Le texte
biblique, à la suite du triste épisode du veau d’or, indique que les enfants
d’Israël se défirent des parures qu’ils avaient reçues au mont Horev,
c'est-à-dire au mont Sinaï, c'est-à-dire lors de l’évènement que nous commémorons
sous le nom de fête de Chavouot.
De quelles
parures s’agit-il, étant entendu que le veau d’or est la partie
« décadence » de ce gigantesque épisode « grandeur et
décadence » de l’Histoire d’Israël, et d’une grande partie de
l’humanité ?
Au mont Sinaï, 50
jours après la sortie d’Egypte, après la libération d’un esclavage de 210 ans,
les hébreux massés au pied de la montagne, reçoivent la Torah. Ils reçoivent,
d’après la tradition orale deux commandements de la Bouche Divine, les deux
premiers de Dix Commandements (« Je suis l’Eternel ton Dieu qui t’ai fait
sortir d’Egypte, de la maison d’esclavage » et « tu n’auras pas
d’autre dieu que moi, tu ne te feras aucune représentation de ce qui est au
ciel, sur la terre ou dans la mer, tu ne te prosterneras pas devant eux et tu
ne les adoreras pas parce que je suis un Dieu jaloux qui conserve la faute des
pères sur quatre générations et qui répand sa bienveillance sur mille
générations pour ceux qui respectent ses commandements »), et le reste du
décalogue, puis le reste de la Torah, avec ses 613 commandements par
l’intermédiaire de Moïse.
Nul doute que
cette cérémonie représente quelque chose de bien au-delà de ce que ne pourrait
le figurer quelque Cecil B de Mille que ce soit. Il s’agit de l’accession à un
statut de peuple dialoguant avec le Divin, statut de rencontre entre le
Créateur et les créatures, statut paroxystique et d’aboutissement de l’histoire
du monde. Statut auquel le terme parure correspond pour le moins.
Mais alors
quelles parures ? De quoi se trouve revêtu le peuple ayant eu accès à
cette haute distinction ?
Le midrach, comme
à son habitude, en vertu de la vocation qui est la sienne d’être le support de
la réflexion philosophique du monde talmudique, est un lieu propice de
réflexion sur cette question.
En Exode Rabbah
45, 2, on trouve trois hypothèses, puis une quatrième :
« pour Rabbi
Hanin de Tsipori, il s’agissait de couronnes, similaires à des couronnes
royales. Pour Rabbi Shimeon bar Yokhaï, il s’agissait de ceintures, et pour
Rabi Simi, il s’agissait de bijoux, dans la suite de ce qui est écrit en
Deutéronomme 26, 17-18 : tu as glorifié l’Eternel ton D. et …il t’a
distingué aujourd’hui » et plus loin « pour Rabbi Shimeon Bar Yokhaï,
ce furent des armes sur lesquelles était gravé le nom divin ». Une
cinquième hypothèse ne figure pas à cet endroit mais est presque la plus
célèbre : ils auraient reçu à cette occasion les Tefilins, en signe
d’identification au Créateur.
Quelles idées
sont-elles suggérées à travers ces hypothèses ? De quoi peut-on se réclamer après avoir
assisté à pareil évènement ? Pour Rabbi Hanin, manifestement, un tel
peuple devient comme royal. Il est comme vêtu d’habits royaux. Il s’agirait ici
d’une distinction du genre du costume d’académicien. Un peuple devenu subitement
– et très provisoirement, le moment où ils se défont de ces parures intervenant
à peine 6 semaines plus tard – noble.
On a le sentiment
que les autres avis présentés par le midrach sont très différents. Que
représente la ceinture ? que représentent les bijoux ? l’épée ?
les tefilins ?
La ceinture
évoque plusieurs choses. Elle évoque le pantalon, celui porté par exemple dans
le couple par celui des deux qui assume la responsabilité, elle évoque cette
ceinture que se mettent les hassidim au moment de la prière et qui sépare le
bas du haut du corps.
Comme si aux yeux
de Rabbi Shimeon Bar Yokhaï, il était surtout question de responsabilité, de
moralité.
Les bijoux par
ailleurs sont d’une symbolique très claire, ils évoquent la beauté, le bonheur
de la rencontre. Ils sont en phase avec les termes de distinction et de
glorification qui apparaissent dans les versets du Deutéronomme. Restons un
instant sur ces termes. Bien que traduits ici par deux mots différents,
la Bible utilise deux fois le même verbe, une formule verbale qui est un
apax, que l’on ne trouve nulle part ailleurs dans le canon.
Ce verbe est la 5ème
construction de la racine a-m-r
qui correspond à la parole. Je parle : « ani omer ». Cette 5ème
construction, traditionnellement considérée comme la forme factitive, devrait
vouloir dire « je fais dire », et elle est traduite ici il t’a distingué,
ou tu l’as glorifié, tout ceci probablement par la parole.
Cela renvoie à
cette hypothèse selon laquelle cette distinction serait une façon métaphorique
de parler des tefilins, que portent les hommes – et certaines femmes – juifs
chaque matin sauf le shabbat, et que porterait aussi Dieu selon la tradition.
Pourrait-on voir
dans ces bijoux et dans le verbe qui leur est accolé le signe qu’ils appellent
à un nouveau niveau de parole, qu’ils représentent une nouvelle forme de
dialogue. Un dialogue placé sous le signe de la beauté, de la noblesse.
On se rapproche
du thème de la couronne et des habits royaux mais en ne pensant plus à la
richesse ou à la noblesse au sens propre.
Comme si ces
rabbins n’étaient en rien en désaccord mais essayaient de définir cette
noblesse.
Une noblesse à
laquelle on accède par le niveau de dialogue qu’on aura atteint avec son
interlocuteur. Un interlocuteur auquel on ne fait pas que s’adresser, auquel on
ne se contente pas de répondre, mais avec lequel on a comme une alliance
verbale. Une alliance qui ne repose pas uniquement sur de la distinction mais
sur la responsabilité et la morale. Une alliance marquée par les
tefilins : les porte celui qui y est attaché, qui veut n’agir que sous de
tels signes, qu’en respect de ce qu’elles représentent.
Comme si le
peuple élu n’était en fait en rien de sang royal, comme s’il n’y avait aucune
race mais au contraire une prise collective de responsabilité.
On n’est juif que
du fait de ses actes et non par ascendance. Est juif celui dont les enfants
sont juifs disait le rav Steinzaltz. Qu’est-ce à dire ? non uniquement
qu’est juif celui qui aura réussi à faire passer le judaïsme à la génération
suivante, est juif qui aura réussi à être dans ses actes le porteur de cette
ceinture, de ces bijoux, de ces tefilins. Ceux-ci peuvent alors devenir comme
des auréoles, comme des couronnes royales, ceux-ci sont le signe de l’humanité
embellie.
Les enfants
d’Israël ont été 6 semaines durant dans cette situation et en sont bien vite
redescendus. Ils avaient fait le veau d’or, Moïse avait brisé les Tables de la
loi.
Quelle fut la
suite ? ils reçurent de nouvelles Tables, ils continuèrent.
Un texte
talmudique considère qu’ils se vêtirent à nouveaux des parures mais là, c’est
la question du « quand ? » qui se pose, même si la tradition
considère que c’est la fête de Pourim qui est le signe de la réhabilitation du
peuple, au moment où les juifs ont accepté les consignes et les ordres de
Mardochée et l’autorité royale d’Esther.
Pour l’heure, les
évènements sensationnels et paradigmatiques ont été dépassés. Ils étaient trop
cinématographiques pour être durables. Et probablement que la collectivité
n’était pas alors au niveau de ce qui était souhaité.
C’est aujourd’hui
la même situation. La collectivité d’Israël n’est probablement pas digne
d’arborer les parures. Il y a trop de failles, trop d’inaptitudes. Mais le
potentiel est resté. Les éléments par lesquels on peut atteindre ce haut niveau
d’humanité sont là, à portée de main. Et on peut donc considérer que ces
parures existent.
Peut-être
existent-elles quand Israël (le peuple ou le pays) se distinguent, peut-être
existent-elles aux yeux des nations, qui paraissent ne pouvoir regarder Israël
avec les mêmes yeux que ceux qu’ils portent sur les autres nations.
Ces parures
seraient le signe qui nous distingue, ce qui fait qu’être Israël ne laisse que
peu de chance d’être anonyme. Nous les portons même quand nous croyons ne
pas les porter, et elles nous désignent.
A nous de les
utiliser de manière à ce qu’elles nous désignent sous notre bon jour.
A nous de ne pas
laisser les ennemis d’Israël les transformer en étoile jaune, à nous de nous
montrer à la hauteur de la responsabilité qui découle de l’élection dont nous
fêtons le souvenir.
Bonne fête.