Le décor est celui d'un tribunal où se juge
un drame qu'aurait pu écrire Simenon, et ce décor est très bien filmé, en
finesse et en intelligence.
Ce
n'est pourtant ni du procès, ni de l'affaire et du drame qu'elle comporte, ni
non plus des malheureux autour desquels le drame se joue que traite le film.
Le
sujet central de ce film est bien ce que dissimule le slendide vêtement (
l'hermine portée par le président de cette cour d'assises du Pas de Calais, et
dont le film est éponyme) du président brillamment incarné par Fabrice Luchini.
Ce
film traite ainsi non de l'affaire, non des protagonistes, non du président,
mais de la façon dont son monde intérieur interfère avec la réalité.
Dans
la réalité, il est un juge réputé sévère, un juge impopulaire parce que
désagréable et inaccessible au dialogue. Ce premier jour du procès il est aussi
grippé, et sa vie de famille est en crise : il habite depuis quelque temps à
l'hotel, ayant quitté son domicile pour cause de rupture matrimoniale.
Et
voilà que le film dévoile petit à petit par quoi ce personnage revêche et peau
de vache va être amené à se montrer humain, pour le principal bénéfice de
l'accusé, et en dépit de tout ce qui parait s'annoncer d'entrée de jeu.
Le
spectateur sent bien (et c'est grâce en particulier au formidable jeu de
Luchini) que le juge a été touché, qu'il est maintenant triplement travaillé,
par le procès, par sa grippe, mais aussi par une des jurés.
Le
film va dévoiler petit à petit ce qui constitue les coulisses de la relation de
cet homme et de cette femme, relation qui restera platonique jusqu'au bout,
mais le film parait vouloir montrer surtout la dynamique qui opère ici.
Cette
dynamique est celle du changement de direction imprimé à l'histoire du fait de
l'apparition d'un personnage.
Nul
doute que le procès aurait tourné autrement sans cette apparition, qui anime en
ce juge une autre facette de lui-même.
Cette
femme est finalement touchée par le discours qu'il lui tient mais elle n'est au
départ nullement consciente de son rôle. Le film nous révèle qu'elle et le juge
ont eu une précédente rencontre mais il ne semble pas qu'elle en soit restée
marquée. Au début, lui la reconnait, elle, non. Lui est amoureux d'elle, elle
non.
Cette
femme me parait répondre à la définition de ce que nous appelons communément un
ange.
Elle
est incontestablement un être humain, mais pour ce juge et pour le contexte
elle est un ange. Elle est l'apparition qui va activer en lui des parties qui
en son absence seraient demeurées inactives.
Je
ne suis par ailleurs pas éloigné de penser que c'est quand même lui qui est
moteur de la mise en motion de ces parties : nous rencontrons un ange quand
nous avons besoin, quand la situation a besoin de son intervention.
L'accusé
a ici énormément besoin d'un ange. Il s'est lui-même collé en situation
désespérée et n'a pas les moyens de s'en extraire, et au sens plus immédiat,
l'ange va apparaître au juge d'une part parce qu'il est la clé du changement de
la situation, et d'autre part parce qu'il est en situation vulnérable : il est
propice à l'apparition d'un ange, il a aussi besoin de cette planche de salut.
Pour
le juge, l'ange prend la forme d'une femme dont il est secrètement et - a-t-il
cru jusqu'ici - inutilement amoureux.
Le
levier de la modification de la situation est la pulsion d'amour du juge. C'est
par action sur celle-ci que l'issue du procès va être révolutionnée.
Les
anges apparaitraient ainsi dans les situations où ils sont indispensables, roue
de secours de l'humanité, et par l'intermédiaire des faiblesses de l'humain.
Les
pulsions sont ainsi d'une certaine manière notre moteur, mais elles sont
simultanément les voies par lesquelles nous prêtons le flanc.
L'ange
apparaît ainsi à Yaakov alors qu'il est dans l'angoisse dans la perspective de
son retour au pays et de la rencontre avec Essav, il apparait à Joseph quand il
est désorienté "l'homme le trouva alors qu'il errait", il apparaît à
David sous la forme de Doeg au temps de Shaül, et sous les traits d'Akhitofel
au temps de son propre règne, il apparait à Théodore Hertzel alors qu'il couvre
le procès Dreyfus, il apparaît à chacun de nous sous une forme ou une autre à
plusieurs carrefours de notre existence
Le
juge se mariera-t-il avec son apparition ? Le film ne donne pas la réponse, et
il y aurait peu à apprendre de cette réponse.
Ne
sortiraient de cette rencontre mariage ou amour possible que s'il s'avérait que
les deux personnalités, du juge et de la jurée, sont compatibles, au delà du
mécanisme pulsionnel qui va ce jour être la carte maîtresse de cette situation
bien particulière dont ils ne sont que les instruments.
Un
très très bon film.