jeudi 28 janvier 2016

Regard sur le socialisme et sur le sionisme, en l'Europe d'aujourd'hui et plus largement, au prisme de l'histoire de ma famille.



Dans un précédent texte sur mon histoire familiale, je relatais le départ de mon grand-père maternel de Pologne en 1925 en direction de la Palestine d'alors et je mentionnais sa première étape qui avait été la ville de Trieste, dans laquelle il séjourna six mois. Je ne sais toujours pas ce qui fit qu'il séjourna là-bas si longtemps, ni comment il vécut, s'il explora ou profita de la ville, questions qui accompagnaient mon propre voyage là-bas, mais j'ai récupéré quelques informations supplémentaires.
J'ai par exemple appris que mon grand-père quittait à cette époque la Pologne pour la Palestine au moins du fait d'une impulsion ajoutée d'une influence ouvertes : son beau-frère, mari de sa soeur, était un fervent socialiste, son but était en premier lieu la vie au kibboutz, en second lieu la Palestine, et il semble que le départ de mon grand-père s'opéra sous son influence.



photos extraites du livre "Trieste la porta di Sion - Storia dell'emigrazione ebraica verso la Terra di Israele 1921-1940


Il est possible que l'impulsion maîtresse de mon grand-père, le retour en Israël après deux mille ans d'exil juif, lui soit précisément venue de son passage à Trieste et de son étude sur place, avec un "Chouchani" personnel. 

Que cela ait été de ce fait ou d'autres paramètres, pour mon grand-père le socialisme fut secondaire, après le sionisme, tandis qu'il fut primordial pour son beau-frère, et d'autres membres de ma famille.

Ce socialisme est quand même singulier. Il semble qu'il ait ainsi été le moteur de bon nombre de ceux qui se rendirent en Palestine dans la première moitié du vingtième siècle, la plupart fuyant pourtant, pour beaucoup d'entre eux, des pays que le même socialisme avait bouleversés mais sans pour autant avoir fait disparaître l'antisémitisme qui avait accompagné la vie des juifs dans les mêmes pays des siècles durant. 

Le kibboutz a été, de son fait, un très fort pôle d'attraction jusque dans les années d'après guerre, menant entre autres en Israël beaucoup de jeunes volontaires de tous les pays, séduits par ces villages novateurs, et venus les examiner de près. Mais les kibboutzim pour ainsi dire n'existent plus. Quelques rares sont demeurés entièrement collectivistes et, en cela, attachés à cette idéologie première, la plupart des autres ne se sont pas dissous mais se sont privatisés, laissant - loin - derrière eux la partie "socialiste" de leur identité, en général principalement pour raisons...économiques, mais avec de nombreux constats - et de blessures - de dégats parallèles, aux chapitres de la vie familiale et de la vie sociale.

Le monde a vu par ailleurs les tristes résultats-dégâts du socialisme muté en communisme dans les pays où il a été mis en application, a subi les catastrophes (plusieurs dizaines de millions de morts !) dues à un certain "national socialisme". Tandis que ce qui s'appelle encore aujourd'hui parti socialiste, ou de gauche dans tel ou tel autre pays n'a plus qu'un très lointain rapport avec les idées fondatrices de la révolution russe de 1917.

Et ceux qui se revendiquent encore aujourd'hui de façon militante de ce socialisme sont d'une part très peu de gens, et surtout encore moins de vrais prolétaires. Les prolétaires sont souvent plus identifiés avec la version trotskiste, version très particulière "de révolution permanente", et d'opposition de principe - et pérenne - au pouvoir. Il s'agit ici d'une position politique qui ne peut accéder au pouvoir qu'à condition de se parjurer ou se métamorphoser  en quelque chose qui pourrait n'être que très dictatorial, tel que l'a été le maoïsme par exemple, tant l'identification politique de ses adhérents repose sur l'opposition au pouvoir, à la classe dirigeante, corrompue de façon intrinsèque à leurs yeux.

Ceux qui connaissent mon histoire familiale savent que mon grand-père maternel, après avoir finalement atteint la Palestine, y avoir retrouvé ma grand-mère, l'avoir épousé à Tel Aviv en 1925, s'est retrouvé en France dès 1926. Les conditions de vie en Palestine étaient alors très dures, ma grand-mère, enceinte, craignait pour l'avenir de l'enfant.

Alors qu'au niveau de ma famille polonaise (trois branches confondues), il semblait depuis 1914 qu'elle quittait la Pologne pour la Palestine du fait d'une combinaison de trois principaux facteurs : l'attrait pour le socialisme qui prédomina chez certains, l'attrait pour le retour à Sion, comme ce fut le principal pour mon grand-père, et la fuite devenue possible d'une Pologne qui les avait trop régulièrement haïs et massacrés, il s'avérait en 1930 que seuls deux ou trois individus s'étaient effectivement installés dans les kibboutzim, deux avaient eu un parcours individuel et très personnel, et que la plus grande partie de ceux qui avaient quitté la Pologne se trouvaient en France.

La France était aux yeux de ma grand-mère le pays des droits de l'homme, mais avant cela, elle était - pour quelqu'un qui avait grandi démunie de droits civiques et dans une relative pauvreté - le lieu d'une possible prospérité économique, le lieu du progrès.

Ma grand-mère était un personnage actif, décidé. Elle avait quitté la maison familiale parce qu'elle n'acceptait pas que son père la marie contre son gré, elle voyagea plus tard à Pulawy, sa ville natale, avec ses deux filles, l'été 1935, principalement dans le but de convaincre ses frères, soeurs et père (et grand-père) restés sur place, de fuir la Pologne. Elle ne réussit pas.


Se joignirent cependant à mes grands-parents plusieurs couples issus de leurs familles respectives, dont le fameux beau-frère communiste et sa femme, sœur de mon grand-père, ainsi que trois soeurs de ma grand-mère. Plus tard, juste avant la guerre et après guerre, se joignirent encore d'autres membres de la famille.

Mon grand-père maternel, la mémoire sans doute lourde de pogroms, ne faisait confiance à aucun non-juif. Son identité la plus profonde était son identité juive, composée de la crainte et du souvenir de la persecution antisémite pour une part, et du désir de vivre pleinement son judaïsme en Israël (peut-être acquise, en tout cas renforcée à Trieste) pour l'autre part. 

D'autres membres de la même famille résolvaient la même équation de façon sensiblement différente pour l'importance respective de ces trois paramètres, le judaïsme, le sionisme et le socialisme.

La seconde guerre mondiale fut pour tous une catastrophe à des degrés différents selon les individus.

Ceux qui avaient atterri en Israël ne souffrirent pas directement de la shoah. Mon oncle Yaïr, demi-frère de ma grand-mère, installé au kibboutz, tenta, lui aussi sans succès, de sauver ceux demeurés à Pulawy, son frère Arnold réussit à quitter la Pologne in extrémis, ainsi que deux cousins de mon grand-père, Yaacov et Nat, le premier ayant déjà quitté la Pologne en 1936 pour combattre en Espagne aux côtés des brigades rouges, le second, communiste encore plus, ayant cherché et trouvé refuge à l'est. Les autres furent massacrés par les allemands.

En France, l'entrée des allemands à Paris provoqua l'exode, la fuite de beaucoup de français, de mes grands-parents maternels, ainsi que de mes grands parents paternels, chacun de leur côté : ils ne se connaissaient pas encore.

Mes grands parents maternels atterrirent à Prades, dans les Pyrénées, surtout pour fuir le plus loin possible en zone libre, mais aussi avec un œil sur l'Espagne, comme position de repli potentiel.



Se retrouvèrent ainsi à Prades en 1941 plusieurs couples, de la famille de ma grand-mère, en particulier deux soeurs à elle, mais aussi d'autres cousins, et ils n'y étaient pas les seuls juifs, Prades ayant eu la réputation, comme le Chambon sur Lignon, comme Nice, comme quelques autres endroits de France, que les juifs pouvaient s'y réfugier.

Ils purent effectivement y vivre sans être trop inquiétés jusqu'à février 44, les deux filles de mes grands parents, ma mère et sa sœur, allant à l'école puis au collège sur place, mais tandis que mon grand-père comme tout homme, et à titre supplémentaire comme homme juif, a dû se cacher dès l'entrée des allemands en zone libre, en 1942, afin de ne pas éveiller la curiosité.
Il ne sortit pas de la maison pendant une très longue période, qu'il employa partiellement à construire la cachette qui sauva la vie à leur noyau familial quand les allemands frappèrent à la porte cette nuit de février 1944.

Le socialisme, le sionisme faisaient-ils partie des discussions des adultes pendant toute cette période ? Je l'ignore. Je suppose qu'ils luttaient trop dur pour leur survie pour faire des rêves d'avenir, mais leur survie tenait aussi à leur espoir de survie, à leurs rêves d'avenir, aux choix de vie qu'ils envisageaient de faire et qu'ils firent, et le socialisme faisait alors partie du répertoire.

L'irruption des allemands en février 44 sema une nouvelle fois la panique parmi eux. La cachette les avait sauvés, mais ils ne pouvaient plus rester dans la maison.

Ils se séparèrent. Mon grand-père ainsi que la famille de la sœur Eva de ma grand-mère à l'accent yiddish trop prononcé pour envisager de circuler en sécurité, furent hébergés dans la montagne au-dessus de Campoussy, à Palme - une ferme - un mas - dont mes parents connurent les propriétaires par hasard vingt cinq ans plus tard -, tandis que ma grand-mère et ses filles partirent sur les routes.

Elles cherchaient de l'aide, un foyer, et ma grand-mère espérait en trouver auprès d'un fournisseur d'avant-guerre, qui lui avait laissé un bon souvenir. Elles le cherchèrent d'abord à Saint Etienne, puis à Paris où il avait échoué. Il eut la délicatesse de ne pas les dénoncer aux allemands, mais c'est ce à quoi se borna son soutien.

Après un bref passage - très dangereux! -  à Paris, dans un hôtel du Paris 12ème où elles avaient vécu jusqu'en 40 et où elles risquaient d'être reconnues dans la rue et dénoncées et qu'il fallait fuir rapidement, elles se retrouvèrent à l'Isle-Jourdain (Gers), dans cette localité où se trouvaient, et où vivaient plutôt bien en cette dure période de disette, pas mal de juifs.

De là parvint aux oreilles de ma grand-mère que le groupe de Palme prévoyait de passer en Espagne, et elle se déplaça jusque là-bas pour les convaincre de ne pas faire ce qui lui apparaissait comme une folie. Elle ne parvint à convaincre que mon grand-père.

Les autres regardaient l'Espagne comme leur salut, attirés là-bas par des cousins qui avaient réussi à franchir la frontière.

La sœur Eva de ma grand-mère, son mari, et leur fils Jeannot furent pris par les allemands alors qu'ils tentaient de passer la frontière, et furent envoyés à Auschwitz.





La sœur de mon grand-père et son mari socialiste étaient eux aussi passés antérieurement en Espagne et avaient continué vers le Maroc quand ils eurent à choisir, après avoir hésité entre les USA, la Palestine et le Maroc.

Paradoxalement, celle de leurs enfants qui à ce stade voulait surtout rejoindre la Palestine, par conviction socialiste, resta après guerre fortement marquée par ces mêmes idées...au point de devenir anti sioniste !

Ici est le paradoxe fou de ce socialisme, dont Israël fut peut-être le seul pays au monde où son application fut réellement novatrice sans devenir hautement nuisible (en tout cas dans sa version communiste), et dont les anachroniques adhérents d'aujourd'hui (gauche et surtout extrème gauche, avec entre autres cette France "insoumise" du triste Mélenchon) comptent parmi eux les antisionistes les plus ardents, et les plus stables dans leurs convictions. 

Que le communisme soit resté un idéal aux yeux d'une frange de la société européenne même après le stalinisme, même après l'ouverture du rideau de fer et la découverte de ce qu'avait été la vie là-bas, est en soi une énigme. 

Que les idées communistes soient - comme cela parait être le cas - en équation inépuisable avec l'antisionisme est une non moins grande énigme.

Que ces idées soient embrassées par des juifs, pour la plupart issus des pays où le socialisme a été le plus vénéneux, et que cela soit ce qui les polarise contre Israël, est la plus grande de ces énigmes

Les palestiniens, de leur côté, ont réussi le tour de force médiatique de revêtir aux yeux de ces résidus socio communistes l'apparence sempiternelle des damnés de la terre, qui plus est damnés par la faute des israéliens présentés aujourd'hui comme l'incarnation du colonialisme, de l'impérialisme et des apartheidistes. 

Ces défenseurs de la cause palestinienne ont en fait une attitude paradoxale. D'un côté, ils paraissent mieux que tous être décrits par ces quelques lignes de Charles Enderlin ( dont je n'ai pourtant pas vraiment apprécié la contribution en particulier autour de l'affaire A-Dura mais que je cite ici néanmoins) :  
"Pour les professeurs Almond, Appleby et Sivan ( Strong religion. The rise of fundamentalisms around the world. Univesity of chicago press 2002) il y aurait parmi les élites occidentales une forme de myopie séculière produisant « une vision réductrice de la religion, épiphénomène des réalités économiques, politiques et psychologiques. Le principe de la séparation entre l’église et l’état, était, depuis les Lumières, le principal critère de modernisation et de liberté individuelle.[1] » En d’autres termes, intellectuels, journalistes et politiques ont tendance à considérer la religion comme relevant exclusivement du domaine privé et sont souvent quasi imperméables à la vision fondamentaliste totalitaire. (In Charles Enderlin. 25.11.15)",

Tandis que d'un côté, ils demeurent aveugles à ce développement du fondamentalisme religieux, de l'autre côté ils ont en fin de compte une attitude qui, bien qu'ouvertement laïque, a tous les traits de l'attitude religieuse, avec des convictions immuables et solides à toutes sortes de preuves ou d'arguments, ils ont des interdits, ils prononcent des blâmes, des excommunions...

Israël est très loin d'être aujourd'hui une contrée socialiste, mais n'est pas très différente en cela de la plupart des pays du monde développé, et surtout, les palestiniens, représentés et "dirigés" par des nababs corrompus ne me paraissent pas souffrir en premier lieu de cette "domination" israélienne devenue tellement emblématique et négative en occident, en particulier aux yeux des derniers communistes révolutionnaires convaincus, au point que leur facette musulmane fondamentaliste leur reste impunie même après les attentats commis par Daesh à Paris, Bruxelles ou ailleurs, et alors qu'ils ne paraissent pas le moins du monde adhérer eux-mêmes à de quelconques idées égalitaires, ou collectivistes.

Viendra-t-il un jour où ces gens ouvriront les yeux ? A quel prix accepteront-ils de cesser cette démonisation à laquelle ils prêtent main ? Ou devrions-nous nous-mêmes ouvrir les yeux, et nous résoudre à comprendre ce qui meut réellement cette animosité ?

Je suis reconnaissant à mon grand-père d'avoir inculqué à ses enfants et ses descendants avant tout le message de la pérennité du peuple juif, et de n'avoir pas signé pour cette inféodation sempiternelle à des idées sociales qui se sont avérées déficientes et tellement opposées à cette pérennité.

Il a espéré pouvoir vivre un jour en Israël pendant les 54 ans de sa vie en France, et a obtenu - en récompense d'un espoir secret qui ne faiblit jamais - que ses descendants fassent le pas qu'il n'avait pas réussi à faire, et lui permettent, en lui ouvrant la voie, de vivre les 13 dernières années de sa vie au bon endroit.

Yaakov, le neveu de mon grand-père, qui quitta la Pologne et le monde traditionnel dans lequel ses parents avaient été élevés pour aller combattre le fascisme en Espagne, passa en Palestine et se rallia en 1940 à l'armée britannique où il servit, et fut blessé, comme pilote. Il participa ensuite à la création de l'armée de l'air israélienne et se lança dans les affaires dès 1958, partant vivre dans un premier temps en Allemagne, dans un second temps en Iran, avant de revenir se partager entre Israël et Londres. Il a quitté le monde juif et la Pologne par idéal socialiste et a bifurqué.

Nat, autre neveu de mon grand-père, compère de Yaakov durant l'enfance adhéra lui aussi aux idées socialistes au point de quitter la Pologne pour l'URSS où il passa toute la guerre. Il retourna en Pologne et participa à la mise en place là-bas d'un régime socialiste. Grand savant physicien, il devint directeur d'une centrale électrique en Pologne et y demeura jusqu'en 1958 où il dut fuir, poursuivi tant en tant que juif qu'en tant qu'activiste politique. Il se rendit à Paris et poursuivit une brillante carrière scientifique, au cnrs, dans un laboratoire dont les travaux furent couronnés en 1970 du prix nobel pour la découverte du principe d'hystérésis. Mourut-il communiste, lui qui vu de l'extérieur y adhéra à la façon d'Icare ? je l'ignore.

On en vient à se demander quelle doit être en 2017 la place de ce socialisme dans les choix à effectuer lors des grandes consultations électorales actuelles, en Europe comme aux Etats Unis comme en Israël.

Il parait assez clair que le socialisme est né de la détresse sociale. Il parait non moins clair que les populations des pays européens et du nouveau monde souffraient de statut social jusqu'aux révolutions, révolution française, révolution russe, et que seules d'infimes minorités souffrent encore aujourd'hui de telles inégalités. La plupart des individus sont aujourd'hui protégés par les droits de l'homme  et même alors que les écarts salariaux ou de richesse familiale restent énormes peu vient aujourd'hui ni dans la misère ni même dans des situations qui rappellent les conditions du prolétariat russe d'avant 1917 ou du bas peuple dans la France d'avant 1789. 

Le socialisme a porté la société, a incarné l'espoir d'individus en attente d'un monde meilleur. Le socialisme a été le pivot ou le tremplin pour de nombreux individus dont mon grand-père, Yaakov,  Nat sont quelques exemples. 

Le socialisme les ayant aidés, propulsés, peut-être un peu malmenés aussi, ils n'y sont pas restés, ont continué plus loin.

Au chapitre collectif, le socialisme a permis le soutien aux classes économiquement faibles, au prolétariat, aux damnés de la terre, mais il a soit terriblement échoué (URSS) soit tragiquement dérivé (dictature cubaine, vénézuelaine), ou a été perverti ("national socialisme) mais il parait très difficile de désigner un pays dans lequel il soit devenu l'instrument d'un pouvoir sage, social, humaniste..

Les kibboutzim ont représenté une application heureuse mais ils se sont détachés de ce collectivisme avec la prospérité économique.

Et donc, y a-t-il à souhaiter qu'un gouvernement soit socialiste ? la véritable place du socialisme n'est-elle pas l'opposition ? celle qui permettrait (en situation idéale) aux délaissés par les dirigeants obnubiliés par la croissance croissance économique et leur enrichissement personnel d'être néanmoins protégés.

Israël est finalement  né du socialisme  dans son ensemble ou pour une part non négligeable. C'est la raison pour laquelle ses premiers gouvernements ont été socialistes...jusqu'à ce que la droite ne prenne - et garde (démocratiquement) le pouvoir, le parti socialiste réalisant le même score que celui de Hamon lors de la dernière consultation française.

Et il reste de nombreuses questions.

Israël n'est pas le pays de cocagne, et a sa part de responsabilité dans le fait que le conflit avec les palestiniens ne soit pas encore réglé, mais l'acharnement dont il fait l'objet à travers les innombrables condamnations, les mouvements de boycott et les toutes récentes mesures d'étiquetage de ses produits d'exportation ne parait ni justifié, ni exempt d'antisémitisme, ni surtout pouvoir contribuer à une quelconque solution du conflit. 

Et surtout, d'où est sortie chez bon nombre de juifs aujourd'hui antisionistes, cette adhésion tenace contre un Israël tenu comme bastion d'un impérialisme, eux qui ont su de près combien ce pays ne s'est pas construit comme une colonisation émanant d'une métropole riche, mais à la sueur du front de pauvres immigrés, leurs frères ou leurs cousins, eux-mêmes rescapés d'horreurs que le monde a trop vite oubliées ?

Ces condamnations, boycotts, étiquetage, paraissent tellement antisionistes à leur base - et non en relation avec les territoires controversés parce que conquis par la guerre des six jours -, tellement compulsivo-obsessionnels, qu'ils ne peuvent qu'avoir pour effet d'encore ajourner la reprise des négociations, ce qui est peut-être le vœu secret des boycotteurs les plus ardents.

Et je ne sais pas, finalement, si ça n'est pas mieux.

Et concernant nos enfants, que souhaiter pour eux ? je souhaite qu'ils reçoivent de moi un héritage idéologique semblable à celui que j'ai gardé de mon grand-père (qui s'est très très peu exprimé idéologiquement) : les valeurs les plus solides sur lesquelles un juif a à se reposer sont les valeurs de la Torah. C'est elle qui présente le projet individuel et collectif le plus compétent et le plus moral, et en outre le plus intéressant, projet qui peut inclure adhésion à telle ou telle conviction politique, mais projet qui dépasse les convictions politiques par son ampleur et sa profondeur. Je ne parle pas d'affiliation à telle ou telle forme de judaïsme, ni des représentants officiels de cette Torah, je parle de la Torah, source inépuisable de réflexion et de conduite, et non moins fondamental, patrimoine de chacun d'entre nous.

Ce n'est pas nous qui la gardons, c'est elle qui nous garde. Ne la délaissons pas.




mardi 19 janvier 2016

Sur le langage et le dessein. הגיגים על תועלתה של ההואלה

Le texte en hébreu est suivi d'une version en français.

הואיל ושואף אני
-גם אם ישאל הדבר מזמנכם -
אתכם לשתף בפלאי שפתנו,
ובמיוחד 
בפלא שאנו 
חזרנו אותה לדבר,

הואילו בטובכם 
את אוזניכם להטות
אל מושג זה העשיר
מושג ההואלה.

ובפתח נשאל 
האם מקרה הוא 
ששאול שמו 
ושמואל שמו, 
אלה שעליהם חל
אותו ריקוד מילים. 

כן שאול המלך. אותו אדם
שבוודאי את המלוכה לא שאל,
גם מלכתחילה כאשר לחפש 
אתונות יצא, 
וגם בהמשך דרכו
לאחר ששמואל החוזה 
אף בשמן אותו משח.

שמואל הרואה...סוג של 
סומא היה. הוא ראה 
בשאול את המלך עליו 
דיבר ה׳, אך 
לא ראה שבכוחו למלוך.

שמואל התריע אך גם הרגיע.
"סיפור מלוכת שאול לא יצליח" קרא,
"אך לא יטוש ה׳ את עמו
בעבור שמו",..."אך גם כי
הואיל" - כך הוא אומר - 
"כך הואיל ה׳ לעשות
אתכם לו לעם". (שמואל א י"ב כ"ב)

הואלה זו מהי ? שואל 
מדרש שמואל.

אין הואלה אלא תחילה
יאומר רבי יהודה
אין הואלה אלא לינה
יענה רבי נחמיה

אין הואלה אלא אלה 
יתקנו אותם הרבנים
אין הואלה אלא תוכחה
יחתום רבי יהושע.

ומכאן למדים אנו מה גורם 
להצלחתו של מהלך אלוקי,
ואולי נשיק מכאן למהלך אדם.

מהלך צולח מכוון הוא מן ההתחלה.
עליו להיות מעוגן במקום בו ילון הוא,
כפי שויניקוט יאומר ש״הכל מתחיל בבית״.

אך מוסיפים ואומרים הרבנים
שעל המהלך להיות מחוייב בהחלטה,
בשבועה של האדם. אם לא יתחייב האדם
לא יוביל את תכניתו לסוף דרכה.

ונפלאה מכל היא החתימה :
לא יצלח האדם היחיד אלא שתוכחה
היא מפתח ההואלה. לא תגיע אף
תכנית לסיומה אם לא יוכיח
האחד את זולתו.

האם יש שמואל ללא שאול ?
האם ימלוך שאול ללא הסכמה ?
ללא החלטה ? ללא התחייבות ?
ובמיוחד איך יצליח ללא
תוכחת שמואל, ובהמשך ללא
תוכחת העם כולו.

Le fait même que nous édifions ce pays sur l'hébreu, en hébreu, n'est pas seulement l'aboutissement du fou projet d'un seul homme, Eliezer Ben Yehouda, ou d’un seul visionnaire Théodore Hertzl. C'est aussi le véritable miracle d'Israël, la gloire d'Israël. D'avoir su faire renaître une langue plurimillénaire, oubliée par tant de gens, dans le dialogue tant juridique, philosophique, scientifique, que du café du commerce et de la rue.

Les juifs du monde entier ne se sont pas seulement retrouvés physiquement sur la même minuscule parcelle de terrain que le monde continue à ne pas lui concéder,  ils y sont revenus. Et ils n'ont pas inventé un esperanto, ils y dialoguent en hébreu.

Une reflexion midrachique (midrach Shmuel, 16, 4) précisément sur les modalités d'Israël-l'état, sur ce qui voue un projet à la réussite ou à l'échec, mobilise les richesses de cette langue pour ancrer son propos.

Shmuel, le dernier des juges, le prophète, le voyant tel qu'il est même qualifié (Shmuel I 9,9), celui qui pose les premiers jalons d'un premier état des hébreux, peine à voir l'utilité de l'instauration de la royauté réclamée par le peuple, et par la suite, voit mal en quoi Shaül saura être le roi attendu et espéré. 

A plusieurs reprises il reproche au peuple de vouloir instaurer un tel système, il met en garde contre les malheurs qui ne manqueront pas d'arriver, et il tente par tous les moyens de renforcer l'allégeance du peuple à son seul véritable soutien, le D. d'Israël, celui dont dit-il le dessein est de soutenir son peuple quoi qu'il arrive. 

Peut-être pourrait-on voir dans leur dialogue une préfiguration de ce qui oppose les religieux anti sionistes à ceux qui oeuvrent à créer l'état d'Israël d'aujourd'hui.

C'est sur cette expression hébraïque utilisée par Shmuel pour décrire le projet divin que réfléchit le midrach, littéralement dansant avec la racine trilitère יאל, une danse joyeusement reprise au 19ème siècle par Shimshon Raphaël Hirsch, en Exode 2, 21.

Cette racine, utilisée en hébreu pour indiquer le bon vouloir ("parce qu'il lui a plu de vous désigner comme son peuple" dit la traduction du rabbinat pour :"הואיל"), est littéralement déclinée, si ce n'est assaisonnée, agrémentée par le midrach, qui cherche - et trouve ! - en elle comme la recette de la réussite du projet individuel.

Il n'y a ainsi de projet qui puisse réussir que s'il n'est originé comprend d'entrée le midrach. Il peut y avoir spontanéïté, mais il faut partir du commencement ( אין הואלה אלא התחלה dit dans le midrach Rabbi Yehouda). Ce à quoi répond Rabbi Nehémiah, winnicottien avant l'heure : "c'est de la maison que tout doit sortir" ("אין הואלה אלא לינה").

Les rabbanim, ceux que Lévinas appelait "les docteurs", ont un regard un peu plus pragmatique, à moins qu'il ne soit simplement que moins agraire : l'individu ne réussira dans son projet que s'il s'y sera engagé, voire s'il aura prêté serment ("אין הואלה אלא שבועה" - et שבועה est ainsi interprétation de אלה, qui joue mieux avec notre racine). La réussite d'un projet est proportionnelle non seulement à la motivation, mais  au degré de résolution.

Et c'est Rabbi Yehoshua de Sakhnin - qui ne fut pas toujours ville arabe, où vivaient des juifs il y a mille cinq cents ans - , post-moderne avant le modernisme, qui clôt magistralement : "un projet ne réussit que s'il y a mieux que l'individualisme, que l'initiative d'un seul. Le projet ne réussit que si son héraut n'est pas seulement secondé, mais qu'il est aussi corrigé, admonesté, rectifié, par un Autre responsable à ses côtés dirait-on en langage psychanalytique et philosophique contemporain (אין הואלה אלא תוכחה).

Concernant l'hébreu, et concernant notre - plus si jeune - état des hébreux, c'est effectivement ce qu'il s'est passé. 

Un homme au départ a "vu", a rêvé, a œuvré, s'est engagé, a obtenu du soutien, et son projet, qui renouait avec l'Histoire a fait histoire, est devenu- redevenu non seulement le projet mais le domicile, la patrie, de milliers qui sont devenus des millions.

Ces millions ne sont pas une unanimité. Ils débattent, ils se débattent, ils se disputent, ils se jugent, se font des reproches, et ont instauré la seule véritable démocratie de cette partie du globe, où se développent individus, modèles sociaux, projets scientifiques. 

Et tout cela, en hébreu, dans la langue de la Bible et de ses docteurs.


mercredi 6 janvier 2016

Retour de voyage en période ramifiée.



Je suis donc parti pour une petite semaine vers une destination à la fois très familière (Paris et ses alentours, le stage annuel des eis, le gris de l'hiver parisien, les illuminations pré-Noël et jour de l'an), et à la fois un peu nouvelle si ce n'est préoccupante (situation post Bataclan, avec menaces de nouveaux attentats), pour de valorisantes perspectives (on m'invite à parler, on me remet un lion de bronze..!) et accompagné de quelques mises en garde (le ministère des affaires extérieures israéliens qui déconseille la France comme destination, et en particulier les aéroports - et donc, partir à la nage ? - et les questions anodines :"t'as pas peur d'aller là-bas? C'est quand même un peu dangereux, non ?").

Le gris était au rendez-vous mais le froid laissait du répit (eux paieront sûrement leur "Noël au balcon" par le traditionnel "Pâques au tison" mais je n'y serai pas..). Les amis, les eis étaient là, et chaleureux, et je suis rentré les bras chargés d'un plus grand et encombrant diplôme que celui du doctorat, et comme à l'accoutumée (12 ans d'interruption de cette activité ne m'avaient pas laissé l'oublier) le public était pétillant et interessé. Mais il me faut revenir sur un ou deux points.

Le stage réunissait quelques 250 stagiaires, animateurs eis de la France entière (et même du nouveau groupe local israélien Ron Arad) et le thème global était "ani veata". Mes interventions, comme celles des quelques autres 26 intervenants, devaient comme ressusciter deux jours d'une "école d'Orsay", laquelle avait été initiée après guerre par Castor, et Fleg, dans le but de remettre à flot une communauté juive presque décimée par la shoah.

Je ne me souvenais plus trop si le thème de mes interventions m'avait été vraiment clarifié et je gardais en mémoire que j'avais toujours plutôt été un enseignant de judaïsme dans les stages eis. 
Après une première intervention dans laquelle je développais le thème de "religion d'adultes" à travers la fin du sefer Beréchit et le rôle de l'animateur ei comme maillon de rattachement au judaïsme auprès des enfants dont il a la charge, dans laquelle j'avais eu à coeur de rappeler l'enseignement de Manitou et son incidence sur moi et sur les élèves de la vraie et historique école d'Orsay, Karen me rappela qu'elle attendait en fait surtout de moi que je parle de mon expérience d'israélien.

Je fis donc le deuxième jour à la file quatre interventions sur le dit sujet, pour rentrer globalement de France avec la réflexion qui suit :

On dit en hébreu "ma chéroïm micham lo roïm mikanne", (on ne voit pas la même chose selon qu'on l'observe de là-bas ou d'ici), et c'est vraiment ce qui résume au mieux ce qui me reste de ces interventions, ainsi que de mon contact avec l'ambiance parisienne de ces six jours.

Me reste en mémoire une réaction au cours d'une de ces séances du mercredi. Je parlais d'Israël en ayant à coeur d'inscrire le présent dans le plus large laps de temps, et donc en mettant en exergue la place constante qu'a eu Israël le pays, et Jérusalem, dans la conscience juive, encore avant le premier exil. Je parlais de l'importance extrème à mes yeux pour l'animateur lambda de ne pas seulement voir le sujet Israël à la lumière de l'actualité (avec les guerres contre les palestiniens, avec les questions de pseudo colonialisme ou gouvernement dit d'extrème droite) mais au prisme de toute la place qu'occupe ce thème dans la conscience juive de toujours, et je décrivais en grandes lignes l'histoire du 20ème siècle.

Au moment où je racontais combien la guerre des six jours avait en fait été un miracle, combien son issue avait été non seulement dramatique mais complétement inattendue, j'entendis comme l'expression d'un profond désaccord.

Et c'est de ce désaccord que je parle maintenant (même s'il ne vint ouvertement que d'une seule personne, même s'il n'a pas forcément été représentatif de ce que ressentait le public dans son ensemble) parce qu'à mes yeux il résume le sentiment qui m'accompagne en rétrospective :

Je crois qu'alors que cette guerre des six jours est vraiment restée dans les mémoires des israéliens de tous bords, religieux ou non religieux, comme une sorte de miracle, tant la population en mai 67 était persuadée que la catastrophe de destruction du pays (qui n'avait alors que 19 ans et qui était bien loin d'être une puissance, et surtout de se considérer comme tel) était imminente, en France (et y compris chez beaucoup de juifs) le regard est complètement autre et tient plutôt à la réaction d'alors du général de Gaulle, le président français de l'époque qui avait alors parlé de "peuple fier de lui et dominateur". Dans une logique française de pseudo laïcité (puisque la France est restée très longtemps la fille aînée de l'eglise, puisqu'à l'école laïque, les fêtes catholiques sont comme naturellement une partie du paysage) on ne saurait voir le miracle d'Israël. Et quand bien même le verrait-on qu'il y a comme un impératif laïque à le reléguer au second plan. 

Ces derniers jours, l'académie israélienne du langage vient d'annoncer l'introduction de quelques deux mille nouveaux mots au vocabulaire hébraïque, et c'est une autre facette de ce qui éloigne le monde européen (beaucoup de juifs y compris) du monde israélien.

L'Europe, la France, même si de façon nuancée, combattent la puissance d'Israël. Ils sont tous, même si de façon non univoque, préoccupés (ou sans cesse interpellés) par la question des ripostes proportionnées ou disproportionnées de l'armée israélienne, par la question des territoires (développer ou non, ce qu'il est licite ou non d'appeler colonies.., et qu'il faudrait à la fin du compte impérativement rendre parce qu'il s'agit d'occupation illicite, peut-être pour certains à la grande honte d'Israël le pays, si ce n'est Israël le peuple...) et c'est ce qui est le plus grand fossé entre eux et ce qu'est Israël.

Israël, le pays, que l'on se situe ou non dans une perspective messianique (et le discours messianique post 67 parait aujourd'hui bien anachronique, y compris à la majorité des oreilles israéliennes), ne saurait être vue autrement que comme un miracle.

Il ne s'agit pas uniquement de la victoire en six jours sur les armées de tous les pays environnants, il s'agit de qui - côté juif - habite ce pays, il s'agit de comment il s'est édifié, en si peu de temps, à base de quel point de départ. 

Il s'agit non seulement d'un pays qui grandit sans cesse de façon - pour le coup - réellement disproportionnée, il s'agit d'un pays qui a absorbé il y a vingt ans, pratiquement d'un coup, près d'un million d'immigrants alors que sa population totale n'atteignait pas 5 millions, il s'agit du pays où se sont bel et bien retrouvés les descendants de tous les exils des deux mille dernières années, polonais comme yemenites, comme indiens, algériens, irakiens, éthiopiens, et la liste est trop longue, pour non seulement constater qu'ils pratiquaient la même religion à quelques différences de prononciation ou de musique près, mais pour se remettre à tous parler la même langue, non parlée - mais jalousement gardée - durant un si long laps de temps.

Le fait que tout ici se gère en hébreu est peut-être la principale part humaine du miracle d'Israël, les multiples avancées scientifiques, le développement économique, l'intégration des populations les unes avec les autres (arabes y compris) n'en étant que des corollaires ou des conséquences, les victoires militaires représentant incontestablement la part divine de ce miracle.

Et c'est cette indifférence au miracle d'Israël, doublée d'un refus moderne et laïque de s'y même arrêter, qui est le point de plus grande divergence entre Israël et l'occident, occident des goyïms et occident des juifs confondus.

Les commentaires sur la sortie d'Egypte sont nombreux à mettre l'accent sur le fait que malgré 210 ans d'esclavage, les hébreux avaient conservé leurs noms, leur habit, et leur langue.

Le monde reconnaîtra Israël au sens large au prorata de combien le peuple d'Israël lui-même a la mémoire de son histoire, s'il inscrit le présent dans l'histoire, s'il sait vivre ses valeurs, s'il sait parler et lire sa propre histoire dans le texte, et les juifs de France et d'Europe sauront apprécier Israël le pays en fonction de ce qu'il est au prorata de leur familiarité à l'hébreu.