mardi 25 avril 2023

Fondamentalisme et réaction sont les mammelles de la réforme

 

Fondamentalisme et réaction sont les mammelles de la réforme. La fin de la crise ne viendra pas du seul souvenir des disparus pour la nation.

Beaucoup ont déjà écrit combien la crise actuelle est la plus importante que connait le pays depuis sa création. Non seulement j’adhère à cette analyse, mais je crois qu’il ne faut surtout pas prendre le sujet à la légére.

Tandis que l’occident regarde Israël d’un regard torve et que les manifestants crient qu’ils ne laisseront pas s’installer ici une dictature, c’est d’autre chose qu’il faudrait s’inquiéter. Je ne crains pas les vélléïtés dictatoriales ni de Bibi, ni de Lévine, ni ne me paraissent-elles être le véritable danger qui menace le pays, même si de façon théorique une réforme qui a pour but d’inféoder la justice au pouvoir ouvre la porte à une telle éventualité.

L’enjeu est ailleurs. Il s’agit du caractère juif du pays. L’ètat n’a pas de constitution non du fait que personne n’a eu le temps d’en créer une, mais bien du fait de ce qui constitue l’écueil aujourd’hui : une constitution serait basée sur des valeurs universelles, occidentales, laïques, contre lesquelles constitue aujourd’hui une coalition la frange du pays qui leur est idéologiquement opposée.

Les ultraorthodoxes sont la raison invoquée de ne pas avoir écrit de constitution en 1948 : ils ne veulent pas d’un pays dont la constitution ne serait pas la Torah. Il n’y a à leurs yeux aucun autre justificatif à la création d’un état juif que celui de le faire fonctionner sur les bases de la Torah. Ceci est le véritable et authentique projet à leurs yeux. La Torah n’est pas un livre religieux mais un programme de vie, qui entend gérer les questions individuelles, collectives et internationales, et quelqu’un d’ultraorthodoxe ne voit aucune autre option légitime de vie nationale juive.
Ceux qui craignent un fondamentalisme juif à l’iranienne (le regard occidental) ne comprennent tout simplement pas la situation. Il n’y a pas d’équivalent de la chariah dans la Torah, personne n’édictera que les femmes doivent porter une burqa et on ne coupera la main à personne. Même la réinstauration de la lapidation qui apparait dans la Torah n’est au programme de personne, elle a été rayée du programme ad vitam eternam par les sages du talmud il y a déjà 1500 ans. C’est d’un fondamentalisme plus axé sur l’authenticite qu’il s’agit. C’est d’un regard plus antagoniste vis à vis du christianisme qu’il s’agit. Pour la frange fondamentaliste, nous vivons actuellement dans un pays qui « souffre » des séquelles de deux mille ans sous domination catholique, et on répète et on étudie cela dans les yechivot jour après jour. Poussé à l’extrème, cela débouche sur le « torato oumanouto » (la consigne devenue nationale ultraorthodoxe israélienne de preférer la Torah à toute autre spécialisation professionnelle : c’est le rôle des hommes juifs, c’est de l’affiliation à ce rôle que viendra le Salut, et c’est pris au sens propre à méa shearim, à Bné Brak et aujourd’hui à Emmanuel, Betar, Bet Shemesh, Modiïn ilit et les autres localités champignons ultraorthodoxes qui ont surgi ces dernières années), ou vu sous un autre angle cela pousse au développement des implantations.

Il ne s’agit ni de refuser de servir dans l’armée ni de repousser et opprimer les arabes, il s’agit d’agir comme on comprend que la Torah le recommande : peupler le pays au plus large, donner à la Torah le maximum d’impact dans la vue quotidienne. C’est le fondamentalisme juif. Il n’est vestimentaire qu’au chapitre des péot, des manches longues et du monochrome, il n’est pas agressif ni dictatorial.

La réaction est le fait de non seulement se méfier du progrès (qui émane de « forces pseudo laïques mais en réalité catholiques, et donc envenimées » vont jusqu’à dire bon nombre de porte voix rabbiniques) mais de considérer qu’il est nuisible, qu’il véhicule derrière une façade de poussée technologique un risque de dépravation morale (internet et son diabolisme est le symbole de cette dépravation).

Aux yeux de ces fondamentalistes et réactionnaires (qui sont non uniquement représentés par les populations ultraorthodoxes affirmées) il y a urgence à réforme. Pour les ultraorthodoxes, mener un pays « à la laïque » est plus qu’une offense à la Torah c’est un danger. Pour les partisans de « l’implantation coûte que coûte » c’est de messianisme qu’il s’agit : le judaïsme attend le messie, et ce dernier viendra d’autant plus rapidement que le pays sera judaïsé.

Il y a comme une scotomisation des problèmes sécuritaire et racial. Les ultraorthodoxes sont convaincus que c’est D. et l’étude de la Torah qui nous protègent et en aucun cas (ou de façon très marginale) l’armée ou la technologie, les implanta-sionistes sont convaincus que les arabes doivent accepter la réalité c’est à dire que le peuple juif est revenu sur sa terre après deux mille ans d’exil, et ils doivent laisser la place au nom de l’Histoire du monde. Les notions de brimade, humiliation ou racisme sont à leurs yeux insignifiantes…Malheureusement, ils « ignorent » aussi que ce sont les arabes de qui ils attendent qu’ils construisent ces implantations, les routes qui y mènent…qui tout à la fois affirment la présence juive et développent économiquement et démographiquement la présence arabe dans le pays.

Le peuple est-il uni derrière les victimes de la reconstruction du pays comme nous le vivons en ces yom hazikaron et yom haatsmaout ? Et ces jours réussiraient-ils comme le recommande le président à sonner l’heure du réveil, à partir de laquelle on cesse de se disputer et on recommence à travailler main dans la main ?

Je crains que non. Je crains que non parce qu’il n’y a pas ici uniquement du désaccord, il y a des blessures.

Les laïcs sont blessés par la conception ultraorthodoxe qui se concrétise par la non participation à l’effort national (travail et armée),

Les implanta-sionistes sont brimés et blessés par cette haute cour qui déclare à gauche et à droite encore et encore une nouvelle implantation comme illégale…par inféodement illégitime aux lois scélérates laïques, occidentales et d’esprit chrétien (entendez antisémite).

Les ultraorthodoxes de shass sont blessés d’étre séfarades tandis qu’à leurs yeux le pays est outrageusement aux mains des ashkenazes,

Les ultraorthodoxes sont blessés (oui !) qu’on ne leur donne pas les mêmes conditions sociales qu’au reste du pays et qu’on les méprise alors qu’ils n’ont que le comportement que recommande la Torah (à leurs yeux).

Les partisans de la réforme sont blessés par les manifestations, et prises de position de la presse et du monde universitaire, entre autres par comparaison avec « leurs » manifestations d’il y a vingt ans (au moment du désengagement de Gaza) qui ont été alors (deleur point de vue) traitées par le mépris et ils ont cela sur l’estomac depuis.

Et donc, il faudrait pour que cesse la crise non uniquement se remettre au travail comme hier en souvenir pieux des victimes….il faudrait faire la paix, se pardonner, parce que toutes les rancoeurs sont ressorties pendant ces 16 dernières semaines.

Et c’est la grande erreur de cette coalition, qui ne pensait probablement pas mettre un tel feu aux poudres, et c’est la grande culpabilité des dirigeants qui ont profité de cette situation pour récupérer un pouvoir qu’il avait perdu, ce qui était un risque (celui d’étre condamné) et une humiliation.

Les appels lénifiants ne suffiront pas. Il faut des excuses. Et des résolutions….

Mais il reste encore possible de s’unir (ou n’est-ce trop sur le fil ?) autour des cérémonies , et de yom haatsmaout. Ce sont des jours très particuliers, très forts., auxquels tous (sauf ceux qui ne s’arrêtent pas au son de la sirène et travaillent à yom haatsmaout, et il y en a beaucoup…dans les lieux nommés ci-dessus) sont très attachés.


dimanche 9 avril 2023

Chronique d’un mouvement.

 

Hier soir, manifestation. Pour la quatorzième semaine consécutive. 300000 personnes sur tout le pays, 140000 à Tel Aviv, et 12000 devant la résidence du président de l’état à Jérusalem.
Scénario devenu,classique. Deux manifestations l’une a côté de l’autre. L’une réunie autour de l’urgence de « garder la maison de tous », urgence d’unité du peuple, l’autre contre l’occupation des territoires.
Sur le trottoir d’en face quelques isolés qui vocifèrent ou brandissent des pancartes accusant les « gauchistes » de traitrise, d’avoir ruiné le pays, déjà depuis Oslo en 1993. Si Rabin était encore vivant, ils le souhaiteraient mort encore aujourd’hui.

La manifestation majeure, celle de la garde de l’unité, fait monter comme chaque samedi soir plusieurs orateurs à la tribune, aujourd’hui seulement oratrices. Une femme qui fit son alya d’Argentine, qui vit depuis vingt ans en bordure de Aza, aujourd’hui à Sdérot, qui vit dans les abris de longues périodes, qui raconte comment c’est la cour supréme sous Olmert qui a contraint le gouvernement (de droite encore une fois) à construire les abris â Sderot, qui raconte le stress et qui termine son allocution sur « j’ai vécu en Argentine sous la dicature, je cherche à ne pas finir mes jours en Israël sous la dictature ». Lui succêde une femme arabe voilée, musulmane de Acco, qui parle au nom de l’unité des habitants de ce pays et de l’exigence d’égalité des droits. Lui succéde une enfant. Une éléve de classe de seconde du lycée Leyada, si les élèves de seconde parlaient tous ce langage, d’exigence de démocratie, d’exigence du maintien dans le pays d’un organe de contrôle du gouvernement, nous n’aurions pas besoin de manifester : la relève serait assurée. Lui succède une femme féministe ultraorthodoxe dont le discours fait moins l’unanimité, met trop les harédims en position de victimes aux yeux de l’ensemble de l’assemblée semble-t-il mais est quand même applaudie quand elle termine son discours par un message personnel au président lui suggérant d’inclure au mpins une femme ultrorthodoxe dans la composition des équipes de négociation entre partisans et opposants à la réforme. Et parle en dernier une récente ancienne députée, la moins performnte des oratrices de cette soirée.
Comme régulièrement, les interventions sont ponctuées de cris de foule, cris de slogans contre ce gouvernement, de quelques chants.
Notre meneuse de soirée, formidable étudiante en droit à la voix stridente et animée d’une magnifique énergie, fait chanter en choeur le « avadim hayinou » de Pessah’ avant de clore par le chant de la hatikva.
Le public « d’anarchistes » (selon les gredins qui nous gouvernent) est composé.pèle mêle de religieux et non religieux, jeunes et (parfois beaucoup) moins jeunes, la plupart équipés de t-shirts avec slogan imprimé, et de drapeaux d’Israël, je reconnais bon nombre de professeurs d’université, de personnalités, l’ambiance est trés digne, s’est ouverte par une minute de silence à l’évocation des victimes des deux derniers attentats.

La tri présence à cette soirée est comme symbolique de la situation actuelle dans le pays. Mais selon une répartition en tiers différente de celle de hier soir.

Les opposants à la réforme sont surtout animés de la préoccupation quant au caractère démocratique de ce que deviendra l’ètat si passe la réforme. Les slogans sont surtout autour de l’exigence de conservation de trois corps distincts, le juridique, le législatif et l’éxécutif, contre une réforme qui vise ouvertement à inféoder la haute cour au gouvernement, et qui met le pays à la merci de ce dernier. Les manifestants voient ce gouvernement comme le plus extrémiste qu’ait connu Israël et comme éminemment non crédible, et visent qui à l’arrêt de ce processus de reforme, qui à la chute de ce gouvernement.

Les partisans de ce gouvernement sont à mon opinion deux parties bien distinctes, qui sont toutes deux satisfaites de la coalition mais pour des motifs fort différents. Une partie est celle qui milite pour l’Israël promis par la prophétie. Ils visent à ce que se réalise la prière prononcée trois fois par jour que « voient nos yeux le retour de la Présence Divine à Jérusalem » et la réinstauration des sacrifices au temple. Certains sont plus pressés que d’autre, certains manifestent leur voeu par le biais des implantations, mais il est le fondement de leur position politique. Ils se fichent de la démocratie. Certains affichent à voix haute la préférence pour une monarchie comme préconisée à leurs yeux par la Bible.
Ils se sentent comme opprimés depuis la création du pays par la tendance séculaire qui se préoccupe d’un accord international sur la façon dont est géré le pays, qui est inféodée à ce grand Satan qu’est l’Amérique, et qui ne laisse se développer ce caractère biblique d’Israël qu’au compte-gouttes, quand ce n’est pas en le brimant réellement.
Cette partie ne reprend nullement l’exigence morale qui ne se trouve pas moins dans la Bible, et ne voit aucun problème à maltraiter les habitants arabes, qui par vengeance contre leur politique d’attentats depuis les débuts du sionisme, qui par conviction qu’une forte politique de présence civile et militaire finira par leur faire comprendre qui est le véritable habitant du pays, qui en adhérant à une tendance fasciste, à l’image de Méïr Cahana.
Pour cette première partie, le slogant « dé-mo-cra-tie » scandé par les opposants à la réforme ne les intéresse pas, ils le traitent avec mépris. L’installation d’une vraie démocratie est encore un signe d’inféodation aux nations, qui ne connaissent pas le sens de l’Histoire, qui ne comprennent pas que le judaïsme est « autre chose ».

La seconde partie des partisans de la réforme sont les bibistes. Membres du likoud ou non, qui plus ou moins choqué par le mode de gestion du pays , ils voient surtout Bibi comme le seul chef de gouvernement possible. Il sait montrer un Israël fort, il est le Trump local, et ils sont les républicains israéliens. Ils sont sûrs que tout ce qui se dit contre l’actuel gouvernement, Bibi y compris, n’est que médisance, reprenant en cela le discours « républicain » tenu par Trump comme par Bibi, selon lequel la « gauche » (démonisée) est l’architecte de la chienlit qu’elle cherche, ayant noyauté au fil des années tant la presse que l’université, que le système juridique en place.
Ceux-ci sont comme aveuglés par ce discours radical anti gauchiste et soutiennent une réforme reconnue il y a trois semaines y compris par son architecte comme mettant le pays en danger de dictature : ils n’y croient pas, voient en Bibi le meilleur chef d’état possible et lui pardonnent toutes ses frivolités et corruptions.
La première moitié est comme royaliste comme idéal biblique, la seconde dans les faits.

Et la clique de canailles qui a réussi à créer une coalition sur cette base n’a ni de programme idéologique d’Israël biblique, ou religieux, ou débarrassé d’arabes, mais seulement voit le profit qu’ils retireront de leur présence au pouvoir, profits d’intérêt principalement, profit de corruption, profit pour Bibi de se débarrasser de la menace juridique qui pèse sur ses épaules.