Le peuple juif et les peuplades qui occupent le pays...du
temps de Josué, de David, et de Netanyahou.
Le livre de Shmuel contient sur sa fin un
épisode considéré comme "rapporté״, non chronologique,
c'est à dire vraisemblablement antérieur à la fin du livre, qui relate la fin
de la royauté de David. Un épisode qui me parait de nature à être étudié, non
uniquement par les amateurs et les professionnels de l'étude des textes
bibliques et talmudiques mais au moins autant par les individus préoccupés des
structures de la société israélienne, ainsi que par les gens que l'organisation
de la société en général intéresse ou même tracasse.
Le texte relate donc une famine qui vient
sévir sur le pays pendant trois ans (Samuel II 21,). Il est écrit que le roi
David s'interroge sur les causes de cette famine, et il faut déjà relever que
l'on ne parle nullement des causes agricoles ou purement physiques. On pourrait
en déduire hâtivement qu'aux temps de la Bible, les humains étaient primitifs
et ne faisaient attention ni à la consommation d'eau ni à sa pollution, et
probablement que cela serait non seulement trop rapide mais surtout
prétentieux. On a vite fait de jeter un regard méprisant sur les sauvages dont
nous sommes les descendants.
Et ainsi, les causes recherchées par le roi
David sont uniquement au chapitre de la moralité, comme pour établir un lien de
cause à effet entre abondance et comportement humain. La pluie qui ne tomberait
qu'en proportion au niveau moral de l'humanité qui la reçoit, voilà qui fait
abondamment rire l'intellectuel universitaire du 21ème siècle à qui on ne peut
plus raconter des balivernes de primitif.
Le roi David se tourne donc, disent les
textes talmudiques vers les "plaies morales" qui peuvent anéantir une
société, la dépravation sexuelle, le crime et l'idolâtrie et reçoit visiblement
des rapports satisfaisants, qui le poussent à une conclusion dont on
souhaiterait qu'elle vienne à l'idée de quelques dirigeants modernes :
"c'est donc lié à moi" dit-il, et part interroger le Seigneur. De
cela aussi il parait difficile aux modernes occidentaux de ne pas se gausser :
"interroger le Seigneur"...Ils ont tout de suite en mémoire la phrase
assassine de Gainsbourg "l'homme a créé Dieu, le contraire reste à
prouver", dont le message est aujourd'hui plus la bible que la Bible. Un
peu de sérieux nous diront-ils.
Sans s'attarder sur cette composante
théologique, terrain sablonneux s'il en fût, je propose de ne pas passer trop
rapidement sur l'anecdote.
David reçoit de l'Eternel une réponse qui
est au coeur de ce texte : la famine serait due à deux fautes graves, l'une vis
à vis des guibeonim, (que le roi Shaül aurait "tués") l'autre vis à
vis du roi Shaül et de son fils (qui auraient été enterrés en mépris de
l'honneur qui leur revenait).
Le caractère duel de la désignation est ici
intéressant. Les deux fautes remontent à Shaül mais d'une part pour ses propres
actions, d'autre part pour la conduite vis à vis des honneurs qui lui sont dus.
Il y a ici, dès le début du rattachement de
la famine qui accable le pays aux fautes de son dirigeant, et aussi du fait de
ce qui suit, tout un regard sur l'organisation de la société dont on aurait
peut-être intérêt à s'inspirer aujourd'hui, dans la préparation de demain.
Rappelons au passage certains rois que la
populace a guillotinés, pendus, livrés. Ici, selon la justice divine il
faudrait tout à la fois incriminer Shaül pour la situation dans laquelle il a
plongé le pays, mais tout en lui restituant ce qui ne lui pas été accordé après
sa mort. Etre dirigeant est une tâche difficile. Elle impose de se salir les
mains. Le dirigeant devra être jugé mais non traîné dans la boue.
La suite du texte biblique est que David va
donc s'adresser aux guibeonim pour leur demander comment il est possible de
réparer les fautes commises à leur endroit, et que ceux-ci exigent en retour
que leur soient livrés sept fils de Shaül...ce qui est effectué. Ils mettent
les sept fils à mort, ensemble, et les clouent aux rochers exposant leurs
cadavres, en violation de trois règles de la Torah ( punir les enfants pour les
fautes de leurs pères, tuer plusieurs personnes en un coup, ne pas enterrer les
cadavres).
Et l'histoire ne s'arrête pas là, puisque
le livre de Shmuel raconte comment la mère de cinq de ces sept princes a veillé
sur les cadavres et les a protégés des oiseaux de proie pendant sept mois.
Et l'histoire ne se finit pas ici non plus
mais a encore une suite sur laquelle je reviendrai plus loin.
Restons en attendant quelques instants sur
ces faits : personne n'a entendu ou lu que Shaül ait exterminé les guibeonim.
Le midrach en déduit donc que Shaül aurait eu une conduite qui lui est facturée
comme s'il les avait effectivement exterminés.
Et se côtoient deux hypothèses exégétiques.
Selon la première, Shaül aurait tué sept guibeonim et ce serait la raison que
sept de ses fils doivent être livrés, selon la seconde, il les aurait privé de
ressources de subsistance en faisant disparaître la ville de Nov, ville de
cohanim auprès desquels travaillaient les guibeonim.
Il y a donc ici plusieurs disproportions
mais qui sont chacune matière à riche enseignement.
David "doit" réparer les fautes
de Shaül vis à vis des guibeonim..Ils ont une demande que l'on jugerait
aujourd'hui cruelle, primitive, sauvage, en application littérale de la loi du
talion, et David accède quand même à leurs exigences.
Les fils sont exterminés. David fait
enterrer Shaül et Yehonatan son fils avec les honneurs dûs à leur rang, et
justice semble être faite puisque la famine s'arrête.
Mais quelle justice ? D'avoir livré sept
hommes dont le seul crime serait d'être les fils de quelqu'un? D'avoir permis à
des gens cruels d'assouvir leurs instincts primitifs ? De permettre que des
hommes soient ainsi humiliés et leurs cadavres exposés, et ceux aux yeux de
tous ?
Le midrach pose la question de ces
difficiles contradictions.
Mais sa réponse n'est pas moins
ramifiée...d'autant qu'elle vient boucler une boucle historique vieille de
plusieurs centaines d'années.
Le midrach relate dans un premier temps que
l'honneur d'Israël s'est trouvé gravement atteint du fait de cette négociation.
Ce n'est pas Netanyahou qui négocie et
délivre mille prisonniers du h'amas pour récupérer un Guilad Shalit, c'est le
roi David, figure hautement emblématique d'Israël qui livre sept princes à un
lynch pire que celui de Ramallah en 2000.
Le midrach raconte que les nations du monde
ne se sont pas privées de commenter et de blâmer. "Beau peuple juif !
Voilà comment il respecte la Torah !" auraient-ils dit dans les couloirs
de l'instance diplomatique internationale de l'époque.
Mais le midrach raconte encore comment un
journaliste des nations, plus curieux que les autres, finit par demander :
"mais qui sont ces sept cadavres ?". Pour ensuite faire se retourner
d'un coup l'opinion internationale : "quoi ? En Israël, on peut mettre à
mort des princes pour une conduite reprochable vis à vis de migrés ?"
Israël, par le mérite de ce retour de l'opinion
devient aux yeux du monde une nation dans laquelle, à la fois on veille à
l'honneur d'un roi même après sa mort, mais aussi, on accorde justice même à
ceux qui pourraient être vus comme citoyens de seconde zone.
Et le midrach d'ajouter : suite à cet
épisode médiatique, se convertirent au judaïsme 150000 personnes. Et c'est la
fin de l'épisode biblique.
Mais quant aux guibeonim. Qui se souvient
de la raison de leur statut social ? Ils sont une peuplade - dont les
commentaires disent qu'elle fait partie de ceux qui sont appelés le h'ivéen,
autrement dit une peuplade que Yehoshua devait exterminer lors de la conquête
d'Israël, un des sept peuples qu'Israël reçoit l'ordre divin d'écarter de la
région.
Ainsi que cela est raconté, ( Josué 9) les
guibeonim trompèrent Yehoshua en venant à sa rencontre avec des vêtements usés
par la route et en se faisant passer pour des migrants. Il les épargna, et jura
de ne point leur nuire. Quand il s'aperçut de sa méprise, il leur donna le
statut de "porteurs d'eau et coupeurs de bois". Citoyens de seconde
zone dirait peut-être-t-on aujourd'hui .
Le midrach conte comment cet épisode de la
famine et de la négociation avec les guibeonims boucle cette boucle. David leur
accorde ce qu'ils exigent mais c'est en échange de l'annulation de l'accord
passé avec Yehoshua quatre cent cinquante ans plus tôt. David considère que les
Guibeonim n'ont pas rempli certaines conditions de leur contrat passé avec
Yehoshua : ils ont cherché à s'intégrer parmi Israël mais n'ont pas fait la
démarche morale qui en découlait. S'ils étaient devenus Israël, ils auraient dû
renoncer à cette exigence barbare et sanguinaire, ils auraient dû devenir
miséricordieux de père en fils. Le fait d'avoir manqué à cette facette
incontournable de l'identité juive cause l'annulation du contrat passé avec
eux..
Ce qui fait que cet épisode biblique permet
que s'effectue un échange de populations. 150000 guibeonim reçoivent en pâture
sept fils de Shaül mais se trouvent condamnés à quitter les lieux, et leur
place se trouve prise par les 150000 qui se joignent spontanément à Israël.
Il y a donc ici plusieurs enseignements
importants et tout à fait actuels me semble-t-il.
Le premier est qu'un fléau national ne peut
peut-être pas être uniquement en quête de solution. Il est peut-être au moins
aussi opportun de tenter de remonter à sa cause. Et de ne pas chercher que dans
les actions techniques mais aussi dans la morale. La morale des dirigeants.
La deuxième est que la Bible, vieille de
l'antiquité prône que le pays gagne à être gouverné par quelqu'un qui n'est pas
seulement le vainqueur des élections, quelqu'un de populaire, d'envergure
médiatique, mais quelqu'un d'envergure morale. Quelqu'un capable de dire : "c'est
de ma faute".
La démocratie moderne ne définit pas cette
capacité personnelle comme critère du choix d'un dirigeant..
La troisième leçon est relative aux
atteintes et aux réparations. L'humain est naturellement porté à la loi du
talion et n'imagine pas moins que la mort pour réparer la mort (le texte
mentionne que David offre de l'or et de l'argent aux guibeonim, mais ils
refusent, Samuel ibidem). Israël a fait couler des litres d'encre sur de
nombreux parchemins talmudiques pour expliquer que la loi du talion ne doit en
aucun cas être prise à la lettre en Israël, et pour expliquer qu'être Israël,
c'est atteindre le niveau de moralité qui permet de pouvoir
renoncer à cette application littérale du "oeil pour oeil dent pour
dent".
La dernière leçon naît de l'analyse de ce
que ce texte fait littéralement sauter aux yeux, et c'est l'analogie entre la
situation décrite par la Bible et notre actualité.
Les guibeonim de la Bible rappellent
étrangement une autre peuplade - une peuplade d'aujourd'hui - qui se trouve en
Israël quand le peuple revient sur sa terre, qui ne disparait pas, et avec
laquelle Israël doit composer.
Il y a ici le récit d'une histoire au sens
historique. Les hébreux n'ont pas choisi que les guibeonim fassent ainsi partie
de leur histoire. Leurs dirigeants ont composé avec la situation en leur
conférant un statut social, différent, d'inégalité mais qui est plus que
contraignant : le jour où les guibeonim se retrouvent lésés (destruction de la
ville de Nov pour cause de conflit interne au peuple juif), c'est tout Israël
qui en paie le prix (famine).
À travers la premiére explication proposée
à leur exigence que leur soient livrés sept fils : sept guibeonim avaient été
tués, deux porteurs d'eau, deux bûcherons, un chantre, un écrivain d'écritures
saintes et un bedeau de synagogue, le récit nous fait comprendre que les
guibeonim s'étaient intégrés partiellement au peuple juif.
Or il apparait ici que la question de
l'intégration au peuple juif n'est pas qu'un problème démographique comme on le
regarde aujourd'hui, en limitant l'argumentation au nombre de palestiniens
qu'Israël pourrait supporter sans en payer un prix.
L'antique Bible, antédémocratique,
anté-révolution française et droits des citoyens, exprime ici que le problème
de l'identité d'Israël n'est pas uniquement un problème de nombre. Les
commentaires midrachiques semblent pouvoir nous enseigner que le pays restera
pays d'Israël à l'aune de sa moralité et non à l'aune de sa génétique.
En accord parfait avec les textes qui ont
toujours traité de cette question de la conversion. Pour être Israël, nul
besoin de naître et d'être de sang juif. Cette définition est posée deux
millénaires avant les luttes contre le racisme et pour l'abolition de la
noblesse ou de l'esclavage.
On peut devenir Israël mais cela ne peut
être immédiat, d'autant plus que l'exigence est de très grande taille, et
l'examen peut dans certains cas s'étendre sur plusieurs générations. Et le
critère majeur est celui de la moralité.
Un peuple pourrait-il exiger une moralité
en la bafouant lui-même ? C'est la question évoquée entre les lignes par le
midrach cité plus haut qui raconte comment dans un premier temps, l'épisode de
David et des guibeonim provoque une énorme critique d'Israël.
Israël est jugé par son attitude à l'égard
des hommes, et à l'égard du texte dont il se veut le représentant
officiel...une exigence que d'après le midrach n'est sujette à aucune
réduction.
Un épisode donc riche de sens. A méditer et
à inclure dans la réflexion sur l'Israël actuel.