vendredi 25 novembre 2022

Dialogues du temps passé...depuis eikha rabba

 En eikha rabba, sur le premier verset de ces Lamentations de Jérémie, le midrach semble tenter de battre les records de l’exégèse augmentée par l’imagination - laissant par là-même ouverte l’éternelle question de la transmission, de la loi orale, reçue au Sinaï ? Sempiternellement produite par les commentateurs de génération en génération ? Question que nous ne règlerons pas aujourd’hui. Question de celles qui se refusent à la réponse, ou auxquelles aucune réponse ne sera jamais définitive..


Mais revenons à notre midrach. Dans le cadre de toute une liste d’anecdotes supposées s’être déroulées entre des ressortissants d’Athènes et de Jérusalem, en joute sur l’intelligence comparée des uns et des autres, le midrach, en 1.8., nous présente deux histoires de haute portée symbolique :

Un athénien s’en vint à Jérusalem et ayant trouvé sur son chemin un mortier cassé, se présenta chez un …tailleur pour lui demander de bien vouloir lui recoudre ! Le tailleur ne se démonta pas, lui tendit une poignée de sable et lui dit : « fais des fils à partir de ce sable, et je les utiliserai alors pour recoudre le mortier ».

De quoi s’agit-il ici sinon d’une joute entre vainqueur et vaincu ? L’athénien peut se rendre en vainqueur à Jérusalem détruite et se moquer de ses modestes artisans…pour entendre de la bouche du premier tailleur venu les signes de sa finesse intellectuelle. Le mortier est peut-être une allusion au temple détruit et à l’activité quotidienne de consomption de l’encens tellement importante qui s’y déroulait et qui s’est trouvée annulée. Le sable pourrait être une allusion à la promesse divine faite à Avraham, que sa descendance sera aussi nombreuse que le sable de la mer. Mais pourquoi le tailleur juif attend-il du grec que celui-ci tisse les fils à partir du sable ? Cela viendrait-il suggérer que la destruction du temple et l’exil qui s’en est suivi ne sont pas seulement une humiliation après l’autre, mais que la reconstruction ne pourra venir que du fait de la mise à profit de l’exil chez des nations, desquelles Israël pourra par exemple apprendre la technologie ?

La seconde histoire, en eikha rabba 1.9. Vient présenter une autre joute : un autre athénien (ou bien aurait-ce pu s’agir du même ?) se rend à Jérusalem, interpelle un autochtone et l’envoie lui acheter des oeufs et des fromages. Quand la commande lui est livrée il s’adresse à l’autochtone et lui dit « serais-tu capable de me dire quel fromage provient du lait d’une chèvre blanche et quel fromage provient du lait d’une chèvre noire ? » et l’autochtone de lui répondre en lui montrant deux oeufs :« saurais-tu dire lequel a éte pondu par une poule blanche et lequel provient d’une poule noire ? ». Peut-être le grec vient-il ici dire au juif que cette distinction sur laquelle sont tellement crispés les juifs entre juifs et non juifs n’a plus de raison d’être une fois les peuples mélangés ? Et peut-être le juif dans ce midrach répond-il une réponse fondée sur la perspective du temps : au stade numéro un, les personnages semblent identiques, semblent s’être mélangés ainsi que les oeufs et les fromages…mais les oeufs éclosent et surgissent des oisillons qui auront bel et bien des couleurs différentes selon qu’ils auront eu tel ou tel parent…

Il ne semble pas que ces histoires sont si orientées qu’elles le prétendent (le « titre » est qu’elles visent toutes à montrer la supériorite intellectuelle du peuple juif sur la civilisation grecque, supériorité qui demeure malgre la défaite militaire). On aurait plutôt l’impression qu’on est décidément plus dans le domaine de l’interrogation que dans celui de la réponse, que les rabbins du midrach s’interrogent sur l’impact de cet exil qui vient de leur être imposé…en fait pour la seconde, si ce n’est troisième fois (les auteurs du midrach vivent aux premiers siècles suivant la destruction du deuxième temple, détruit par les romains..et il est ici question des grecs ).

Impact ramifié que nous interrogeons quant à nous les yeux tournés vers l’arrière tandis que les rédacteurs de notre texte ont une perpective de temps sensiblement différente de la notre : ils ont une histoire relativement récente d’exil qui a commencé après avoir déjà une première fois pris fin…pour recommencer quelques cinq cents ans plus tard…

Et si leur perspective était aussi la notre ?