, intellectuels juifs, étudiants en philosophie, pontes de la communauté de l’Alliance Israélite Universelle, et les « prolétaires du savoir et du monde juif » que nous étions assistions au spectacle, la plupart du temps assis sur les strapontins du poulailler qu’on voulait bien nous laisser. La disposition de la salle était rituelle. Lévinas, au centre, entouré du président de l’AIU, Jules Braunschvig, une très sérieuse édition bilingue hébreu anglais (Rosenbaum, Silbermann et al) de la Bible (et commentaires) majestueusement ouverte sur les genoux, du directeur de l’ENIO, Monsieur Sarfati, qui avait succédé à Lévinas, et de quelques notables, parmi lesquels nous n’identifiions qu’Albert Simon, l’inénarrable météorologue de la radio à la voix chevrotante. Face à Lévinas, un élève de l’école, celui à qui incombait le rôle d’interlocuteur. Il s’agissait en général d’un élève de ce qui était appelé la « section spéciale », composée d’élèves marocains qui avaient sucé la Torah au biberon au point de la connaître réellement par cœur pour certains d’entre eux, particularité dont Lévinas se réjouissait et rappelait régulièrement avec admiration. Il lisait le texte, Rachi, et Lévinas parlait. Autour, en cercle, les fidèles, les élèves – pour lesquels le cours était visiblement obligatoire, et superflu, et qui souvent chuchotaient entre eux, et quelques juifs anonymes dont nous étions.

Notre oneg, toutes – et elles sont nombreuses – proportions gardées, était un peu la réplique de cela. Nous étions aussi en rond, et le fonctionnement s’il n’était pas rituel, n’en était pas moins régulier. Nous avions aussi nos « fans », nous étudiions très sérieusement, et chantions, l’ambiance était incomparablement plus chaleureuse ici que là-bas, et le tout se terminait par la havdalah, comme de longues années durant, notre communauté du samedi après-midi à Servandoni était aussi scandée par la même havdalah. A Ségur comme à Servandoni, la havdalah était à la fois le signal de clôture de la séance « religieuse », et la séparation, entre l’activité officielle, activité des adultes et celle des jeunes, dîners débats ou simple sortie de samedi soir, au cinéma ou ailleurs.  

Ici, même si nous étions probablement les aînés aux yeux des animateurs, nous étions cependant très proches d’eux, en âge et en phase de vie, et c’étaient de véritables situations d’ éducation du jeune par le jeune. Au presque même chapitre que cet oneg étaient les voyages en Israël.


Je n'avais alors aucun souvenir du voyage en Israël pour un groupe d'e.i.s qu'avaient mené mes parents en 1957. Je savais qu'ils étaient partis pour un mois l'été de mes deux ans. On m'a souvent raconté comment, alors que je passais le mois à La Troche aux bons soins de mes grands-parents, dans cette maison d'un tout petit quartier résidentiel du plateau de Palaiseau, dans laquelle je devais par la suite passer tous mes dimanches jusqu'au commencement de mes activités d'animateur,  je montrais chaque avion qui passait dans le ciel et disais que mes parents s'y trouvaient.

Plus tard, il a continué de ci de là d'être question de cet épisode, dans lequel par exemple se trouvait Monique, celle précisément qui m'envoyait diriger à présent mon propre voyage.

C'était l'été 1977, et il apparût bientôt que Marianne n'en serait pas, étant dans l'impossibilité de se soustraire à un des stages du parcours des études de médecine.

Tandis qu'Alain emmenait des pifs, et fit ainsi connaissance avec Ami encore avant son arrivée au QG, je partais avec une troupe d'animateurs. Les photos témoignent de combien le groupe se comportait de vrais eis, qui restèrent par la suite impliqués, si ce n'est fortement impliqués (jusqu'à devenir président du CA !).

Ces voyages ont eu beau se multiplier sous l'influence d'Ami, j'ai l'impression, peut-être très subjective que toute personne ayant participé à un d'entre eux en est resté très fortement marqué. Je sais qu'il en est ainsi pour ceux qui partirent en 1969, et je sais que mon grand-père a une petite part dans ce qui marqua ceux qui firent le voyage en 1979 : cette année-là, le trajet contenait une attraction particulière qui était la traversée en bateau depuis Venise "comme jadis". La ligne existait encore et cet exotisme d’anachronisme avait attiré mon grand-père qui était plutôt phobique des vols en avion, et qui se retrouva sur le même bateau que le groupe e.i., cette année sous la responsabilité de Bruno.

Mon grand-père était un personnage haut en couleurs, qui était relativement connu dans les milieux juifs de l'époque, du fait de ce qu'il appelait "sa propagande", et dont je reproduis ici - en exclusivité -  quelques extraits :

les papiers étaient distribués pliés en quatre et ils étaient multicolores : chaque couleur dédiée à un public particulier..




 Il avait ainsi résolu de consacrer sa retraite à l'écriture de textes voués à la lutte contre l'antisémitisme. Il écrivait des textes, une partie destinée aux juifs, une partie aux chrétiens, dans lesquels il enseignait, rapportait, citait, expliquait, mais rappelait surtout que le christianisme descend du judaïsme, ce qui faisait apparemment à ses yeux de l'antisémitisme occidental une effroyable méprise, et ce qui devait être pour lui l'argument majeur, et suffisant, pour empêcher un bon chrétien de la fin du vingtième siècle de « tomber dans l'antisémitisme ». Fasse le ciel que cette "éducation" eut pu suffire ! Aurais-je dû hériter d’un pareil optimisme ?

Il écrivait ces textes de la manière la plus candide possible, et, ainsi qu'il le spécifiait lui-même, comme un homme du quatrième âge, qui avait reçu son éducation au lycée allemand d'Istanbul (alors Constantinople), ce qui expliquait non tant la lourdeur du style, que le caractère excessivement touffu de la mise en page. Chaque centimètre carré y était utilisé, il imprimait lui-même (ce qui faisait que grand-père et petit-fils avaient en commun la pratique quotidienne de la ronéo - mais sans que ni l'un ni l'autre n'aient conscience de ce parallélisme), et il diffusait de ses propres mains. Il envoyait à toute la France par la poste, et distribuait lui-même ses papiers aux publics des conférences et cours qui avaient lieu à l'époque sur la place de Paris. Il se livra à cette noble activité pendant environ vingt ans, l'ayant encore poursuivie depuis Israël, où mon père, son fils, l'avait emmené finir ses jours, à 92 ans. Il vécut encore cinq ans en Israël, lucide jusqu'au dernier moment.

Cette année 1979, alors qu'il habitait encore Paris,  il rendait visite à mes parents, installés depuis un an à Jérusalem et, alors que nous étions aussi de la partie, il choisit de se joindre à la traversée tandis que Marianne et moi faisions le détour par l'Italie et la Grèce. Le voyage en lui-même fut peut-être un peu coloré par sa personnalité turque mais l'arrivée à Haïfa surtout fut mémorable, quand il s'avéra que son passeport n'était pas en règle. Mon grand-père avait le triste travers de donner en de pareilles occasions beaucoup de voix, et cette fois n'échappa pas à la règle.

Quant au voyage que je dirigeai, l’été 1977, il fut très riche au plan géographique et touristique. Nous passâmes de Roch Hanikra, Akko, à Haïfa, au Golan, au lac de Tibériade, au Sinaï (monastère de Sainte Catherine atteint à pied aux petites heures du matin, et plage de rêve à Ras Mouhamad, Daab et Noueba), en incluant au passage quelques jours de volontariat à Netivot, quelques heures à Tel Aviv et Jérusalem, logés dans les sempiternels kyriat Moria, hotel Ambassador, et autres adresses fixes des séjours touristiques façon agence juive, transportés dans le pays dans un autobus standard et pour le golan et le Sinaï, dans des antiquités branlantes. Les paysages, avec ou sans levers et couchers de soleil, étaient fantastiques, mais surtout nous faisions nos premiers pas à pied sur les chemins caillouteux, dans les piscines naturelles et au milieu de la nature de ce si beau pays. Nous étions escortés de Yaël (Samuel), la madrikha "israélienne" du modèle classique, c'est à dire ancienne e.i. ayant fait son alyah quelques années plus tôt et se faisant de l’argent de poche en travaillant l’été à encadrer des groupes , du guide, du chauffeur, et de l'infirmier, patibulaire, et équipé de la trousse premiers secours sur une épaule et du célèbre "ouzi" sur l'autre, l'un et l'autre lui garantissant le succès absolu auprès des participant(e)s, surtout après qu'il ait entrepris de sortir une écharde du pied d'un participant, avec une aiguille - non stérilisée - pendant que l'autobus cahotait sur les pistes du golan. (Frankie me signale après lecture de ce post une maligne participation de mon inconscient : le personnage en question ne portait aucun ouzi...il s'appelait juste...Ouzi!). Comme à l’accoutumée, se joignaient aussi pour une partie du voyage tel ou tel e.i. de passage en Israël, et c’est de cette manière que Frankie fut avec nous une partie du temps, ajoutant tout le « poids » de son incomparable présence.

Je partais vraisemblablement un peu inquiet puisque je réussis, dans les quelques jours des derniers préparatifs, entre le retour de la tournée de camp et le départ, à me retrouver le corps en angle droit, coincé et immobilisé par une sciatique foudroyante...dont je ne sortis que du fait de l'adresse du chiropracteur dont mon (autre) grand-père avait toujours loué les mérites au grand dam du reste de la famille. Il s'arc-bouta sur moi, d'une manière aussi déterminante que  l'intervention du kinézithérapeute interprétée par Gotlib dans la « rubrique à brac » (tome 4 pages 42-43, images déconseillées pour les âmes sensibles), et me remit à la verticale. Entre temps, Monique avait remué ciel et terre pour me remplacer et cela nous fit y gagner la présence de Mickey, je crois pendant tout le voyage. Voyage qui fut ainsi très riche au plan humain, au plan relationnel et dont j'ai gardé dans l'ensemble de très bons souvenirs, de bon nombre de situations, avec beaucoup de gens, dont certains ont même profité de ce post pour reprendre contact ou ajouter une correction....ce qui est un des buts de ces récits.

Le mois comporta aussi l'inévitable sucrerie du « zouave » qui réussit à perdre son passeport au cours de l'escale à Athènes, et qui n'est donc plus autorisé à passer le contrôle avant de remonter dans l'avion", mais cet incident mis à part, ainsi que celui de la dramatique et soudaine sueur massive de l'animateur (troyen) déshydraté et desséché dans le Sinaï, tout se passa de façon optimale, et se conclut par une mémorable séance de projection diapos après notre retour, un soir chez nous à la maison, séance qui permit aussi de revoir la beauté des paysages, la force de la lumière de l'été en Israël, et les souvenirs du bronzage si rapidement évaporé, et surtout de reprendre une petite dose de l’ambiance e.i.

La question est de l’impact. Ces voyages semblent avoir un très fort impact sur le lien à Israël, et peut-être est-ce avant tout une qualité du pays, qui réussit à conquérir le cœur de beaucoup de ceux qui le visitent. Ces voyages sont-ils éducatifs ? ils sont probablement jugés comme tels à en juger par l’initiative « taglit ». Il est presque certain que les participants soient rentrés à la maison plus marqués que s’ils étaient partis en Suède ou en Tanzanie et il est tout aussi probable que c’est du lien de chacun en lui avec ce pays, du fait de l’identité juive, du fait de l’allégeance au peuple juif que provient en premier lieu cet effet. 

    

lundi 13 juillet 2015

les e.i.s ne sont pas un patronage


LES eis ne sont pas un patronage. Cette devise est cousue en lettres d'or sur les chemises d'uniforme, au fil des générations, au delà des exigences de la mode. La couleur et la forme de la chemise changent, l'insigne est parfois en métal, parfois en tissu, mais la phrase est immuable.

Lévinas explique que Rosenzweig n'est pas cité dans son livre "totalité et infini" du fait qu'il est présent à chaque ligne du livre. Ainsi en est-il de cette devise pour le crédo e.i..

Les animateurs de tout groupe local de l'hexagone, année après année, sont viscéralement blessés quand les parents d'un enfant absent toute l'année aux activités viennent l'inscrire pour le camp. "Quoi ?" répliquent-ils : "nous confondre avec un centre aéré ? avec une garderie ?".

Se tiennent ainsi régulièrement ( ou irréguliérement, du fait des problèmes de budget, ou de discontinuité à l'équipe nationale ) les conseils nationaux, préparés avec le plus grand soin, à grand renfort de publications, de réunions, de sollicitations, de créativité pour Adonner un titre hautement signifiant, et chaque fois différent et innovant, à la réunion. 

Chaque CN n'est aucunement "encore un CN" au cours duquel viennent bailler quelques retraités oisifs. Chaque CN pour ceux qui le préparent activement puis y participent, est unique.

Un observateur neutre et éloigné lirait ces quelques lignes avec aux lèvres un sourire indulgent. Il consulterait les publications du CN de 1973, de 1977, de 1985, de 1989, de 1994 de 2001, (comment vais-je avouer que je ne sais plus quand il y a eu un ou plusieurs cns depuis 2001...?) et il ne trouverait que de vagues modifications d'une fois sur l'autre. (Addendum :Un lecteur attentif - et qui montre par là combien le mouvement est entre de bonnes mains - me rappelle que la commission judaïsme de 2001 a inclus à sa motion un passage relatif aux "nine eleven" qui s'étaient produits deux mois plus tôt, et qui annonçaient des changements tant à l'échelle mondiale qu'au niveau du judaïsme. Quatorze ans plus tard, force nous est de constater que les changements ont eu lieu, et qu'être juif dans la France de 2015 est un peu différent de dans la France de la seconde moitié du vingtième siècle. Être israélien aussi est différent, mais peut-être dans un meilleur sens ? Merci en tout cas, Jérémie, qui partageait avec moi - et Dorit - la responsabilité de cette commission et qui continue plus que jamais son engagement e.i.. très certainement aux CNs de 2009 et 2014 auxquels je n'ai pas participé, et surtout dans sa nouvelle fonction de président du CA du mouvement).

Pire, il serait peut-être le seul à avoir lu ces textes religieusement imprimés, des motions soigneusement aboutis par les commissions puis votés par l'assemblée pleinière, en général aux petites heures du matin. 

J'ai participé aux CNs mentionnés ci-dessus (hormis bon nombre de débats de celui de 1989, qui se tenait pourtant à Jérusalem, mais aussi précisément de ce fait : je n'avais pas pris de jours de congé et devais être à mon travail...). 

Je me souviens avoir été personnellement plus qu'engagé pour chacun d'eux. De façon plus globale pour celui de 1977 que j'ai préparé depuis mon bureau de permanent au QG, de façon plus modeste pour celui de 1973 qui était mon premier, et de façon plus partielle pour les autres où je n'avais la responsabilité que d'une seule commission, mais j'ai autant été émotionnellement impliqué dans tous les cas. 

Je confirme - et avoue ici bien piteusement - que jamais au grand jamais je n'ai par la suite relu les dites motions. C'est un peu comme relire son contrat de mariage, ou le contrat d'achat de sa maison. Qu'il n'ait pas été écrit, lu, corrigé ligne par ligne et c'est comme si les choses ne s'étaient pas faites, mais qui va ensuite le relire ? 

Quel ménage se mène en fonction du contrat qui le détermine ?

Les responsables eis de toute la France, réunis solennellement en général pendant trois jours, en nombre proportionnel à la quantité d'enfants qu'ils représentent, mettent toute leur énergie dans ces motions que chaque commission prépare, ils défendent chaque virgule comme si leur vie en dépendait, avec autant de passion concernant la commission scoutisme que la commission Israël, ou judaïsme, et quand chacun rentre chez soi, les motions sont soigneusement mises au classement vertical, chez certains sur le chemin de la poubelle à plus ou moins brève échéance, chez d'autres, plus mordus, plus yeke, plus historiens, ou plus sentimentaux, sur les étagères les plus élevées de la bibliothèque du salon. Mais personne ne les relit sauf quelques éspèces rares.

Le CN, ce n'est pas une question de documents ! c'est la réserve en oxygène. On ne lit pas l'oxygène, on l'inspire, on s'en nourrit.

Ami Bouganim, philosophe, écrivain et militant du peuple juif, avait été ei, au Maroc surtout et peut-être un peu en France pendant qu'il avait été à l'enio, chez Lévinas, avant de faire son alyah après son baccalauréat.

Quelques 9 ans plus tard, en ce mois d'octobre 1977, à la veille du CN il arrivait au QG en tant que chaliakh', délégué par l'agence juive en tant qu'israélien francophone, pour passer deux ans - ou trois si affinités - en notre compagnie.

Il reçut en gros l'accueil réservé à un chien qui débarque dans un jeu de quilles : les participants ont chacun un chien, sont en gros tous amis des chiens, "pour les chiens", mais "pas maintenant ! pas sur le terrain!". Ainsi en est-il aux eis du chaliakh'. On veut beaucoup en recevoir un, on a de très bons sentiments autour du mot Israël, mais "qu'est-ce qu'il croit celui-là ? ici, c'est pas Israël ! ici, c'est pas un mouvement sioniste ! c'est un mouvement pluraliste et EN AUCUN CAS une agence de l'agence juive."

Ami s'étant prudemment encore tu lors de ce premier contact, le premier clash se produisit à l'issue des derniers débats, quand, une fois tous les congressistes repartis dans leurs autobus respectifs, nous nous retrouvâmes quelques permanents et affiliés, occupés à remettre tout en état, balai à la main, et qu'Ami nous signifia qu'il n'était pas venu d'Israël pour balayer, mais pour avoir un rôle éducatif. Le non-dit sous-jacent à cette phrase lapidaire nous apparut comme une vaste critique de tout l'ensemble et, comme les dignes élèves d'une école communale de quartier, nous commençâmes quasiment à nous battre comme dans la cour de récréation.

Encore une fois, peut-être un des présents, par exemple s'il était historien, pourrait faire remonter cet accrochage à tel ou tel thème du CN lui-même. Je crois quant à moi qu'aucun sujet n'aurait été suffisant à nous faire ainsi nous accrocher, aucun autre sujet que la rencontre. Rencontre entre le monde extérieur et les eis.

Ami, Alain et moi, Bruno après moi, Jean-Charles, Monique et encore quelques autres avons par la suite travaillé de longues années avec Ami, et se sont créés entre tous ces protagonistes des liens différents selon les caractères et les affinités réciproques, mais ces liens furent tels que beaucoup de travail et beaucoup de réalisations purent en découler. Mais la rencontre ne coulait pas de source, et cela n'est que quelques bons mois plus tard qu'Ami commença à dire à voix haute que les eis ont surtout comme constante d'être et de demeurer à très forte concentration d'élément humain de très haute qualité. 

Alain, Monique et moi en particulier avions littéralement préparé ce CN de nos mains et à la sueur de nos fronts, à grands renforts d'heures des jours et des nuits, de réunions, d'étude (avec le rav Chouchena, avec Tim Herzberg, avec Bertrand Klein), d'écriture et de téléphone, et il était un peu notre bébé. Et nous étions en phase de rencontre, et Ami réagissait probablement à l'accueil qu'il avait ressenti dans tous les pores de sa peau, et nous étions tous exténués.

J'avoue ne plus pouvoir dater l'arrivée et le départ de Mikado (Maxime Hayot), qui fut présent, en tant que commissaire général, au cours de ces années 1976-81. Je dirais qu'il n'était pas encore là à ce CN, (ici aussi : SOS historien !) mais il faut avouer qu'il ne fut pas central dans la dynamique du QG de cette époque, ou en tout cas que peu de mes souvenirs incluent sa participation. 

J'ai pris sur moi à un certain moment le projet de réimprimer et rénover, et pudiquement augmenter, une très bonne brochure de zemirot produite en son temps par Gilbert, et je me souviens que ce projet lui tenait à coeur, mais à part deux mémorables séances de violente prise de bec, une entre lui et moi, et une autre, plus déplorable (du fait du bas niveau d'argumentation auquel était arrivé l'adversaire) entre le tenancier du café voisin et lui, je n'ai que peu de souvenirs de sa présence.

Les évènements marquants de ces années de travail à base d'Alain, Ami, Monique et moi furent à mes yeux les quelques stages de formation, quelques réunions nationales, les voyages en Israël qu'Ami suscita - et organisa -, et l'oneg shabbat. Je parlerai plus tard de ces voyages et de cet oneg.

Ces souvenirs encore une fois sont indissociables de lieux, parmi lesquels il est impossible de ne pas citer le foyer Médicis, restaurant universitaire cachère face au jardin du Luxembourg, dont Bertrand était le gérant à une époque et où nous mangions quand il ne nous livrait pas les repas, le restaurant Gagou, qui était littéralement l'annexe de l'appartement d'Ami, et le fameux 41. 

Au 41 rue du faubourg Montmartre, à deux rues du restaurant chez Gagou, au centre de ce qui était alors le quartier juif de Paris, laissant la traditionnelle "rue des rosiers" bien loin en arrière, vécurent plusieurs années en communauté en particulier Wanda, Alain et Philippe Marx.

Ce dernier était strasbourgeois, Alain et Wanda étaient nancéens, et ils étaient montés à la capitale, pour entamer leurs vies d'adultes, en vivant pour cent cinquante pour cent de leur temps la vie e.i. et en étant quand même inscrits à la fac pour pouvoir justifier de l'utilisation de cartes d'étudiants.

Aucun doute, si la technologie avait été de l'ordre de ce qu'elle est aujourd'hui, que le QG aurait été de facto transféré au 41. C'était presque plus là-bas que vibrait le mouvement, tandis que les circulaires et les téléphones provenaient quand même du 27 avenue de Ségur.

J'ai l'impression qu'Alain a dû passer plus de temps à Ségur quand il est allé fouiller dans les archives pour ses recherches que durant ses années de QG.

Je fréquentai aussi assez souvent le 41, en particulier le matin où ma journée commençait chaque semaine par un cours de talmud du rav Frankforter rue Cadet, et où je me rendais ensuite pour le petit déjeûner..qui se prolongeait parfois tard dans l'après-midi. Beaucoup de gens y furent bien plus assidus que moi et il reste dans de nombreuses têtes comme Les Prés ou le Mont Dore.

Le chateau de Laversine fut aussi le lieu de quelques séances mémorables, telles ces journées de préparations de camps qui se tinrent dans le parc et les prėfabriqués en avril 78 il me semble, et cette réunion d'équipe nationale qui se tint dans le château lui-même, et où Marianne et moi, seul couple marié à cette époque, reçurent magistralement la chambre de la comtesse.

C'est aussi à cette période que Shlomo, alors en poste de relais à Paris de   l' historique organisme Nativ, auprès du consul d'Israël en France de l'époque,  Itshaq Michaéli    (dont l'irremplaçable google m'apprend la disparition le mois dernier, prit contact avec nous et nous demanda de trouver des couples qui partiraient en URSS, , de l'autre côté du rideau de fer de l'époque,  en voyage payé, afin de rencontrer  des refuzniks et de leur apporter du matériel  sioniste méthodes  d'apprentissage  de l’hébreu, stylos, sidourims, livres et  colifichets israéliens).   L'histoire de ces voyages a été mise en film ("les interdits" de Anne Weil et Philippe Kotlarski.2013) et elle n'a en fait jamais été officialisée ni répertoriée dans la liste des actions menées dans le cadre du mouvement, alors qu'en fait sont partis  beaucoup de couples eis (les eis furent l'organisme français juif qui envoya le plus  grand nombre de couples, qui s'acquittèrent tous de leur tâche de façon exemplaire, rapportent aujourd'hui les commanditaires de l'époque), et alors qu'il s'agissait dune réelle action miliאante au soutien des juifs d'URSS, à l'époque interdits d'alyah si ce n'est de judaïsme. Nous chantions alors à chaque rencontre "trois millions de nos  frères vivent là bas dans une cage de fer" qu'avait écrit et que chantait Bertrand en  collaboration avec Bernard Sztybel, et ces voyages permirent à ceux qui partirent  d'avoir eu  un avant goût en "live" de ce qu'était la vie dans le monde soviétique  d'avant  la chute du rideau de fer, et de qui étaient ces réfuzniks.

Marianne et moi partîmes ainsi à Leningrad ( qui ne s'appelait alors pas Saint Petersbourg) et Moscou pour Noël et jour de l'an, fin 1977. Nous faisions partie d'un groupe "tourisme et travail" de bons français, probablement communistes ou aveugles sympathisants du socialisme à la russe, et qui s'étaient offerts ce voyage par l'intermédiaire de leur comité d'entreprise. La rencontre avec eux ne fut pas le moindre exotisme de ce voyage, duquel je ne saurais dire que je n'ai aucun souvenir touristique (nous visitâmes l'Ermitage, nous allâmes à un spectacle de danse russe, on nous parla en long et en large de la "perspective Nevski", et j'ai relativement beaucoup de souvenirs visuels, parmi lesquels souvenirs des monuments, souvenirs de la construction massive à la soviétique, mais aussi souvenirs des femmes de cinquante ans occupées à des tâches d'entretien de la chaussée enplace de cantonniers, des kiosques dans lesquels on ne semble rien vendre d'autre que du poulet, des magasins aux rayonnages vides, et l'aspect terriblement vieillot de tout et en particulier les chambres d'hôtel par lesquels nous passâmes. 

Plusieurs épisodes sont ainsi restés gravés dans ma mémoire. Certains relatifs au voyage en lui-même comme par exemple ce bonhomme qui avait entrepris un voyage en URSS au coeur de l'hiver et ne s'était même pas muni d'un mantreau, comme par exemple le contraste entre le magasin pour touristes et le "grand magasin" Goum, mais j'ai surtout des souvenirs relatifs à notre "mission". Tout d'abord le choc que nous eûmes lors de notre première visite dans l'appartement de Youli Karoline à Léningrad. Non seulement nous réalisâmes qu'ils avaient un meilleur hébreu que le nôtre, mais surtout, au fil de la conversation, entre deux questions sur Israël, ils parlèrent soudain de leurs voisins, avec lesquels ils disaient partager cuisine et salle de bains et wc. Notre guide, de l'Intourist, l'agence officielle soviétique de tourisme, nous avait précisément raconté avec fierté le même jour comment, malgré le peu de temps écoulé (30 ans !) depuis la guerre, il n'y avait plus aujourd'hui d'appartements collectifs. Et nous avions tellement "gobé" sa propagande qu'il fallut nous prendre par la main dans l'appartement et nous montrer concrètement combien la réalité était éloignée de la version officielle "pour touristes".

Ensuite, l'impression d'être suivis et surveillés constamment, avec le téléphone qui sonne dans la chambre d'hôtel (le film témoigne très bien de cela), et l'individu qui suit partout notre groupe comme le montre la photo.

on peut distinguer le patibulaire individu assis au volant. Cette voiture stationnait ainsi partout où nous nous trouvions.

 On m'a reproché d'avoir pris cette photo. Peut-être effectivement me suis-je alors réellement mis en danger. Je n'ai pourtant pas le souvenir d'avoir ressenti quelque chose de tel.

Le passage de la frontière ne fut facile ni à l'aller ni au retour (et certains, tel Alain, se sont fait refouler. Il laissait implicitement Wanda continuer seule puisqu'officiellement ils n'étaient pas ensemble ) mais je ne me sentis pas réellement menacé. Je me souviens comment à l'aller, le douanier ouvrit ma valise, fouilla un peu, prit soudain en main mes tefilins et que je lui dis, encore avant de l'avoir décidé : "c'est à moi!" en français dans le texte et sur un ton involontairement autoritaire. Bizarrement, il s'exécuta, reposa mes tefilins dans la valise et me laissa continuer ma route. Une semaine plus tard, je me souviens juste du soulagement ressenti après que l'avion du retour ait décollé, et la résurgence de l'angoisse quand on nous annonça que l'on allait avoir une escale à Varsovie. Moi qui avais grandi bercé par les récits familiaux accablants sur la Pologne, crus alors que le cauchemar recommençait. J'eus la bonne surprise de me sentir à l'aéroport de Varsovie comme en Europe. On pouvait même commander du jus d'orange au café. À Moscou, on ne vendait que de la charcuterie, de l'eau gazeuse et probablement de la vodka.

Nous rentrions allégés de tout le matériel que nous avions emporté dans les poches intérieures (ajoutées pour la circonstance) de nos manteaux, alourdis de toutes les impressions - et de quelques photos de tout un document dont je n'ai jamais su la teneur mais pour lequel on m'a aussi copieusement fait des reproches - , surtout soulagés d'avoir pu rentrer sans ennui, et conscients d'avoir oeuvré, de n'être pas membres d'un centre aéré mais d'un réel mouvement d'éducation et de militantisme juifs.


mercredi 1 juillet 2015

Les e.is, récit d'une ascension doublement interne.



Suites des vagues post soixanthuitardes ? Conséquence indirecte du fiasco organisationnel du 50ème anniversaire du mouvement ? L'année 74 vit presque une scission se produire. Les tenants des deux camps - un peu schématiquement répartis ici en responsables branche cadette d'un côté, responsables du reste de l'autre - s'affrontèrent de diverses manières.

Je n'ai de cette tempête que de vagues souvenirs, matérialisés en particulier par les photos qui me restent de cette assemblėe générale qui se tint au QG.













Les historiens - et ceux dont la mémoire est moins associative que la mienne - ont sûrement encore en tête les enjeux, et les contenus des débats, et sont d'ailleurs conviés à me corriger ou compléter ce que ma mémoire a pu retenir. 

J'ai beau me souvenir n'avoir nullement été neutre (je n'aurais pu avoir la nationalité suisse : je n'ai pas le souvenir d'avoir été neutre où ni quand que ce soit), ne me restent que les éléments de mon affiliation. Bien qu'étant moi-même alors responsable BC, je ne partageai pas ainsi les positions des retranchés du même camp, et me sentai plus du côté de leurs opposants. De façon générale, au long de ma vie, tout en gardant d'eux quelques distances, je me suis en général rangé plus près de ceux qui se trouvaient qualifiés de gauchistes, que des partisans de l'autre côté, surtout quand je craignais de risquer d'être considéré comme réactionnaire.

Une réaction de Joël à ce papier aiguisé mon souvenir et me rappelle que contrairement au CN de 1973, cette polarisation était cette fois bien plus éducative que politique. Le sujet qui nous faisait nous dresser les uns face aux autres était principalement le mode éducatif avec lequel nous voulions continuer, mode plus libéral ou didactico directif. Mai 68 prônait un système qui mettait l'enfant, ses désirs, et ses instincts bien plus au centre que ne pouvaient l'accepter certains. Discussions d'où il émane combien les animateurs que nous étions nous sentions investis et mobilisés par l'éducation et l'éducation juive en particulier.

C'ėtait un peu comme si d'un côté, les activités des dimanches et les camps continuaient à se dérouler "business as usual", tandis qu'en coulisse et au niveau des responsables, le mouvement était en ébullition, était le lieu de la révolte de ses protagonistes qui préféraient peut-être ce théâtre à leurs passions, aux lieux plus exclusivement français (campus universitaire ou lycée, dans lesquels la mobilisation était quotidienne ou presque), à l'intérieur desquels ils ne trouvaient qu'imparfaitement leur place.

Quant à moi, dès ma deuxième année d'animation, j'étais clairement beaucoup plus investi, émotionellement comme effectivement, au sein des eis que dans le lieu de mes études.
Je n'étais plus au lycée d'Antony, où je m'étais senti très impliqué, mais où, en partie de ce fait, j'avais aussi laissé quelques plumes, et le lieu où je me sentais chez moi était le mouvement e.i.

Le paroxysme de cette période fut peut-être cette fin d'été 74, avec ce très grand stage de septembre au mont Dore, qui ressembla peut-être plus à Woodstock qu'au colloque des intellectuels, pendant lequel je peux attester avoir été stagiaire "pour de bon" (dans un stage 3ème degré, ou « perfectionnement », entre autres en compagnie de Mickey alias Michel Nakkache, aujourd’hui président émeritus, et dirigé par Gisèle Benitah), mais dont mes souvenirs sont énormément plus affectifs et émotionnels ( accueil du shabbat avec tefila et embrassades, chant avec Gilbert, cours avec tel invité marquant, veillées ne sont que des exemples ), que relatifs à tel ou tel enseignement reçu.

Peut-être ceci est-il loin d'être secondaire parmi les mobiles d'un stage de "formation" en mouvement de jeunesse ?

Je garde de ce stage un souvenir exactement comparable à celui que j'ai de mon passage sur le plateau du Larzac l'été suivant mais à une différence - majeure - près : au Larzac c'était vraiment Woodstock : grande fête, musique, joints, un peu de nudité, un tout petit peu de mobilisation contestataire. Au Mont Dore, ce n'était pas "la fête" mais le tout était très festif et surtout réchauffait le coeur, la musique était au rendez-vous mais le côté "chanter ensemble" l'emportait sur le côté musical, il y avait probablement quelques joints de ci de là et de la sexualité "adolescente - jeune adulte" mais ces deux derniers étaient plus clandestins que publics, peut-être plus régis par le "ma tovou ohalekha 'yaakov mishknotekha Israël" que par le sécularisme ambiant ("qu'elles sont belles tes tentesYaakov tes demeures Israël" s'était exclamé le triste prophète Bileam, pourtant venu maudire Israël. Et les commentateurs suggèrent que ce qui avait le plus frappé Bileam était que les tentes d'Israël n'ouvraient pas l'une sur l'autre, que le camp était comme marqué du sceau de la pudeur).
La contestation était très présente mais elle s'exprimait autour d'enjeux "privés", juifs. 
C'était la révolution adolescente interne au monde juif. 

Ce stage a été considéré houleux, voire dangereux par plusieurs responsables du moment, qui craignaient probablement cette "importation" de l'ambiance estudiantine à l'intérieur de la communauté juive (on ne parlait alors pas encore d’amalgames…). 

Je ne prenais à cette époque que "position tripale", du fait de vers quoi ou par quoi j'étais plus attiré. Cela ne fut que quelques années plus tard que je trouvai les mots et les arguments pour expliquer ma position, je le raconte par un exemple même s'il est ici antichronologique : alors que quatre ans plus tard j'étais "permanent" au QG, naquit entre Ami, Alain et moi l'idée de créer un oneg shabbat pour animateurs. Alain et moi respections alors le shabbat et nous avions un problème avec la mise en place d'une activité qui allait obliger la majorité à transgresser shabbat pour s'y rendre. Ce fut Ami qui "emporta" mon hésitation par un argument qui avait pour effet associé de "mettre mes idées en place". Rav Ami dit : "il vaut mieux que tous ces adolescents qui prennent de toute façon le métro le shabbat, le prennent pour venir étudier chez nous que pour aller au café". Un lieu d’éducation véritable se doit de laisser une place à l’expression de la fièvre adolescente et des conflits internes des protagonistes, surtout s’il se prétend pluraliste. Mieux, il faut que cette fièvre soit intérieure, c'est-à-dire qu’elle s’en prenne aux enjeux internes, et ceux-ci doivent pouvoir s’exprimer au sein du mouvement : il est meilleur d’importer les sujets qui font bouillir l’individu que de lui recommander de les gérer en dehors, ou pire, que d’exclure ceux qui vivent ces passions. Et je reviendrai plus loin sur cet oneg qui connut de très belles heures.

Revenons en 1974. Après ce stage, il y eut l'AG que montrent les photos, et une suite un peu cahotique, avec départs, arrivées, troubles financiers, qui furent très majeurs pour le mouvement, et assez mineurs pour l'animateur devenu responsable que j'étais.

Nous étions dès ce stade Marianne et moi à la tête de notre petit monde, la branche cadette (que l'on appelait plus "la meute de louveteaux" mais le groupe de bâtisseurs) de la Place des Vosges, qui fut pour nous une sorte de stage préparatif....à notre vie commune, qui commença en juin 1975.

Ces deux années 73-74 et 74-75 furent pour moi de mauvaises années au plan universitaire, j'étais sur une mauvaise voie, que le désastreux système scolaire français m'avait persuadé d'emprunter et c'est Marianne qui m'a sorti de l'ornière en me suggérant d'aller enseigner, ce que je fis en septembre 75 et que j'ai raconté dans les épisodes "Maïmo" sur ce même blog (textes à trouver dans l'historique du blog, premier trimestre 2015).

J'étais en parallèle de cela peu impliqué aux eis, dimanches et camps mis à part, jusqu'à ce beau jour où, alors que je venais manger le repas de midi à ce que l'on appelait alors Broca et qui devint "centre rachi" par la suite, je fus "embrigadé" par deux personnes que je ne connaissais pas encore mais qui furent presque centrales pour ma vie des quatre-cinq années à venir : Monique Elfassy et Charlie Finel.

Ils étaient en chasse, chercheurs de "têtes" qui allaient pouvoir "reprendre" un QG devenu désert, dans une situation de mouvement laissé plutôt dévasté par les évènements des trois années précédentes. 

J'avais le profil : il fallait ne pas chercher à gagner d'argent, être prêt à consacrer un gros mi-temps à l'engagement juif au sein des e.i.s, et accessoirement avoir des capacités un peu éducatives, un peu organisationnelles, et un peu de charisme. 

Nous fîmes rapidement affaire et je sais gré à mon environnement familial de n'avoir manifesté aucune réticence, aucune opposition.

Je travaillai au QG trois ans, et ce furent trois "grandes" années.

Nous étions au début surtout trois, après que - si mes souvenirs sont exacts, Alain, à l'aide ! - Michel Latino et Mimiche Sicsik aient terminé leur fonction en septembre.

En septembre 76 s'était déroulé une nouvelle fois un grand stage (mais plus petit, dans un mouvement plus décimé) au Mont Dore.
J'y faisais mes débuts en tant que formateur, mais je crois que je n'étais pas encore en glorieux poste de "responsable national branche cadette", tandis que Michel et Mimiche étaient en fin de parcours, et qu'Alain avait déjà pris ses fonctions.

Dans un premier temps, nous dirigeaient principalement Monique et Charlie, assistés de Nicole Kauffmann et de quelques tenaces qui n'avaient pas été emportés par les flots tels J.P. , Alain Silberstein, Buisson, Jacques Pulver, et qui passaient de temps à autre nous assister, nous corriger l'azimuth. Le secrétariat existait, Paule commençait à exercer ses fonctions de comptable, mais il n'y avait par exemple plus d'argent pour payer un offsettiste ( le travail au QG comprenait une importante part d'écriture de circulaires et de projets, et de publications de journaux, brochures pédagogiques, méthodes, formulaires d'inscriptions à activités) et nous faisions tout nous-mêmes, quand même un peu soutenus - et formés au chevauchement de la machine - par l'ancien offsettiste (qui revint bientôt) Christian Guesdon, zal.





Nous avions une lourde tâche, celle de reprendre une production qui avait été riche et intensive, de l'époque de Raphi Bensimon, Daniel Robinsohn, Gilbert Dahan pour ne nommer qu'eux et dont les quelques archives que j'ai conservées témoignent de l'énergie et de la qualité de leur travail.

J'ai d'excellents souvenirs de toute cette main à la pâte qu'il fallait mettre au jour le jour. Travailler au QG peut donner l’impression d’étre proprié taires d’un hôtel particulier haussmannien. On « possède » ainsi  littéralement des lieux avec escaliers, entrée, porche et cour à l’ancienne. Qui se souvient  d’Alain passant d’une fenêtre « chien assis » à l’autre par l’extérieur, dans le seul but de tester la résistance cardiaque de la secrétaire ? Arriver le matin dans ce 7ème arrondissement bourgeois, saluer au passage l’église Saint François Xavier ou l’hôtel des Invalides, ne pas entrer au café mitoyen dont le propriétaire manifeste trop d’hostilité, saluer Madame Lucette et sentir les odeurs vieillottes. Le soir, partir tard, parfois très tard, en dévalant le majestueux escalier à grand bruit sans craindre de déranger qui que ce soit dans ce grand immeuble vidé de ses quelques occupants des heures de bureau.

 J'aimais beaucoup ce rôle de coordinateur de gens répartis sur l'ensemble du territoire et pour lesquels il fallait maintenir (recréer) la cohésion. Cela se faisait un peu par téléphone, mais à cette époque anté internetique, et anté téléphones portables, c'était surtout par écrit et par l'intermédiaire de la poste que les choses se géraient. 

J'aimais beaucoup écrire (!??), puis, s'il s'agissait d'une circulaire, faire tourner la ronéo, s'il s'agissait d'un journal, utiliser la grande machine offset qui tenait toute une pièce du QG.
Alain dessinait alors et illustrait ainsi ce qu'il écrivait, j'écrivais surtout, étais préposé aux corrections de fautes d'orthographe. Nous assemblions, collions et postions nous-mêmes tous les numéros des journaux que nous éditâmes, Yossi pour les bâtisseurs, Contact pour les animateurs, bulletin e.i., et j'ai oublié les autres noms.



Cette première année, nous étions encore comme en re-création, ( et aussi d'ailleurs en récréation, l'ambiance était à beaucoup de travail assaisonné d'énormément de rigolade), plutôt seuls et isolés, nous "reprenions" un QG qui avait comme subi un déluge, auquel n'avait survécu pratiquement que Madame Lucette la concierge (qui me fit un accueil royal le jour de mon arrivée : je ressemblais à ses yeux énormément à mon père, qui avait été "permanent régional" vingt ans plus tôt et de qui elle se souvenait très bien !  Je restai longtemps pour elle "le fils de ouistiti" ), les travailleurs du SSJ du premier étage, et le légendaire secrétaire de la maison d'enfants de Laversine et son accent pittoresque.

Et c'est à partir de la seconde année que les choses prirent de l'ampleur, en particulier autour - et du fait - de l'arrivée d'Ami.

Mais la cerise sur le gâteau de ce rôle de RNBC était l'organisation des camps d'été, qui étaient un véritable challenge, hautement formateur pour l'étudiant inexpérimenté de 21 ans que j'étais. Cela impliquait de "créer" la grille des camps bâtisseurs (qui étaient des camps "nationaux"), définir le budget et organiser les inscriptions, trouver les chefs de camps et constituer les équipes pédagogiques, prospecter, trouver et louer les maisons (les bâtisseurs campaient alors en "dur"), solliciter les intendants, engager les cuisinières, orchestrer la préparation des camps eux-mêmes, puis, durant le mois de juillet, faire la "tournée" de ces sept ou huit camps. C'était un vrai travail de direction et d'organisation qui m'équipa littéralement pour bon nombre d'activités futures (dont je parlerai probablement un jour), c'était pas mal aussi de situations d'urgences, de coordination,.... de coups de gueule (on m'a rappelé récemment qu'il peut m'arriver de manifester quelque peu mes sautes d’humeur, froncer les sourcils, hausser le ton, que sais-je encore...que l’on veuille bien me pardonner : elles ne sont que le signe de combien je prends les choses à cœur, et un tout petit peu aussi de quelques ascendances turques), mais aussi beaucoup de contacts interpersonnels, d'investissement affectif, beaucoup beaucoup de plaisir.

A suivre.