mardi 14 mai 2013

les parures du Sinaï




Le texte biblique, à la suite du triste épisode du veau d’or, indique que les enfants d’Israël se défirent des parures qu’ils avaient reçues au mont Horev, c'est-à-dire au mont Sinaï, c'est-à-dire lors de l’évènement que nous commémorons sous le nom de fête de Chavouot.

De quelles parures s’agit-il, étant entendu que le veau d’or est la partie « décadence » de ce gigantesque épisode « grandeur et décadence » de l’Histoire d’Israël, et d’une grande partie de l’humanité ?

Au mont Sinaï, 50 jours après la sortie d’Egypte, après la libération d’un esclavage de 210 ans, les hébreux massés au pied de la montagne, reçoivent la Torah. Ils reçoivent, d’après la tradition orale deux commandements de la Bouche Divine, les deux premiers de Dix Commandements (« Je suis l’Eternel ton Dieu qui t’ai fait sortir d’Egypte, de la maison d’esclavage » et « tu n’auras pas d’autre dieu que moi, tu ne te feras aucune représentation de ce qui est au ciel, sur la terre ou dans la mer, tu ne te prosterneras pas devant eux et tu ne les adoreras pas parce que je suis un Dieu jaloux qui conserve la faute des pères sur quatre générations et qui répand sa bienveillance sur mille générations pour ceux qui respectent ses commandements »), et le reste du décalogue, puis le reste de la Torah, avec ses 613 commandements par l’intermédiaire de Moïse.

Nul doute que cette cérémonie représente quelque chose de bien au-delà de ce que ne pourrait le figurer quelque Cecil B de Mille que ce soit. Il s’agit de l’accession à un statut de peuple dialoguant avec le Divin, statut de rencontre entre le Créateur et les créatures, statut paroxystique et d’aboutissement de l’histoire du monde. Statut auquel le terme parure correspond pour le moins.

Mais alors quelles parures ? De quoi se trouve revêtu le peuple ayant eu accès à cette haute distinction ?

Le midrach, comme à son habitude, en vertu de la vocation qui est la sienne d’être le support de la réflexion philosophique du monde talmudique, est un lieu propice de réflexion sur cette question.

En Exode Rabbah 45, 2, on trouve trois hypothèses, puis une quatrième  :
« pour Rabbi Hanin de Tsipori, il s’agissait de couronnes, similaires à des couronnes royales. Pour Rabbi Shimeon bar Yokhaï, il s’agissait de ceintures, et pour Rabi Simi, il s’agissait de bijoux, dans la suite de ce qui est écrit en Deutéronomme 26, 17-18 : tu as glorifié l’Eternel ton D. et …il t’a distingué aujourd’hui » et plus loin « pour Rabbi Shimeon Bar Yokhaï, ce furent des armes sur lesquelles était gravé le nom divin ». Une cinquième hypothèse ne figure pas à cet endroit mais est presque la plus célèbre : ils auraient reçu à cette occasion les Tefilins, en signe d’identification au Créateur.

Quelles idées sont-elles suggérées à travers ces hypothèses ?  De quoi peut-on se réclamer après avoir assisté à pareil évènement ? Pour Rabbi Hanin, manifestement, un tel peuple devient comme royal. Il est comme vêtu d’habits royaux. Il s’agirait ici d’une distinction du genre du costume d’académicien. Un peuple devenu subitement – et très provisoirement, le moment où ils se défont de ces parures intervenant à peine 6 semaines plus tard – noble.    

On a le sentiment que les autres avis présentés par le midrach sont très différents. Que représente la ceinture ? que représentent les bijoux ? l’épée ? les tefilins ?

La ceinture évoque plusieurs choses. Elle évoque le pantalon, celui porté par exemple dans le couple par celui des deux qui assume la responsabilité, elle évoque cette ceinture que se mettent les hassidim au moment de la prière et qui sépare le bas du haut du corps.
Comme si aux yeux de Rabbi Shimeon Bar Yokhaï, il était surtout question de responsabilité, de moralité.

Les bijoux par ailleurs sont d’une symbolique très claire, ils évoquent la beauté, le bonheur de la rencontre. Ils sont en phase avec les termes de distinction et de glorification qui apparaissent dans les versets du Deutéronomme. Restons un instant sur ces termes. Bien que traduits ici par deux mots différents, la Bible utilise deux fois le même verbe, une formule verbale qui est un apax, que l’on ne trouve nulle part ailleurs dans le canon.

Ce verbe est la 5ème  construction de la racine a-m-r qui correspond à la parole. Je parle : « ani omer ». Cette 5ème construction, traditionnellement considérée comme la forme factitive, devrait vouloir dire « je fais dire », et elle est traduite ici il t’a distingué, ou tu l’as glorifié, tout ceci probablement par la parole.

Cela renvoie à cette hypothèse selon laquelle cette distinction serait une façon métaphorique de parler des tefilins, que portent les hommes – et certaines femmes – juifs chaque matin sauf le shabbat, et que porterait aussi Dieu selon la tradition.

Pourrait-on voir dans ces bijoux et dans le verbe qui leur est accolé le signe qu’ils appellent à un nouveau niveau de parole, qu’ils représentent une nouvelle forme de dialogue. Un dialogue placé sous le signe de la beauté, de la noblesse.

On se rapproche du thème de la couronne et des habits royaux mais en ne pensant plus à la richesse ou à la noblesse au sens propre.

Comme si ces rabbins n’étaient en rien en désaccord mais essayaient de définir cette noblesse.

Une noblesse à laquelle on accède par le niveau de dialogue qu’on aura atteint avec son interlocuteur. Un interlocuteur auquel on ne fait pas que s’adresser, auquel on ne se contente pas de répondre, mais avec lequel on a comme une alliance verbale. Une alliance qui ne repose pas uniquement sur de la distinction mais sur la responsabilité et la morale. Une alliance marquée par les tefilins : les porte celui qui y est attaché, qui veut n’agir que sous de tels signes, qu’en respect de ce qu’elles représentent.

Comme si le peuple élu n’était en fait en rien de sang royal, comme s’il n’y avait aucune race mais au contraire une prise collective de responsabilité.

On n’est juif que du fait de ses actes et non par ascendance. Est juif celui dont les enfants sont juifs disait le rav Steinzaltz. Qu’est-ce à dire ? non uniquement qu’est juif celui qui aura réussi à faire passer le judaïsme à la génération suivante, est juif qui aura réussi à être dans ses actes le porteur de cette ceinture, de ces bijoux, de ces tefilins. Ceux-ci peuvent alors devenir comme des auréoles, comme des couronnes royales, ceux-ci sont le signe de l’humanité embellie.

Les enfants d’Israël ont été 6 semaines durant dans cette situation et en sont bien vite redescendus. Ils avaient fait le veau d’or, Moïse avait brisé les Tables de la loi.

Quelle fut la suite ? ils reçurent de nouvelles Tables, ils continuèrent.

Un texte talmudique considère qu’ils se vêtirent à nouveaux des parures mais là, c’est la question du « quand ? » qui se pose, même si la tradition considère que c’est la fête de Pourim qui est le signe de la réhabilitation du peuple, au moment où les juifs ont accepté les consignes et les ordres de Mardochée et l’autorité royale d’Esther.

Pour l’heure, les évènements sensationnels et paradigmatiques ont été dépassés. Ils étaient trop cinématographiques pour être durables. Et probablement que la collectivité n’était pas alors au niveau de ce qui était souhaité.

C’est aujourd’hui la même situation. La collectivité d’Israël n’est probablement pas digne d’arborer les parures. Il y a trop de failles, trop d’inaptitudes. Mais le potentiel est resté. Les éléments par lesquels on peut atteindre ce haut niveau d’humanité sont là, à portée de main. Et on peut donc considérer que ces parures existent.

Peut-être existent-elles quand Israël (le peuple ou le pays) se distinguent, peut-être existent-elles aux yeux des nations, qui paraissent ne pouvoir regarder Israël avec les mêmes yeux que ceux qu’ils portent sur les autres nations.

Ces parures seraient le signe qui nous distingue, ce qui fait qu’être Israël ne laisse que peu de chance d’être anonyme. Nous les portons même quand nous croyons ne pas les porter, et elles nous désignent.

A nous de les utiliser de manière à ce qu’elles nous désignent sous notre bon jour.

A nous de ne pas laisser les ennemis d’Israël les transformer en étoile jaune, à nous de nous montrer à la hauteur de la responsabilité qui découle de l’élection dont nous fêtons le souvenir.

Bonne fête.