lundi 9 janvier 2017

l'hermine et l'ange


Le décor est celui d'un tribunal où se juge un drame qu'aurait pu écrire Simenon, et ce décor est très bien filmé, en finesse et en intelligence.

Ce n'est pourtant ni du procès, ni de l'affaire et du drame qu'elle comporte, ni non plus des malheureux autour desquels le drame se joue que traite le film.

Le sujet central de ce film est bien ce que dissimule le slendide vêtement ( l'hermine portée par le président de cette cour d'assises du Pas de Calais, et dont le film est éponyme) du président brillamment incarné par Fabrice Luchini.

Ce film traite ainsi non de l'affaire, non des protagonistes, non du président, mais de la façon dont son monde intérieur interfère avec la réalité.

Dans la réalité, il est un juge réputé sévère, un juge impopulaire parce que désagréable et inaccessible au dialogue. Ce premier jour du procès il est aussi grippé, et sa vie de famille est en crise : il habite depuis quelque temps à l'hotel, ayant quitté son domicile pour cause de rupture matrimoniale.

Et voilà que le film dévoile petit à petit par quoi ce personnage revêche et peau de vache va être amené à se montrer humain, pour le principal bénéfice de l'accusé, et en dépit de tout ce qui parait s'annoncer d'entrée de jeu.

Le spectateur sent bien (et c'est grâce en particulier au formidable jeu de Luchini) que le juge a été touché, qu'il est maintenant triplement travaillé, par le procès, par sa grippe, mais aussi par une des jurés.

Le film va dévoiler petit à petit ce qui constitue les coulisses de la relation de cet homme et de cette femme, relation qui restera platonique jusqu'au bout, mais le film parait vouloir montrer surtout la dynamique qui opère ici.

Cette dynamique est celle du changement de direction imprimé à l'histoire du fait de l'apparition d'un personnage. 

Nul doute que le procès aurait tourné autrement sans cette apparition, qui anime en ce juge une autre facette de lui-même.

Cette femme est finalement touchée par le discours qu'il lui tient mais elle n'est au départ nullement consciente de son rôle. Le film nous révèle qu'elle et le juge ont eu une précédente rencontre mais il ne semble pas qu'elle en soit restée marquée. Au début, lui la reconnait, elle, non. Lui est amoureux d'elle, elle non.

Cette femme me parait répondre à la définition de ce que nous appelons communément un ange.

Elle est incontestablement un être humain, mais pour ce juge et pour le contexte elle est un ange. Elle est l'apparition qui va activer en lui des parties qui en son absence seraient demeurées inactives.

Je ne suis par ailleurs pas éloigné de penser que c'est quand même lui qui est moteur de la mise en motion de ces parties : nous rencontrons un ange quand nous avons besoin, quand la situation a besoin de son intervention.

L'accusé a ici énormément besoin d'un ange. Il s'est lui-même collé en situation désespérée et n'a pas les moyens de s'en extraire, et au sens plus immédiat, l'ange va apparaître au juge d'une part parce qu'il est la clé du changement de la situation, et d'autre part parce qu'il est en situation vulnérable : il est propice à l'apparition d'un ange, il a aussi besoin de cette planche de salut.

Pour le juge, l'ange prend la forme d'une femme dont il est secrètement et - a-t-il cru jusqu'ici - inutilement amoureux. 

Le levier de la modification de la situation est la pulsion d'amour du juge. C'est par action sur celle-ci que l'issue du procès va être révolutionnée.

Les anges apparaitraient ainsi dans les situations où ils sont indispensables, roue de secours de l'humanité, et par l'intermédiaire des faiblesses de l'humain. 

Les pulsions sont ainsi d'une certaine manière notre moteur, mais elles sont simultanément les voies par lesquelles nous prêtons le flanc.

L'ange apparaît ainsi à Yaakov alors qu'il est dans l'angoisse dans la perspective de son retour au pays et de la rencontre avec Essav, il apparait à Joseph quand il est désorienté "l'homme le trouva alors qu'il errait", il apparaît à David sous la forme de Doeg au temps de Shaül, et sous les traits d'Akhitofel au temps de son propre règne, il apparait à Théodore Hertzel alors qu'il couvre le procès Dreyfus, il apparaît à chacun de nous sous une forme ou une autre à plusieurs carrefours de notre existence

Le juge se mariera-t-il avec son apparition ? Le film ne donne pas la réponse, et il y aurait peu à apprendre de cette réponse. 

Ne sortiraient de cette rencontre mariage ou amour possible que s'il s'avérait que les deux personnalités, du juge et de la jurée, sont compatibles, au delà du mécanisme pulsionnel qui va ce jour être la carte maîtresse de cette situation bien particulière dont ils ne sont que les instruments.

Un très très bon film.