jeudi 24 décembre 2015

Le procès de Viviane Amsallem et la question de la parole et du silence.



Film poignant, dont la force est encore accrue par la mise en scène, et surtout par la prise de vue, la plupart du temps en gros plan. 

C'est un film dans lequel ce sont les détails qui sont examinés, et malgré cette volonté de centrage de l'attention sur un sujet, il semble qu'il peut se trouver de parler à partir de ce seul film, de sujets bien différents.

C'est ainsi qu'un éventail de critiques de cinéma contiendra des interpétations diverses. Certains voient dans ce film une critique de tout le système hilkhatique juif, incluant ou non celle du rôle dévolu à la femme dans une société gérée par des hommes. D'autres y voient une critique de l'organisation du système judiciaire en Israël, en particulier autour des lois du mariage, système pouvant être vu comme immobilisé du fait de son allégeance à la halakha et au rabbinat. D'autres encore y verraient une critique culturelle, de la société sefarade. D'autres enfin pourraient être tentés d'y voir l'histoire d'un couple, opposant deux personnalités bien particulières.

Je vais choisir de parler de ce que je n'ai trouvé nulle part, et qui me parait pourtant le point central, probablement du fait de mon expérience de quinze ans d'expertises auprès des tribunaux des affaires familiales.

Le film se déroule donc - uniquement - dans un tribunal rabbinique, la plupart du temps caméra pointée en gros plan soit vers les juges, soit vers les parties.

On m'a suggeré, au moment où on m'a invité et demandé de mener un débat post projection avec l'AEI, de parler du profil psychologique des personnages, et c'est en fait principalement ce que je vais ne pas faire, non tant par esprit de contestation ou par pulsion de provocation, que par souci de ne pas manquer l'essentiel.

Les personnages sont ici à mon avis, parties comme juges, comme le décor du film. 

Ils ne sont ni le décor d'une structure judiciaire misogyne - comme on peut lire dans plusieurs critiques - ni celui d'un monde particulier - société israélienne ou la fraction sefarade de celle-ci - ni encore moins celui d'un ou plusieurs personnages pathologiques, comme cela se trouve fréquemment dans les films .

Je pense que même si le personnage Elisha a un profil psychologique que l'on pourrait examiner en détail, ce n'est pas lui qui est au centre. il est encore une partie du décor. 

Le film, à mon humble avis, tristement, NOUS met en scène, et enfin de compte nous juge, et il ne nous rend pas fiers de nous-mêmes.

Je vais m'expliquer, dire plus clairement dans un premier temps, de quoi je suis en train de parler, pour, en second temps,  proposer une sorte d'autre éclairage.

Comme je le dis en titre, le thème qui me parait ici central est celui de l'articulation de la parole et du silence , ou plutôt du mutisme, de la non-parole, du "non-dit" comme on dit, et c'est ce silence que je vais aborder de deux angles différents.

1. Dans le film, le centre est occupé par les silences du mari, silences éloquents, tant éloquents qu'il dit bien plus par son silence que par sa parole, et en particulier lors de la dernière scène, où il fixe la condition ultime de sa remise du guett, sans prononcer un mot, après avoir buté et s'être tû sur une phrase qu'il aurait dû dire.

Cette phrase est en quelque sorte la clé de toute cette histoire, qui, je le répète, n'est qu'accessoirement la clé de ce film, qui traite du divorce du couple Amsallem, c'est une clé que nous avons tous avec nous, dans notre trousseau personnel.

Cette clé, clé des manifestations d'amour et d'admiration, ou du renoncement/non renoncement à celles-ci, clé de la conquête d'un être aimé, ou de la dure constatation qu'il/elle va nous tourner le dos, est en prise directe sur notre estime de nous-mêmes, ou en termes psychologiques, sur notre narcissisme. Selon qu'elle sera tournée dans un sens ou dans l'autre, nous ressentirons plus ou moins d'estime de nous-mêmes, ou nous nous vexerons plus ou moins facilement.

Je pense que l'on peut dire que, statistiquement la même clé est aussi bien au trousseau des hommes et des femmes, mais avec un profil un peu différent selon les individus.

Je pense que ce film s'applique à montrer combien les deux protagonistes centraux sont blessés. Elle, Viviane, est blessée par un mécanisme, le mécanisme des conventions "façonné halakha", et Elisha est aussi blessé, par un mécanisme un peu différent, interpersonnel, mais qui est ce qui blesse Viviane en contre-coup.

Ce film montre les coups portés à Viviane, mais il est impossible de ne pas voir combien c'est l'humiliation, ou la peur de l'humiliation qui est presque le seul moteur d'Elisha, ainsi d'ailleurs que d'autres hommes présentés (je pense au témoin Simon Aboukassis qui tyrannise sa femme, je pense au frère d'Elisha, je pense au juge Salomon).

Je suis d'accord que le film montre crûment combien le tribunal rabbinique est réticent à faire pression sur les hommes (mais pression est tout de même exercée, et notre Elisha fait quand même quelques jours de prison), je suis d'accord que le personnage d'Elisha tel qu'il est décrit au long du film, est grave, et peut entrer par son comportement dans la catégorie de ce qui s'appelle en français les "pervers narcissiques". Mais c'est un terme de vulgarisation, qui ne correspond à aucun diagnostic officiel, et je choisis de le voir comme un état, et non comme le diagnostic de cet individu.

Ce couple est dans une situation de lutte, dans laquelle la perversion narcissique a comme le rôle principal, mais je cherche plus l'essence du phénomène, que j'appellerais "blessures narcissiques", surtout que je pense que c'est ce que nous montre le film, les blessures à notre estime de nous-mêmes.

Et le dénominateur commun des défenses des hommes et des femmes de ce film, et en fait de l'humanité, est le silence.
La femme est humiliée et se tait, l'homme est humilié, et se défend en humiliant, par le silence presque plus que par ses mots.

Ceci existe dans toutes les combinaisons humaines et principalement dans les couples, même quand ce n'est pas de divorce qu'il est question.

Et il y a les cas bonne ou mauvaise mayonnaise..

Je choisis ici de ne pas élargir au paramètre social, ou sociologique. Il nous amènerait à des chiffres, et d'une certaine manière il nous éloignerait.

Je vise en effet, non tant à partager avec vous des remarques sur l'état de la société, de cette société, qu'à réfléchir sur ce qui pourrait aider à nous prémunir de cet écueil que le film montre si bien. Et ce n'est pas que rien n'existe comme outils développés afin de prémunir. Je pense en particulier à cet accord préalable qui existe en Israël, et que peuvent signer les conjoints encore avant la cérémonie du mariage, accord dans lequel le mari s'engage à ne pas refuser d'accorder le guett. Mais il est connu que cet accord ne résoud le problème que partiellement, soit qu'il humilie le mari et que celui-ci refuse de le signer, soit que même signé, il n'empêche pas le contre-coup des blessures narcissiques.

Je le répète : ce film dépeint un écueil qui peut arriver un peu dans chaque combinaison d'individus, en particulier le couple.

Il nous est impossible de ne pas être blessé dans notre confrontation avec autrui, avec la réalité, pas forcément au quotidien mais au moins de temps à autre. La question est de savoir quels outils sont à notre disposition pour ne pas tomber dans des ornières comparables à celles que ce film met en lumière.

2. Je veux examiner ces questions de blessures narcissiques par le biais de quelques exemples de la fin du sefer Beréchit.

Le viol de Dina, en Beréchit 34 (tout le chapitre), l'épisode Tamar (beréchit 38 - tout le chapitre), l'épisode de la femme de Putifar ( Beréchit 39, 7 à 20) sont des exemples de blessures narcissiques, dans lesquels on retrouve tant la violence (violence du violeur, violence réactive de Shimeon et Lévy, violence de la femme de Poutifar) que le silence (silence de Dinah, silence de Tamar jusqu'au moment où elle ouvre la bouche, silence de Yossef qui est dans son adolescence trop bavard et qui passe au silence, après avoir été jugé et vendu, humilié, presque mis à mort par ses frères).

Je dois à Marc Wygoda un éclairage très enrichissant dans ce domaine. Dans son dvar Torah sur la paracha miqetz, il part de la différence entre deux versions de la même histoire, celle du rêve de Pharaon. Dans la première version, premier verset, le pharaon dit "je me vois me tenir sur le fleuve", dans la seconde il dit "je me vois me tenir sur la rive du fleuve".

La rive d'un fleuve se dit en hébreu "safa", qui est le même mot que celui qui désigne la lévre, ainsi que la langue dans laquelle on parle. Il est interessant de noter que la vexation est souvent visible chez l'individu au niveau des lèvres, soit qu'il les pince, soit qu'elles tremblent.

Marc raconte dans son dvar Torah un célèbre midrach selon lequel Yossef, une fois nommé vice-roi, doit apprendre d'urgence les "70 langues de toutes les nations de la terre" afin d'être accrédité par le sénat de Pharaon. Il essaie, mais échoue, et ne réussit finalement qu'une fois qu'un ange intervient et ajoute une lettre du nom divin - le he'h - à son nom, le faisant devenir Yehossef, ce qui lui permet d'apprendre ces langues (psaume 130). La conclusion du dvar Torah sur ce midrach est que les sénateurs de Pharaon comprennent intuitivement qu'un individu ne peut s'élever au-dessus du commun que s'il possède une valeur à laquelle les autres ne s'élèvent pas.

Yossef symbolisant le juif parmi les nations se doit de parler les langues des nations, dirait-on prosaïquement. Mais peut-être pourrait-on élargir le sujet et dire que l'individu de base ne possède que des rudiments de langage, et qu'il est sujet au mutisme, (le mutisme électif est un diagnostic souvent porté), particulièrement dans les situations où il est blessé.

Yossef, que les aventures avaient contraint au silence, se remet effectivement à parler au moment où il est à nouveau valorisé, et cette parole lui permet de renouer avec ses frères (même si la paracha Vayigash nous suggère d'attribuer la partie principale de cette réunion à l'initiative et à la prise de responsabilité de Yehouda, ce sur quoi je reviendrai plus loin), peut-être comme pour suggérer qu'il ne s'agit pas tant de langues au sens de l'hébreu, de l'arabe, de l'anglais ou de l'égyptien, que de langue qui permet de restituer la communication quand elle s'est trouvée interrompue, quand elle s'est mise à être relayée par le mutisme, par un silence assourdissant.

C'est cette qualité de Yehossef dont l'absence est le plus crûment montrée dans le film. Elisha parait un individu enclin à se vexer en toutes situations, individu blessé (il est orphelin est-il précisé à plusieurs reprises), au point qu'il en est devenu tyrannique, et il n'a aucune capacité de changer de mode interpersonnel, d'apprendre un nouveau langage. Et le manque qui est ici mis en exergue est celui d'individus qui, en place de cet ange du midrach, aient la capacité d'extraire les couples par exemple, ou les adversaires de tous niveaux, des ornières dans lesquelles ils se sont coincés, en compagnie de toute une cohorte de professionnels des tribunaux, le plus souvent pour raisons de blessures narcissiques.

On voudrait beaucoup que la Torah puisse nous protéger contre la rage narcissique, mais le peut-elle ? Elle ne le peut pas plus qu'elle ne peut protéger l'humanité contre des Aman, des Hitler, des Al Bagdadi, des Erdogan ou d'autres. On voudrait beaucoup que les juges sachent remplir ce rôle, surtout quand ils sont affectés aux affaires familiales. Il faudrait malheureusement pour cela qu'ils réalisent que c'est le leur, qu'ils en soient à la hauteur, ce qui est loin d'être le cas en tout cas dans les tribunaux rabbiniques.

Il ne reste qu'à conclure sur une constatation très difficile : l'humanité est aux prises avec l'humanité, et c'est un très vaste programme. 

Dans le midrach cité plus haut, la solution ne vient que par l'aide venue d'en Haut. Dans notre réalité, il nous incombe de réaliser que la solution ne peut venir que de nous. 

Et je ne crois pas que le meilleur chemin soit celui de la dénonciation, du genre "vous voyez ce que c'est cette société, ce système archaïque, ce monde religieux"...ou autres accusations (projections me parait ici un meilleur terme) que j'ai trouvé à profusion dans les différentes critiques que j'ai trouvées de ce film.

C'est en chacun d'entre nous, et donc du ressort de chacun avec lui-même, mais les combinaisons de l'ordre de "Yehouda s'avança vers lui" - comme ces mots sur lesquels s'ouvrent la paracha vayigash - sont les combinaisons gagnantes.

Yossef a reçu sa lettre en plus, et il sait parler, mais le dialogue s'instaure, se restaure du fait de Yehouda...qui a su régler la question de la blessure narcissique à l'intérieur de sa famille, qui a su dire "elle a raison" en surmontant son humiliation, et qui a développé la capacité de s'avancer à la rencontre d'autrui.


jeudi 10 décembre 2015

Hanouka par Manitou et pour Annie.




J'avais pourtant étudié au-delà de l'âge du talmud torah, et j'avais derrière moi quelques années de situation de responsabilité aux eis, et pourtant c'est en fait par un enseignement de Manitou sur Hanouka que je découvris ce que Lévinas appelle "religion d'adultes".

La situation n'était pas neutre. Manitou jouissait d'une aura bien particulière dans le monde juif français en général, et auprès de mes parents en particulier, et de façon encore plus spécifique auprès de moi, qui avait passé huit mois plus tôt quelques dix jours à Maayanot, pour un séminaire éclair en février 76.

Je n'en étais pas revenu indemne. L'ambiance dans cette majestueuse maison de la rue Yeoshua Bin Noun dans le quartier grec de Jérusalem, où se côtoyaient anciens amis personnels, et toute une bande d'étudiants eux-mêmes pour un an en formation au même endroit, m'avait injecté une forte dose de sionisme messianique, encore très en vogue depuis la guerre des six jours, et vivement agrémenté à la sauce française par Manitou.

Manitou vivait alors en Israël depuis quelques six-sept ans, mais revenait régulièrement en France, pour conférences et séminaires, et notre petit groupe de séminaristes de février avions le statut un peu privilégié de recevoir des cours pour nous tous seuls.

C'est dans ce cadre que Manitou, à Paris à l'approche de Hanouka, me donna comme la cerise sur le gateau de ce que j'avais commencé à apprendre de lui.

Le personnage ne manquait pas de charme, et il le savait, et en usait et en abusait.

Il distillait un enseignement qui, en plus d'être stimulant intellectuellement, était donné sur le ton un peu envoûtant et mystérieux qu'il affectionnait, le tout assaisonné de blagues et de jeux de mots.

Dans ce décor, Hanouka devenait autre chose. Mais la force de Manitou tenait à ce qu'il ne faisait pas que tourner la tête (même si a postériori je suis devenu très critique sur cette forme d'abus par l'intermédiaire de l'enseignement), il enseignait aussi. 

On vivait avec lui une réelle expérience de nourriture intellectuelle, et les choses dépassaient encore le stade de l'expérience : les cours que je reçus de lui au cours des quelques quinze ans où il me fut donné de l'écouter, sont pour beaucoup encore présents en moi, les notes que je prenais ayant été sérieusement - et précieusement - gardées.

Manitou nous enseigna ce soir-là, comme à son habitude un savoureux mélange d'anecdotes improbables, mais marquées d'un sceau imparable d'authenticité et de réflexion.

Qui m'aurait un jour dit qu'un maître m'enseignerait que ce psaume 30 "Cantique de l'inauguration du Sanctuaire", signé "de David" est en fait d'après une tradition rabbinique, attribué...à Adam ?

Mais Manitou ne prétendait nullement apporter une pierre aux recherches scientifiques sur l'élaboration de la Bible et posséder les droits d'auteur de la découverte du véritable auteur de chacun de ses livres. Il n'apportait pas tant une preuve qu'un enseignement.

Ce psaume aurait ainsi été prononcé par Adam du fait de son expérience personnelle, d'individu créé, installé sur la terre, à 
Roch Hachana, c'est à dire au moment de l'équinoxe. Passée cette date, la lumière semble progressivement quitter le monde, du fait d'un phénomène qui croît de jour en jour jusqu'au solstice d'hiver. Un enseignement qui se dote surtout d'une facture existentielle, bien autant que d'une marque de pseudo vérité !

N'importe qui peut s'identifier alors à un individu qui a pareil vécu. Souvent depuis j'ai pensé à ce que peut ressentir durant le trimestre d'automne un bébé qui nait en septembre. Année après année je me sais sensible à cela, depuis toujours.

Et alors , Manitou ajoutait, les yeux pétillants, une seconde bombe : Hanouka, nous apprit-il, tombe toujours sur le jour de l'année où le soleil se couche le plus tôt, et ceci, alors que sa date est déterminée par le calendrier juif, à la fois lunaire et solaire.

Suivit un cours sur ce calendrier et son "secret", celui des années embolismiques, le "sod haïbour". Un calendrier qui aurait une qualité particulière, supérieure à celle du musulman, uniquement lunaire, et du grégorien, uniquement solaire, du fait d'un savoir antique de la conjugaison des paramètres lunaires et solaires.

A ce stade, Hanouka avait déjà pris à mes yeux une nouvelle valeur. Manitou continuait cependant et nous rappelait que les fêtes de ce calendrier, les fêtes du monde juif n'ont jamais qu'une seule facette ; elles ont un sens agricole, un sens calendaire et un sens historique. Et de continuer encore, et de nous enseigner que les fêtes font partie du rythme perpétuel de ce calendrier, qu'elles existent depuis la nuit des temps, attendant de "rencontrer", que se produise l'évènement historique qui leur correspond.

C'est ainsi que Pessah', qui n'existe apparemment que pour commémorer la sortie d'Egypte, est déjà soulignée par le commentateur médiéval Rachi comme raison de la mention de matzot dans le texte biblique de l'histoire de la destruction de Sodome et Gomorrhe. "Le texte nous parle de matzot", écrit alors Rachi, "parce que cet épisode se passait au moment de la fête de Pessah'". Mais comment Avraham et Loth auraient-ils pu fêter une fête instituée en commémoration d'un évènement survenu trois cents ans après leur temps ? À moins de ne se fier à l'enseignement de Manitou, qui vient donner à cette curiosité/cette abberation historique un sens, on ne peut que tomber dans la platitude nourrie de l'incrédulité du rationnaliste.

Ce dernier ne saura que dire : "il est impossible que Rachi ait écrit pareille chose, il y a surement ici une erreur de scribe".

Or le texte de la Torah mentionne bel et bien ces matzot...qui ne sont à nos yeux de modernes que le symbole de la fête de Pessah'!

Manitou savait donner un sens à ces contradictions, un sens à la fois prodigieusement intéressant, nourrissant, et authentique. Manitou se disait - et était, par son père, grand-rabbin d'Oran - véhicule d'une tradition rabbinique. Il ne venait inventer aucune interprétation, il transmettait.

Et il transmettait un sens prodigieusement adulte, en l'occurence au seul sujet de cette fête que je ne connaissais jusqu'alors que par son caractère "infantile" (bougies, toupies, gateaux, cadeaux).

Et l'enseignement sur Hanouka ne se limitait pas à cela, et ce texte deviendrait terriblement long si je développais ici tout ce que Manitou nous a enseigné sur Hanouka, sur cette fête au sujet de laquelle tellement peu de textes rabbiniques ont été écrits.

Je me contenterai donc ici de me limiter à donner la note finale de cet enseignement sur la coïncidence calendaire de Hanouka et du soir le plus long de l'année, évènement en apparence purement solaire, alors que sa date est apparemment seulement déterminée par le cycle de la lune (25 du mois de Kislev, mois comme tous les mois hébraïques dont le premier jour coïncide avec la nouvelle lune).

Le solstice d'hiver tombe effectivement à une date déterminée solairement (en général le 21 décembre, premier jour de l'hiver). Mais ce jour est celui où la quantité de nuit est maximale en valeur absolue. Il s'avère - et cela est aisément vérifiable (et si je vous dit que je l'ai vérifié sur de nombreuses années, cela vous aidera peut-être à l'admettre) - que les jours commencent à rallonger par le soir avant ce 21 décembre, alors qu'ils continuent à rétrécir par le matin (en général, jusqu'au 15 janvier environ) et il est impressionnant que le calendrier juif, le plus ancien des calendriers en vigueur dans le monde occidental, ait su mentionner cette curiosité. Il faut la conjugaison des paramètres lunaire et solaire pour que le calendrier puisse l'exprimer.

Cela dote Hanouka d'une importance bien supérieure à la commémoration de la révolte des maccabim en - 165, ou du miracle de la petite fiole d'huile.
 
Ces enseignements l'inscrivent comme fête de l'affrontement obscurité-lumière, au propre ainsi qu'au figuré, fête d'actualité tristement perpétuelle comme s'acharne à nous le démontrer notre actualité. 

Hanouka vient alors rappeler cet épisode d'une histoire particulière des juifs à un moment particulier, mais vient non moins s'inscrire dans l'histoire du monde. Jusqu'alors, depuis que le premier homme s'est aperçu de comment fonctionne le cycle de l'apparition et de la disparition de la lumière dans le défilement des jours au long de l'année, Hanouka existait comme "fête de la lumière". Une tradition, dont le judaïsme se réclame, a réfléchi depuis la nuit des temps...sur la notion de nuit des temps. Depuis la révolte des maccabim, il y a bouclage de la boucle : l'évènement historique s'est juxtaposé à l'évènement du temps universel. 

Qui fête Hanouka aujourd'hui fête simultanément ces deux dimensions, l'universelle, et la particulière, celle de Hanouka "fête des lumières" et celle de Hanouka, fête de la victoire historique des maccabim, des hébreux, sur la culture grecque, fête de la confiance en le retour de la lumière même - et justement - aux moments qui paraissent les plus sombres.
Religion d'adultes.

J'ai connu Manitou la même année où j'ai aussi rencontré pour la première fois Annie, zal, qui vient de nous quitter , juste avant la semaine de Hanouka, trop prématurément après une année entière de lutte contre la maladie.
Je l'ai connue dans le cadre des e.i.s alors que nous étudiions dans le même lycée et ne nous connaissions pas.

Je connus aussi alors ses parents, puis quand elle épousa Dan, elle me devint liée comme par un double lien...qui tint plus de trente ans.

Elle survint dans ma vie comme Manitou, à l'âge où je passai de l'enfance à l'âge adulte, de l'adolescence où seulent comptent les valeurs de la société, les philosophies, les musiques et les amours, à l'âge de la parentalité où l'individu n'est pas moins défini par les valeurs auxquelles il a adhérées que par les enfants qui lui sont nés et qui l'accompagnent avant de le remplacer.

Le tour des enfants d'Annie, bien qu'encore fermement et solidement accompagnés et encadrés par Dan, vient de commencer.

Que le souvenir d'Annie, la bienveillante, au sourire attentionné, pétillant et malicieux, au sens commun si sainement développé et à la vive intelligence en particulier des situations sociales, qui s'inscrit en moi au chapitre de l'accès à la vie d'adulte, soit béni autant qu'il restera présent chez son compagnon, ses enfants et tous leurs nombreux amis.

P.s. Comme il n'y a pas de coïncidence en ce bas monde, je me suis trouvé en train d'achever ce texte au moment où me parvenait la triste nouvelle de la disparition de Bambi, la compagne de Manitou. Que sa mémoire soit ici évoquée.