jeudi 12 juillet 2018

Du jardin des Plantes à l'hopital St Antoine


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Les extrémités géographiques du périmètre que je vais tracer sont à l’ouest la seine et, au-delà du pont d’Austerlitz le jardin des plantes, au nord-ouest, la place de la Bastille, au nord, la rue Basfroi à son confluent avec l’avenue Ledru Rollin, et au sud la gare de Lyon. A l’est, la frontière est tristement je dirais marquée par l’hopital Saint Antoine, auquel aboutit ce récit.

C’est un périmètre qui s’étend à cheval sur le onzième et le douzième arrondissement, et dont l’artère centrale est la rue du faubourg Saint Antoine, celle qui marque précisément la frontière entre les deux arrondissements.





Entre l’avant-guerre et le milieu des années quatre-vingt, ma famille maternelle habitait ce quartier.



Ma mère et ses parents s’y étaient installés avant-guerre, au 219 rue de Bercy, tandis que mes grands-parents investissaient les économies méticuleusement obtenues en dix ans de travail sur les marchés dans la location de « la boutique », sur l’avenue Ledru-Rollin, en face de l’église Saint Antoine.

 La demi-soeur et le demi-frère de ma grand-mère les avaient rejoints, et la guerre mit cette lente installation en hibernation. Une hibernation très mouvementée, la famille ayant quitté Paris lors de l’exode de 1940, puis s’était réfugiée à Prades dans les Pyrénées orientales, d’où ne devaient revenir qu’une partie d’entre eux.

Ils surmontèrent les difficultés du retour d’après-guerre, difficultés financières (le stock qui leur avait permis de survivre s’était écoulé, l’appartement dont le loyer avait pourtant été régulièrement payé, avait été loue à un triste individu qui ne se laissa pas facilement expulser) et se réinstallèrent dans le quartier.
Les deux filles de mes grands-parents, ma tante Mathilde et ma mère quittèrent bientôt le foyer maternel, chacune s’étant mariée, et elles s’installèrent aussi dans le quartier.



Tandis que mon cousin Daniel naissait en 1949 au 4 rue de Candie, je vins au monde en 1955, au 64 avenue Ledru Rollin,


où nous habitâmes jusqu’au passage à Wissous en 1961, au deuxième étage d’un immeuble hausmannien, tout en longueur, avec balcon sur l’avenue. Un balcon baigné quotidiennement de la fumée des locomotives de la dernière ligne non electrifiée circulant le long de l’avenue Daumesnil et traversant l’avenue Ledru Rollin sur le pont qui jouxtait le balcon.



J’ai des souvenirs olfactifs de cet appartement qui abritait aussi le cabinet dentaire de ma mère, et des réminiscences (qui me paraissent plus le souvenir de quelque chose que l’on m’a raconté qu’un véritable souvenir d’enfance) de ce long couloir que je parcourais en tricycle, et qui s’achevait par une chicane avec la cuisine sur la droite et la chambre (ma chambre?) sur la gauche.

L’appartement des Sznajder était au 5ème étage, ce qui fait que lui aussi (la plupart des immeubles hausmanniens ont un balcon au second et un balcon au 5ème) avait un balcon, balcon très ètroit mais sur lequel fut quand même chaque annee installée une soucca, entre 1973 ou 74 et peut-être le dèbut des annees 80, avant la maladie puis le dècès de Simon en 1985, et le départ de Mathilde pour Israël peu de temps après.





On m’a raconté maintes fois comment une partie de mes activités régulières étaient les visites à la boutique qui fut dans un premier temps tenue par mes grands parents et ensuite par tante Lonia.

Je fus aussi irradié aux ultra violets par Jacques Mallah en compagnie de Daniel (Mallah) qui a un an et demi de plus que moi, dans leur appartement de la rue Michel Chasles où se trouvait aussi le cabinet médical avant qu’ils ne montent habiter au 5ème, où il y avait aussi un balcon. Une photo de lui, son frère Michel et moi dans une poubelle de jardin publique est une preuve des jeux que nous avons joués ensemble au jardin des plantes, lequel abritait aussi le jardin botanique, le musée paléontologique et une ménagerie dont l’attraction la plus populaire - à mes yeux, aussi souvenir induit - était le chameau.

J’allais à l’école maternelle rue Charles Beaudelaire, où mme Lopata fut mon insitutrice, tandis que sa fille Geneviève fut à peine plus tard ma première prof. de piano. Michel aussi apprit les bases du piano chez elle, et peut-être continua-t-il plus longtemps que moi, je me souviens en tout cas qu’il atteint un meilleur niveau que moi. Plusieurs années à la suite, les Lopata, mère et fille, organisaient une séance annuelle de concert pour tous les élèves dans leur maison de Sucy en Brie où nous nous rendions cérémonieusement. J’ai quand même le souvenir de leur immeuble, et en particulier des chaises qui avaient été disposées par elles sur les palliers afin qu’elles puissent s’asseoir en cours de montée. Il me semble qu’elles habitaient aussi au 5ème.

Mais à la différence des balcons de la rue de Candie et de la rue Michel Chasles d’où nous lachâmes maints liquides sur de malheureux passants, rien de tel ne se produit depuis l’appartement Lopata où je ne suis venu que pour m’asseoir docilement face au piano et y jouer quelques morceaux de débutant sous la conduite bienveillante de Geneviève assise à mes côtés.

Le marché d’Aligre était dans mon souvenir comme le centre du quartier, et je ne sais pourquoi, c’est à Mathilde qu’il est associé, peut-être parce qu’elle en était la plus proche géographiquement, ou qu’elle l’aimait.


Tante Lonia habitait au coin de la rue Emilio Castelar et de la rue de Prague, ainsi qu’Arnold et je n’ai que de vagues souvenirs de leurs maisons.


Habitait aussi dans le quartier, rue de Charenton, un couple sans enfants, les Stark, et j’ai dû passer du temps chez eux parce que j’ai plus de souvenirs. Ils avaient un chien nommé Bobby, une bonne pâte de chien, genre basset, et Lola, dont j’entends encore dans mon oreille la voix et l’accent polonais me servait quand je venais chez elle de la pomme râpée saupoudrée de sucre, que j’aimais beaucoup, ainsi que leur contact, à Francis et à elle.



Leur immeuble était d’un niveau inférieur aux autres mentionnés jusqu’ici et j’ai le souvenir de la cour, d’escaliers plus rudimentaires, et surtout des wc à mi-étages qui devaient encore être bien courants dans le Paris des années 50.



Les rues, leurs trottoirs, leurs pavés, et les entrées d’immeubles avec leurs lourdes portes ne sont ainsi pas moins importants dans mon stock de souvenirs que les maisons et les gens.




J’ai de forts souvenirs de l’avenue Ledru Rollin, ses trottoirs, ses feux, ses ponts (celui du chemin de fer mais aussi le pont d’Austerlitz qui en est l’aboutissement..ou le point de départ), ses boutiques (le restaurant « la frégate » dont j’aimais l’enseigne), souvenirs qui ne remontent pas qu’à la petite enfance puisque plus âgé, j’allais à la piscine située alors (le bâtiment a été détruit il y a bien trente ou quarante ans) dans les premiers numéros de l’avenue.

Je sens sous mes pas la rue Trousseau que j’empruntais pour arriver rue de Candie, rue Trousseau où Daniel, puis Michel, allaient à l’école - on en voyait la cour depuis son balcon, elle est aujourd'hui le collège Anne Frank- , le passage Saint-Bernard, la rue de la forge royale (un nom qui m’a toujours fasciné), où était la boucherie cachère, 
et « le faubourg » comme tous l’appelaient.

Il était à l’epoque encore le coeur de l’activité ébéniste parisienne.

Ce sont les artisans ébénistes qui menèrent la révolte puis la destruction de la Bastille.


 Dans la partie qui va de l’hopital Saint Antoine à l’avenue Ledru Rollin se trouvaient
tous les magasins, toutes les échoppes de materiel, quincailleries spécialisées en serrures, en poignées, en vis de toutes tailles. Après le métro faidherbe-Chaligny, en direction du boulevard Voltaire se trouvaient tous les magasins d’outillage du menuisier ébeniste, rabots, gouges, limes, ciseaux à bois, scies, maillets à plaquer, trusquins, equerres, et dans la partie qui reliait l’avenue Ledru Rollin à la place de la Bastille on ne trouvait aucun autre commerce que marchands de meubles.

Ai-je puisé à ce faubourg la source de mon activité ébéniste qui m’accompagne sans discontinuer depuis l’arrivée à l’âge adulte ? Peut-être. Je me souviens que Marianne et moi fabriquions ma première vraie table à La Troche sous l’oeil interessé de Simon, qui arriva le prochain dimanche avec un « niveau », en bois passablement vermoulu, qu’il tenait de son père et me remit ce jour solennellement en cadeau. Le niveau est toujours en bonne place dans mon atelier.



Et last but not least j’ai le souvenir d’énormément de temps passé dans l’appartement de la rue de Candie, chez Simon et Mathilde, et Daniel et Michel Sznajder, aujourd’hui tous les quatre disparus.

Cet appartement m’était très familier. Je peux encore sentir son atmosphère, l’odeur d’encaustique qui l’envahissait, je me souviens du moulin à café electrique accroché au mur de l’étroite cuisine, au-dessus de la table, et de son fracas quand il était mis en marche, peut-être plusieurs fois par jour.

Je me souviens de la conformation de l’appartement, la salle à manger avec son accès au balcon, la chambre de Daniel et Michel et je me souviens de m’y trouver, surtout en compagnie de Michel, mais avec Mathilde, Simon, et Daniel, en toile de fond.



Daniel avait six ans de plus que moi, et donc sept ans et demi de plus que Michel, et c’est une grande différence d’âge quand on n’a pas encore même 15 ans. Je me souviens qu’il racontait les chahuts de sa classe du lycée Charlemagne, comment il imitait tel prof. (qui par exemple demandait à son meilleur copain pour le prier de baisser le store : « Charmes, faites-en sorte que le soleil disparaisse » et Daniel de raconter cela à grands renforts d’éclats de rire comme si n’existait pas de manière plus cocasse de s’adresser à un élève).

Mes souvenirs de lui sont aussi très reliés à nos grands parents communs, auxquels il était très attaché et au sujet desquels son discours était régulièrement ponctué de fous rires, que ce soit pour raconter tel épisode survenu en voiture, ou telle expression meurtrière - et en yiddish - de pépé, et sont associés à la deuxième boutique, celle qu’ils tenaient rue des fossés Saint-Jacques, en bordure du panthéon, quand Tante Lonia eut repris la boutique de l’avenue Ledru Rollin. Alors, eux aussi avaient dejà quitté le quartier, ayant un appartement au-dessus de la boutique.

A partir de cette époque, le centre de mon activité parisienne se déplaça et se situa au quartier latin, avec le boulevard Saint Michel, les stations Luxembourg et Odéon, et la rue Servandoni, racontée ailleurs.

Je ne revins au faubourg que comme adulte nostalgique qui trouve toujours une raison de passer par là-bas à chaque visite à Paris, en général pour acheter du matériel d’ébénisterie, ou photographique sur le boulevard Beaumarchais, de l’autre côté de la place de la Bastille.

Il y a un mois, Daniel ne survivait pas à son hospitalisation en soins intensifs à l’hopital Saint Antoine, et succombait encore avant d’avoir même entamé la vieillesse à une féroce maladie auto-immune.

Que son souvenir soit source de bénédictions.



מרכזה של המפה המנטלית שברצוני לסרטט כאן נמצא סביב רחוב אחד בפאריס, שמוביל מן הקצה המזרחי של העיר אל מגדל הבסטיליה, ושמו rue du faubourg Saint Antoine.
הרחוב כמעט ישר לכל אורכו. הוא עובר דרך בית חולים Saint Antoine, שוק marché d’Aligre, חוצה את avenue Ledru Rollin ומסתיים כאמור בכיכר de la Bastille שעל רצפתה נמצאו שנים ארוכות שרידיה של המבצר שהופל במהפכה הצרפתית ושבמרכזו מתנשא המגדל ולמעלה מלאך קטן שעומד על רגל אחת.

ביליתי בשכונה זו את שנות חיי הראשונות, הייתי גר בavenue ledru Rollin, לסבים שלי היתה חנות ללבני נשים באותו רחוב, הדודים שלי היו גרים ברחוב קטן מקביל לfaubourg, בrue de Candie, ועוד בני דודים אחדים היו מתגוררים בקרבת מקום, ב rue de Prague. כולם היו קונים בשוק marché d’Aligre, אני למדתי את שנות הגן, école maternelle, ב rue Charles Baudelaire.

לציר המרכזי הזה, היסטוריה מפוארת. זה היה מחוזם של בוני הרהיטים לאצולה, המקום בו התפתחה הנגרות הארופאית, וכל חצר, כל חנות היו עוד מקום בו לקנות דברי פרזול או כלי עבודה, או רהיטים, ונגריה ועוד נגריה.

העובדים בנגריות אלה, שהיו עושים את כל עבודתם באופן ידני, לפני עידן החשמל, היו הפועלים שלקחו את החלק הפעיל והמרכזי במהפכה הצרפתית. אלה הם שהפילו את מבצר הבסטיליה, אבל אלה הם על מי יושבת מקצועיות עבודת העץ ליצירת רהיטים. בחצרות אלה פותחו ושוכללו כל הטכניקות מהן מתפארת אומנות זו, באמצעות מפסלות, מקצועים, מסורים ופצירות מכל מיני סוגים.

ואני גדלתי שם באופן מקרי בלבד, כי השכונה היתה יחסית זולה, ולא רחוקה מהמרכז היהודי של פריס דאז.

אבל המקצוע הזה, ועיצוב ובניית רהיטים הפכה לחלק מאד מרכזי בחיי.

אין לי יותר אף אחד מבני המשפחה בשכונה, אבל לעליות לרגל, או לחיפוש ורכישת כלי עבודה ומרכיבי פרזול, או סתם לצילומי רחוב, אני חוזר לשם שוב ושוב

lundi 2 juillet 2018

Servandoni encore. Pour Daniel.





Servandoni des adultes, que je côtoyai depuis l’enfance et l’adolescence, et auquel je m’intégrai.

Ce local de l’union libérale israélite était bien rentabilisé : le talmud torah pour les enfants le jeudi (puis le mercredi) matin, une activité communautaire hebdomadaire les samedis après midi, et l’institut à proprement parler, tous les jours de la semaine.

Le mercredi après-midi, une fois les rires et cris des enfants du talmud Torah dissipés, l’immeuble retrouvait sa dignité du quartier latin. L’immeuble historique jadis habité par Olympe de Gouges réajustait sa cravate, les escaliers étaient de nouveau parcourus de pas feutrés par de dignes adultes, habitants bourgeois du cinquième arrondissement ou par les sérieux étudiants de l’IIEH, institut international (sic !) d’études hébraïques, fondé par la communauté libérale de France et voué à la formation des rabbins libéraux de l’avenir, et toute la paisible et étroite rue joignant l’église Saint Sulpice au jardin du Luxembourg, dans laquelle Victor Hugo choisit de loger Marius Pontmercy (Les misérables) retrouvait sa quiétude.

Les étudiants adultes étudiaient et suivaient leurs cours dans les salles de classe du premier étage, et s’asseyaient en silence pour faire leurs travaux, mener leurs recherches, dans la majestueuse bibliothèque du rez de chaussée.



Et le samedi après midi était comme un mix de ces deux ambiances.

Les adultes arrivaient en fin d’après midi, les enfants en âge moyen qui n’étaient pas à l’école (à cette époque, on était à l’école samedi après midi compris si ma mémoire ne me joue pas de tour) et les adolescents étaient, qui pris en charge, qui arrivant au compte goutte, tandis que les adultes assis autour de la grande table écoutaient un cours, s’adonnaient à une séance d’étude.

Vers la fin de l’après-midi, tous descendaient à l’oratoire en sous-sol, auquel on accédait par un escalier en semi-colimaçon, où se déroulait l’office, suivi de la havdala qui marquait la fin de la réunion pour les adultes et les enfants, tandis qu’elle était un peu le point de départ de l’activité adolescente qui consistait le plus souvent en une sortie au quartier latin, ou à une soirée récréative (soirée conférence-débat, ou plus festif) sur place.

Le groupe se réunit environ durant une dizaine d’années, entre la fin des années soixante et la fin des année soixante-dix, fut pour bon nombre d’entre eux leur voie d’accès au judaïsme, et devint assez soudé, assez pour que chacun des participants se sente encore concerné par les souvenirs que je raconte alors que se sont écoulées près de cinquante ans.

Mon cousin Daniel, auprès du nom duquel je dois avec effroi, et depuis une petite semaine déjà, ajouter la mention « zal » (de mémoire bénie selon la traduction consacrée), a été un peu un pilier de cet édifice, et est central dans le souvenir que j’ai des années « servandoni », de mes années d’adolescence.

Daniel avait six ans de plus que moi, et je suivis pour ainsi dire ses traces dans ce lieu, tandis que lui semblait aller dans la direction montrée par mes parents. J’ai enseigné au talmud torah à sa suite, j’ai étudié dans cet institut et sous sa direction matière à présenter l’hébreu en seconde langue au bac, avec une solide formation de grammaire ( transmise par Daniel sur base du livre Ben Meïr dont les anciens du lieu évoquaient le souvenir avec respect et admiration. « Il traversait tout Jérusalem pour venir converser en araméen avec le boucher d’Emek Refaïm ! ») , mais non moins les premiers rudiments d’étude des textes traditionnels (tanakh, midrach, talmud, Psaumes en particulier), après lui, sous sa direction et à ses côtés j’ai officié et lu la Torah pour ces offices du samedi soir - et des fêtes de tichri, et je continue encore chaque samedi soir à chanter la havdala comme j’ai là-bas appris à la chanter, tandis qu'il faisait de même.

Se tinrent ainsi quelques années sous la responsabilité de Daniel des offices de tichri, et en particulier la terrible année 1973 où nous vécûmes ensemble le déclenchement traumatisant de la guerre de kippour. Nous ne savions pas encore que Nah’chon, notre cousin, connu de nous seulement trois ns plus tôt lors de notre passage à Sarid, tankiste sur le golan, tombait ce même jour.

Daniel assumait la quasiment entière responsabilité de tous ces offices, et je le soutenais pour la lecture de la Torah. Nous nous sommes rendus ensemble chez Kaçman pour la préparation, j’ai appris ces lectures sous leur direction. Daniel menait l’office et chantait les morceaux de bravoure de ces fêtes, kol nidré, ounetané tokef, sur les airs de notre enfance à Copernic, avec la nostalgie de Kaçman en arrière plan.

Le samedi après-midi, il mena plusieurs années à la suite la séance d’étude pour les adultes, et, comme je le ressentis plus tard, je suppose qu’il put se sentir alors une certaine aura, susceptible de procurer une certaine exaltation, alors qu’encore tout jeune, il recevait l’aval d’un auditoire fidèle et attentif d’adultes respectables et instruits.

Dans la semaine, il étudia sur place sa maîtrise d'hébreu (tandis qu'il étudiait en parallèle à la rue d'Assas une licence de droit, effectuant en solex les trajets de l'un à l'autre), et il enseignait aussi à l’institut. L’hébreu, notamment. J’étais de ses élèves. Lyliane aussi.

Comme je l’ai déjà écrit dans les précédents chapitres des récits de ces années, sur ce même blog, Servandoni nous fut comme une maison. Celle où l’on n’habite pas mais dans laquelle on se sent comme chez soi. Parce qu’on y est habitué, on connait le poids de la lourde porte d’entrée, la configuration du porche, on a en tête sans calculer le nombre de pas qui séparent l’entrée du début de l’escalier, la couleur des murs, l’odeur. Et parce qu’on s’y est développé. On y a été petits, et on continue d’y être, d’y venir et d’en repartir.

Je me souviens d’y arriver tant à pied qu’en mobylette ou en voiture les derniers temps, ou encore à pied, en longeant le jardin du Luxembourg et le Sénat, avec une familiarité comparable à celle que je ressentais à l’arrivée à la maison.

Servandoni n’était ainsi pas une option. La question : « irai-je à Servandoni ? » n’exista pas durant bon nombre d’années.

C’était là-bas que nous allions, le samedi après midi, pour les grandes fêtes, le mercredi matin pour enseigner, et au moins un soir par semaine pour telle ou telle séance d’étude, différente au fil des années.

Et le personnage de Daniel était inséparable de la situation. Je ne sais combien il y étudia et y enseigna mais lui aussi y évoluait comme dans sa propre maison.

Il me semble que son activité prit fin peu après son mariage, autour de la naissance de Laure, donc en juin 1975.

Même si la communauté poursuivit encore ses activités plusieurs années, sous la direction de Benjamin Douvshani, le groupe que j’ai connu me parait s’être dispersé aux alentours de cette même année, du fait que ma génération devenait aussi adulte et que chacun débutait une nouvelle vie.

Alors que rien de cela n’était ni concerté, ni même en un aboutissement logique quelconque, le noyau de cette communauté est en Israël, principalement à Jérusalem, depuis de longues années, et toutes les raisons qui provoquent des rencontres donnent en général lieu à retrouvailles émues, au cours desquelles le nom de Daniel est toujours évoqué.

Deux des enfants de Daniel (et Lyliane) ont suivi ou ont fait partie de ce mouvement d'alyah, Daniel et Lyliane sont restés en France, ne se sont achetés un appartement à Jérusalem que peu de temps avant la disparition prématurée et inattendue de Daniel, en cette fin de juin 2018, presque un an jour pour jour après la disparition de son frère Michel, eux deux finissant leur vie à un âge bien jeune comme cela avait été le cas de leur père Simon.
Que leurs souvenirs soient sources de bénédictions.