dimanche 26 janvier 2014

Life of Pi, midrach asiatico-canadien ?



Un bateau japonais au nom hébraïco-cabalistique ("Tsimtsoum"), les entrailles bourrées de tous les animaux de la création appartenant à un propriétaire indien, ayant appareillė depuis Pondicherry en direction du Canada et qui est mis en péril au milieu de l'atlantique, on a compris : on est en allégorie de l'histoire de Noé.

Quand de plus il s'avère que le héros, fils du propriétaire des animaux est affublé d'un nom monosyllabique, ou plutôt converti en tel, et hanté de rêves messianiques, le doute n'est plus possible.

Nous avons donc un individu qui se retrouve seul survivant d'une catastrophe aquatique, en compagnie d'animaux dont la gestion de la cohabitation s'avère impossible, un individu qui a montré encore avant ce développement combien la chose métaphysique était au centre de ses préoccupations, avec une forte tendance pour l'universalisme, un individu qui va réussir le tour de force de l'apprivoisement d'un tigre du Bengale, alors qu'ils sont deux, seuls au coeur de l'immensité.

Aucun doute, c'est vraiment de l'histoire du déluge qu'il est question. Un déluge dont on se souvient qu'il fut dans le récit biblique envoyé au monde entier en punition de l'anarchie qui l'envahissait. "Pi" représentant, comme nous le savons tous depuis le collège, la mise en présence du cercle et de la droite, autrement dit des éléments de la nature d'une part et de l'homme d'autre part, il est clair que c'est le véritable nom du héros du déluge, celui à qui incombe la tâche de refaire redémarrer une humanité plus saine. Le héros du film aura eu comme première "épreuve" sur cette terre de découvrir sa véritable identité, ayant été de naissance affublé d'un nom ridicule qui n'appelle son propriétaire qu'à en se choisir un autre.

Crème chantilly sur le gateau : le tigre avec lequel Pi se bat une heure de spectateur (277 jours d'après le scénario) sur le bateau, n'existe pas, n'est que le fruit d'images de synthèse. Et cerise sur cette crème : le tigre parait ne pas avoir existé du tout mais avoir été un rêve, un délire, un fantasme, ou la conversion en animal de la propre férocité de Pi à combattre les difficultés de l'existence. Le récit auquel le spectateur vient d'assister se retrouve en effet modifié par le narrateur lui-même quand il s'aperçoit que personne ne peut vraiment croire à sa rocambolesque aventure de Noé sauvé du déluge. Il le modifie en ré-humanisant les personnages, et en laissant le spectateur perplexe, et s'interrogeant sur ce qu'il vient de regarder deux heures durant, un peu comme l'homme du 21 ème siècle qui se trouve soudain invité, aux détours d'un midrach, à se demander des récits de ses ancètres ce qui est réalité et ce qui n'est qu'allégorie. Clin d'oeil à la portée du récit biblique ? Ou clin d'oeil à la confrontation sempiternelle du survivant (de la shoa par exemple) à une humanité incrédule ? 

On notera le passage éclair de notre Pi-héros par l'île imaginaire, apparemment dans le rôle de la "terre qui digère ses habitants", allusion à celle -d'Israël-, au centre du récit biblique, qui se vit gratifiée du "glorieux" attribut de terre qui les vomit. Version cinématographique de l'alternative canadienne à la terre promise?

Un film "mise en abyme" qui se paie comme décor les fonds de l'abîme  !