mercredi 23 novembre 2011

Le juif errant est arrivé - nouvelle mouture



Partis invités à passer Shabbat au nouveau domicile d’un vieil ami du kibboutz, je me préparais à trouver à Kfar Guideon un paysage connu. Ce petit mochav aux alentours d’Afoula ne me paraissait pas pouvoir réserver des surprises, à peu près certain que j’étais d’y trouver du connu, du familier, ce que j’ai déjà trouvé dans maints kibboutzim ou mochavims, une sorte de réplique du kibboutz d’où lui est issu, l’équivalent de ce que Nov, Ein Tsourim, Almog ou Retamim ont à montrer. L’un est plus religieux, le deuxième un peu plus grand, le troisième mieux entretenu, certains sont en paysage désertique, d’autres dans la verdure, mais au total ils se ressemblent tous.
Arrivée juste avant l’entrée de Shabbat (qui commence déjà à 4h de l’après midi, à peine un mois après s’être séparés de l’été !), sous un ciel de plomb, avec une pluie qui ne nous a pas lâchés depuis Jérusalem, donc sans avoir vraiment vu de paysage.
Un tout petit endroit, à la « Nothing Gulch », une seule rue perpendiculaire à l’axe Nazareth-Afoula qui a impitoyablement coupé la localité en deux quand il a été upgradé à quatre voies. Vert mais sans épater. Simple. Petites maisons sans faste. Quelques oies, quelques chiens, boue. Autour, quelques collines timides, celles de la basse Galilée, antichambre des vrais paysages typés et découpés du nord du pays. Autour de nous, presque à portée de pas, quelques noms célèbres (Nahalal) ou glorieux (Balfouria), des kibboutzims des premiers pionniers, de la non moins millénairement célèbre Nazareth, Afoula. Champs de brocolis et de betteraves. Eclairages bouchés ce jour, étouffés par ce temps pluvieux, un peu surprenant dans son intensité, inhabituel pour une mi novembre.

On s’installe et se change rapidement, et la première étape du shabbat est sans surprise la synagogue. Le copain me prépare mais en fait si discrètement que je ne le sens pas arriver. « Il y a tous les styles, tu verras », me dit-il…peut-être pour que le style que je vais trouver me soit moins un choc.

Tous les styles…Les Carpates ou le fond de la Pologne et de la Hongrie en Galilée ! voilà les styles. Le choix est entre shtreimel coupé droit ou arrondi. Entre caftan uni ou surpiqué. Entre pantalon ou bas blancs.
Le shteitl en pleine campagne ! la rue Pavée au milieu des champs. Des champs de Galilée.
A Kfar Guideon, on prononce la prière comme mon grand-père s’efforçait de ne plus prononcer tant ma grand-mère lui soulignait l’anachronisme de ce judaïsme archaïque au milieu duquel ils avaient grandi.
Pas l’accent ashkenaze timide des alsaciens. Le vrai yiddish de mon enfance. Celui dans lequel les « ou » se disent « i », les « a », « ouï ».
Le rav de kfar Guideon n’est pas vieux, mais il a l’ancienneté et reçoit les égards du « Rouv ». Celui qui est le chef de file, quand il parle, et aussi quand il ne parle pas. Celui qu’on ne saurait ne pas aller cérémonieusement saluer avant de quitter les lieux, mais qui l’a mérité, s’étant levé à l’arrivée du visage inconnu et s’étant préoccupé de m’installer au meilleur endroit.
De Kfar Guideon on a vue sur La colline de Nazareth où le pape a dit une messe lors de son dernier passage, mais ce qui est resté ineffaçable dans les mémoires d'ici, c’est que le Satmer Rebbe est venu il y a maintenant plus de trente ou quarante ans. On imagine, que dis-je, on sent encore la liesse locale avec laquelle l’arrivée du guide vénérable avait été fêtée !
L’ambiance de ce village aurait probablement réconcilié Albert Londres avec le shtetl. On y est chaleureusement accueilli, et regardé, même quand on a l’air d’un extra terrestre, et on s’y sent étonnamment bien. Que ces yids parlent le français ne m’étonnait pas, jadis, à Paris. Ils avaient si peu l’air parisiens que leur accent ne rajoutait plus rien. On le pressentait avant même qu’ils n’ouvrissent la bouche. Que ces « frime yids » du fond de la Galilée parlent entre leurs prières le vrai hébreu de la rue ajoute encore à l’anachronisme d’une situation, dont la séouda chlichit a été l’apothéose.
Elle se prend ici à la bière, au hareng et au kigel, autour du rav, qui laisse d’abord la parole à un autre vénérable, avant de redonner à l’assistance un ultime épisode de captivation et d’émerveillement religieux, afin de pouvoir repartir pour toute une semaine.
Ces gens de la campagne n’en sont apparemment qu’à leurs heures de loisirs. Quand ils reviennent de leur fonction qui de surveillant de cacheroute, qui de choh’et’, qui d’enseignant, autant d’activités qui les mènent aux quatre coins du pays , quand ce n’est pas du globe.
A la différence de ceux des villes en Israël, qui méprisent ceux qui s’octroient la liberté de travailler au lieu de se consacrer entièrement à la Torah, ceux-ci paraissent tous actifs.
De vrais survivants d’un autre monde.
Pour moi, qui ai ma famille israélienne à 1 km à vol d’oiseau, dans un des kibboutzims les plus anti religieux des débuts du pays, je vis un véritable grand écart identitaire.
Je me remémore ma première visite à Sarid, quand Aminadav nous racontait la géographie et l’histoire de la région, quand il nous emmenait à Migdal Haemek ou à Nazareth déguster un vrai houmouss arabe aspergé d’huile et de coriandre et entouré de toutes petites olives vertes (les « syriennes ») marinées au citron. Il ne mentionnait pas Kfar Guideon ! qui existait pourtant aussi déjà, mais qui ne faisait certainement pas partie de son paysage idéologico-culturel, lui premier enfant d’un kibboutz où les rabbins n’avaient pas le droit de rentrer….
Retrouver dans ses extrêmes toute mon ascendance de Galicie regroupée sur 10 kms carrés de Galilée, voilà bien ce à quoi je ne m’attendais pas ! Un fameux shabbat !


dimanche 9 octobre 2011

Kippour de toujours et d'aujourd'hui - Kippour côté tripes

Kippour pour certains est "monotopique". Il ne se rattache qu'à un lieu, est inséparable d'un lieu donné.

Pour moi, il y a deux lieux principaux, même si ma mémoire contient quatre ou cinq kippourim différents.

Continuent à s'opposer chaque année en moi Kippour en France et Kippour en Israël, et ce n'est ainsi pas de liturgie ni de synagogue qu'il s'agit ici, mais d'ambiance.

La synagogue est pourtant d'une importance majeure en ce jour, surtout pour moi qui ai passé tous les kippours de mon existence entièrement à la synagogue. J'ai des souvenirs, et des nostalgies de musique, comme avec Roch Hachana. J'ai le kol nidré de Kaçman qui a été remplacé à mon palmarès personnel depuis déjà quelques années par le merveilleux air de Unetane tokef de Rosenblum que j'ai adressé l'an passé, mais j'ai aussi la guerre de Kippour, située pour moi au confluent de la synagogue et de l'ambiance, et qui polarise inéluctablement cette fête, entre les kippours d'avant et les Kippours d'après.

Ce n'est pas que j'aie vécu cette guerre, moi qui habitais alors encore en France. Mais, l'évènement me parait avoir été de portée universelle juive. Y a-t-il un juif au monde pour lequel cette guerre ne s'est pas trouvée inscrite et rattachée depuis de façon indélébile au vécu de cette fête ? J'en doute. Quant à moi, j'y ai perdu un cousin, Nakhshon Hermoni, qui était à ce moment posté dans un tank sur le golan et qui mourut encore le 6 octobre, le premier jour de la guerre. Je ne l'avais connu que trois ans plus tôt, lors de ma première visite en Israël, et la barrière de la langue associée à celles de la culture et de l'âge (il avait 2 ans de plus que moi) n'avaient pas vraiment permis que s'établisse un véritable lien entre nous, mais sa mort a été aussi une perte pour moi. Un autre cousin à moi, Rami Tauber, eut plus de chance et ne laissa qu'une jambe et demi dans la tourmente, ayant réussi à sortir en partie de son tank avant que celui-ci n'explose. Nous eûmes la nouvelle du déclenchement de la guerre encore à la synagogue, pendant Kippour, et ce souvenir me restera probablement toute ma vie. Et donc, chaque Kippour n'arrive pas "seul", mais entiché de cette ombre. A la radio, à la télé, mais aussi en tous, et ainsi en moi.

Ce spectre de la guerre est présent à la synagogue mais accompagne cependant surtout ce qui est l'essentiel de la façon dont Kippour est inscrit en moi : l'ambiance générale. Ambiance d'avant, ambiance pendant, ambiance d'après.

Je parle de l'ambiance de la rue. A ce chapitre, Kippour ici ne dure pas que 25 heures comme l'exige la halakha, mais près de deux jours. Personne qui n'ait ses préparatifs, qu'il s'agisse de se purifier, de préparer à manger, de se préparer à se rendre chez le proche chez qui va on va séjourner, qu'il s'agisse de préparer son vélo (Kippour est devenu pour les enfants non religieux de tout le pays Le Jour du vélo), ou de faire sa provision de films pour se mesurer avec le silence. Et ces préparatifs sont ressentis à travers tout le pays.

Kippour parait ainsi envelopper tout le pays, un peu comme yom hazikaron à l'approche duquel déjà l'après midi qui le précède cessent petit à petit tous les bruits, bruits de l'activité urbaine, bruits de la vie active. Et le silence de yom hazikaron, silence de deuil empesé de colère et de rancune, n'est pas le silence de Kippour, même si une partie du silence de la fête, ces 38 dernières années, renvoie à cette guerre et au jour où elle se déclencha.

Kippour ici est un jour férié au sens le plus authentique du terme. C'est peut-être la raison de ce respect impressionnant de l'interdiction de circuler en voiture. Je ne me suis jamais trouvé en Israël à Kippour ailleurs qu'à Jérusalem mais je sais que ce que je connais ici est vrai aussi pour Tel Aviv, est vrai pour les axes routiers "arabes' de Jérusalem : aucune voiture ne circule. Aucune. Il y a comme un respect absolu, sans incartades. Non du fait de la super efficacité d'une quelconque loi martiale ( même si je sais bien que l'interdiciton existe bel et bien ) mais plutôt du fait d'une sorte de consensus. Comme si chacun trouvait son compte à cette situation, chacun à sa manière (encore une fois, je limite mes propos à la population juive, ou vivant en milieu juif).

C'est de ce silence, de ce consensus que je vis chaque année un véritable bien être, une véritable sensation de chez soi, qui ne peut que se trouver radicalement opposée à ce qu'étaient pour moi les kippour d'avant : faire kippour comme un alien. Etre comme décalé. Faire kippour au milieu des embouteillages et du vacarme de la rue. Faire kippour comme à l'arraché. Avoir en soi comme un centre qui est aimanté à la périphérie par tout un quotidien qu'on aimerait pouvoir quitter ne serait-ce qu'un temps mais sans y parvenir.

Je me souviens chaque année en marchant dans la rue à Jérusalem, dans un calme total, parmi la population vêtue de blanc, en général par un beau jour ensoleillé ( il arrive que la chaleur soit insupportable, il n'arrive jamais qu'il fasse gris ou qu'il pleuve), de ces trajets dont je n'ai en souvenir que leur côté horrible. Marcher dans la pluie, la grisaille, ou le vacarme de la circulation, et se sentir avoir bien du mal à être ainsi le seul au monde à être dans Kippour . Se réveiller le matin de Kippour à Jérusalem, partir à la synagogue à la fraîche, est aux antipodes du souvenir que j'ai de Paris, déjà en activité à ce moment depuis au moins deux heures, ainsi que le chantait Jacques Dutronc "il est 5 heures, Paris s'éveille". A Paris et ailleurs dans le monde, des juifs font Kippour; ici, c'est Kippour.

A Kippour, à Paris, nous avions pris un temps l'habitude de dormir à l'hôtel, après avoir de longues années fait en voiture les trajets de la maison à la synagogue et retour. Du point de vue du vécu d'étrangeté, c'était presque pire. Au lieu de passer parmi la vie non juive, nous étions venus loger en elle, et l'étrangeté n'en était que surcompliquée.

C'est un peu comme si Kippour exigeait pour moi le repli. Kippour est comme une totalité. On ne fait pas que jeûner, on vit Kippour. On met le talith déjà le soir. On est en unité de lieu, unité de temps, unité d'activité. Cela permet-il la communication avec le monde non juif ? Pas pour moi. Pas aujourd'hui. Pour moi, cela remet la double allégeance, ou tout simplement le dialogue, au lendemain.

A Jérusalem, jeudi soir dernier, on voyait des stands de "kapparoth" au coin des rues, y compris l'allée super commerçante super séculaire de Mamilla. On n'y voyait pas égorger de poulet comme cela se voit au marché ou dans toutes les ruelles des quartiers religieux de la ville toute la journée de la veille de kippour, mais le poulet passait bel et bien au dessus des têtes de ceux qui venaient s'acquitter du cérémonial. A Jérusalem, il était possible jeudi soir de vivre Kippour tout en se promenant entre Gap, Zarra, Castro et le burger king.

A Jérusalem, jeudi soir, sur la grande place Safra, (notre place de l'hôtel de ville) il y avait un concert public de chants de selikhot avec force technologie. La place était comble.

A Jérusalem, il y a ceux qui prient chaque année toute la journée au même endroit, mais il y a ceux qui ont un emploi du temps serré, entre telle synagogue le soir, telle autre le matin, le kotel l'après-midi, à moins que ce ne soit la synagogue du mythique Rav Goren (qui sonna du shofar au kotel après sa conquête lors de la guerre des 6 jours), située au dessus du kotel, face à la coupole du rocher, sur le mont du temple lui-même.

Samedi soir, la vie a repris son cours. Kippour semble s'effacer comme instantanément. Une demi-heure à peine après la fin du jeûne commence-t-on à entendre les premiers coups de marteau d'installation des souccots.

Nous allons chaque année rompre le jeûne chez mes parents et nous arrivons chaque année dans une cour d'immeuble vide, pour n'en repartir que deux heures plus tard et devoir déjà se frayer un chemin entre les cabanes erigées en rang serré.

La vie avance vite !

Chez nous, ce Kippour aura été marqué par un évènement : c'est de ce jour qu'il est possible de considérer officiellement qu'Eviatar marche.

C'est l'irruption de l'autre dans le même.

dimanche 25 septembre 2011

Akhot Ketana


Comme chaque année, à la même période, le même souvenir.

La même mélodie qui vient comme se réveiller du fond de ma mémoire, qui émerge de la place qui est semble-t-il continuellement la sienne.

Est-ce le seul souvenir qui me reste de ces « cérémonies » ? Peut-être. Presque. Un souvenir associé aux sièges capitonnés de cette salle de spectacle, dans laquelle le solennel devait chaque année le disputer au grotesque. Une salle dont on découvrait en entrant, la scène sur laquelle avait déjà pris sa place l’acteur principal, vêtu comiquement de sa robe blanche, et surtout de ce chapeau de la même couleur mais paré en outre d’un pompon !

Le spectacle – car c’en était un ! spectacle musical - ne commençait pas encore que déjà on entendait le chœur – si ! il y avait aussi un choeur ! - psalmodier ce chant, que je retrouve, qui me rattrape si agréablement chaque année.

Akhot ketana. Petite sœur. Petite sœur ? Communauté d’Israël si tristement comparée à cette enfant du Cantique des Cantiques qui grandit, se développe, et dont la beauté attire les soucis, place son entourage dans l’embarras.

Une musique que je ne retrouve plus ailleurs qu’au fond de ma mémoire.

Une musique que je n’ai plus entendue chanter depuis que ces offices de liturgie israélite se sont enfouis dans les brumes du passé. Une musique si belle, pour un texte si triste,

Si pessimiste, tant marqué des douleurs de l’exil, et de l’oppression, un texte où est si frappant ce présent tellement douloureux qu’on le souhaite déjà devenu passé lointain.

Etait-ce cela Roch Hachana ? Pour nous, enfants d'un exil déjà moins lourd - mais avec le souvenir de la shoa encore bien bien pregnant - ce n'était plus déjà si tragique qu'au moyen âge. C’était aussi un repas familial festif et chaleureux, mais ce n’était pas non plus ce qu’est aujourd’hui Roch Hachana. Roch Hachana de miel, de grenades, de dattes, de l’automne qui cette année l’a précédé de quelques jours, Roch Hachana de douceurs.

Roch Hachana ne vient plus aujourd’hui, pour la partie du peuple installée en Israël, scander le malheur d’une année après l’autre, dans l’espoir inatteignable qu’enfin une année, une seule, soit marquée par ses bénédictions et non par des malédictions que l’on désespère de pouvoir enfin être en droit d’oublier. Roch Hachana de 2011 en Israël, quelle que soit l'ambiance politique régionale, n'a plus de commune mesure avec cette lourdeur d'un quotidien oppressant.

C'est d'une autre sorte de Roch Hachana que nous parle ce cantique. Un chant magnifiquement écrit que ce « Akhot Ketana » sur lequel s’ouvre dans les communautés séfarades la liturgie des fêtes de Tichré. Un chant qui nous vient d’un siècle dit des lumières, composé par Rabbi Avraham Hazan Guerondi, un géronois de la plus belle époque, celle de Nahmanide. Et pourtant, un chant de tragédie, qui fait éteindre toute velléïté de nostalgie de ces si célèbres lumières.

Un chant dont je veux garder la mélodie, la beauté de la langue, mais à condition de ne la conserver que comme calligraphiée, esthétique paravent d'un contenu que l'on ne se souhaite pas.

mercredi 7 septembre 2011

Communication, traumatisme, identité - 1

Inarritu aime les triptyques. Il nous livre une série de trois films, chacun reposant sur la mise en présence de trois personnages, chaque fois pour travailler le sujet de la communication, ou la rencontre née du hasard, ou préférentiellement, née du traumatisme.

Je cherche ici à faire avancer une réflexion sur le sujet de la place à faire à la notion de l'identité dans la personnalité de l'individu, étant entendu qu'au cours des dernières décennies, lui est réservée la place centrale, comme l'illustrent les nombreux écrits sur le sujet, comme l'illustrent certaines expressions telles que « démarche identitaire » qui parait utilisé globalement pour décrire le processus de développement de l'individu.

Je voudrais réfléchir sur ce thème de l'identité, d'une certaine manière pour le combattre, ou au moins lui redonner la place – avec les limites afférentes - qui lui convient, et pour déboucher sur ce qui à mon sens doit être le véritable aboutissement de cette démarche de la formation de la personnalité, démarche qui occupe énormément l'individu moyen.

La démarche d'édification de la personnalité démarre avec l'aube de l'existence, et il apparaît que la communication joue un rôle prépondérant.

Un regard sur le traumatisme, comme facteur d'interruption du développement, puis sur la thérapie, ou la réhabilitation, comme facteurs de reprise de ce processus, pourrait ajouter un éclairage sur cette recherche.

Traumatisme comme provoquant la communication ? ou communication comme soin post traumatique ?

Communication comme antithèse du traumatisme ?

Un sujet un peu compliqué.

Abordons le sujet par le biais du cinéma. Ce qui pourrait être le thème central du film Babel apparaît dans le titre. (J'ai la quasi certitude d'avoir déjà écrit sur ce film et je ne retrouve aucun texte. Si quelqu'un peut éclairer ma lanterne, il sera le bienvenu).

Babel, mythe de la non communication, de la communication qui tourne au vinaigre, du mondialisme-globalisme qui aboutît à la faillite de la communication. Le film Babel semble jouer avec ce thème de la tour de Babel, qui aurait permis de faire tomber les frontières, qui aurait permis aux hommes de créer un monde égalant ou dépassant Dieu, la tour atteignant le ciel étant de ceci le symbole. Dans notre monde globalisé d'aujourd'hui des frontières subsistent-elles encore ? Les grilles barbelées et les bureaux de douane – qui eux, existent encore – parviennent-ils à maintenir des séparations quand on peut acheter les mêmes produits à tous les coins du monde, quand on peut se déplacer d'un endroit à l'autre du monde en quelques heures et pour un prix devenu très modique, quand on peut communiquer en temps réel avec son interlocuteur presque où qu'il se trouve ?

Est-ce la communication ? Dans le film, Le fusil d'un japonais vendu à un berger marocain provoque un drame chez un couple américain dont les enfants sont retenus au Mexique. Trois lieux, trois pôles. On avait cru longtemps – depuis Copernic qui paraissant pourtant avoir tout dit – qu'il n'y avait que deux pôles..

Trois situations de non-communication. Ce film est le summum de la non communication, comme l'a été la tour de Babel. Dans ce monde d'où les frontières semblent avoir disparu, les voici revenir au triple (encore !) galop.

La belle américaine blessée et son mari échoués au fond du Sahara marocain ne parviennent pas à s'expliquer avec les autochtones, la bonne, mexicaine, des enfants américains, qui les a emmenés au Mexique pour seulement quelques heures ne parvient plus à trouver les mots qui lui permettront d'amadouer les gardes frontières, et le principal drame de l'incommunication se joue au Japon, chez le propriétaire du fusil, dont la fille, sourde de surcroît, semble plongée après le suicide de sa mère dans un état grave de discommunication, de détresse communicative.

Le film ne propose aucune solution, aucune thérapie. A la limite, il serait presque aussi sentencieux que la Bible, qui condamne sans appel la génération de la tour de Babel : ils ont voulu abolir les frontières, et avec elles la divinité, et ils sont frappés d'incommunication.

Une humanité frappée ou dotée ? La multiplicité des langages serait une malédiction ? A d'autres !

Mais le multilinguisme comme symbole de l'incommunicabilité entre les gens, voire entre les peuples, ça, sans problème. C'est un message qui passe, qui ne nous est pas étranger.

Et donc la place de la communication dans la santé de la société ?

Je voudrais faire intervenir pour cela un tout nouveau film, que j'ai eu le privilège de voir en avant première israélienne cette semaine, et qui s'appelle « l'enfant dauphin ». C'est un documentaire qui relate la récupération, puis la guérison – ou tout au moins un forme, une part de guérison – de Mourad, jeune garçon arabe israélien de 18 ans, qui tombe en très grave état de dissociation après avoir été passé à tabac par des jeunes de son village pour une histoire d'«honneur familial » comme cela s'appelle tristement.

Il est dissocié complètement du monde, demeure en état de stupeur de visiblement de terreur, et le médecin à bout de ressource décide de tenter la carte « dauphins ». Le film est d'autant plus crédible que le résultat est loin d'être rapide. Il faudra plusieurs mois à Mourad pour retrouver la parole, il faudra trois ans pour qu'il redevienne apparemment normal, c'est-à-dire capable de fonctionner en société, de communiquer, d'être en relation, y compris romantique.

Et le rôle des dauphins paraît ici central, même si les instructeurs du centre d'Eilat n'ont pas été passifs tout au long de cette réhabilitation. C'est quand même nettement grâce aux premiers que lui est revenue la capacité de communiquer, l'envie de communiquer, la capacité de redémarrer une vie.

Et c'est à ce chapitre que le film innove (les dauphins sont quand même célèbres pour leur lien aux êtres humains, pour les traitements menés par leur intermédiaire par exemple avec des enfants autistes) : il donne deux détails fondamentaux à mes yeux.

Le premier est que Mourad, qui refuse dans un premier (long) temps de recevoir les visites de sa mère, se retrouve en train de têter le sein lors de cette première rencontre, comme s'il s'agissait véritablement d'une nouvelle naissance. La mère, qui dans le film est celle qui raconte la situation, en est plus que surprise.

Le deuxième détail est la nuance exprimée par Mourad concernant son état trois ans après son arrivée à Eilat. Ce n'est pas une guérison dit-il, et quand lui est posée la question de ce qui fait cette nuance, il répond : « quand je dormirai comme toi, on pourra parler de guérison ».

Le film montre aussi la quatrième année de Mourad, une année où se produit peut-être plus la véritable guérison, grâce au retour à l'hôpital et au recours à des traitements neuro-médicaux. A l'issue de cette quatrième année, Mourad peut se remémorer la scène de son agression, est capable de pleurer, peut redevenir le Mourad qu'il était (tandis que du temps des premières phases de sa réinsertion, il était en état d'amnésie totale, se considérant né à Eilat).

Il y a ici donc la possibilité d'établir des distinctions. La communication semble inséparable de la santé. Mais la communication n'est pas le remède.

Dans les cas où la communication est coupée – cas de traumatismes le plus souvent – ce n'est pas à la reprise de celle-ci que doivent se limiter les efforts.

La communication n'est pas une fin en soi. Il est possible que dans les cas d'Asperger, de PDD-Nos ou d'autisme, sa rupture ou son inexistence soient réactifs, comme cela est fortement accentué dans les cas de Mourad, du film l'enfant dauphin, ou de la jeune fille japonaise du film Babel, mais la reprise ne peut être vue que comme une étape.

Mourad qui revient à la communication, ou la jeune fille du film Babel qui parvient au contact corporel qu'elle recherche frénétiquement sont tous deux à ce stade en situation presque non moins pathologique qu'antérieurement. Le travail reste à faire.

Et – mais ce sera pour un autre chapitre – ce n'est pas l'identité, l'aboutissement de la démarche identitaire qui peut être la fin du parcours.

On voit clairement que Mourad – ou Chieko – ayant été fortement troublés et déstabilisés par les évènements qu'ils ont vécus, sont en recherche identitaire. L'un et l'autre doivent redémarrer dans la vie.

Il est clair que le rôle de la communication se situe aux charnières de la démarche de l'individu. Elle est incontournable mais ne constitue ni le centre ni l'aboutissement de la démarche. Elle permet la recherche identitaire, et elle est aussi fondamentale pour continuer la démarche de l'individu, au-delà de l'identité.

vendredi 19 août 2011

les délices du mois d'août

Le banc de mise en charge intégré - une co-création co-production Adam Lévy-Zauberman-Samy Katz-Jean Pisanté.


J'hésite littéralement à le faire homologuer par la collection Dauteuille. Indispensable sur la table ou le bureau, parfaitement intégré au mobilier, il est une version 21ème siècle du piano droit (le piano de concert conservant intactes sa noblesse et toutes ses qualités), avec les cordes judicieusement remplacées par des cordons, un système de clavier interchangeable pratiquement à l'infini - en fait au gré de l'inspiration des ingénieurs de high tech.
l'instrument ne nécessite aucun accordage, la technologie MP3 prenant en charge toute la qualité musicale. On remarquera qu'à la différence du piano traditionnel, il est "bras libre" et n'occupe aucune place au plancher. Enfin, si le prototype ci-affiché est en pin, rien n'empêche de le réaliser en palissandre, ébène ou tout autre bois précieux.

Et encore un mot, puisque le mois d’août ne comprend pas que des délices. On devait apparemment être bien proches d’un accord pour la libération de Guilead Shalit. Si proches que certains ont décidé d’agir, et d’agir de façon massive. Ce sont nos ennemis et ils le prouvent régulièrement, mais que sont ces journalistes qui écrivaient hier attaque « terroriste d’après la radio militaire » ?, « terroriste » entre guillemets, autrement dit qui n’hésitaient pas à émettre un doute sur le caractère terroriste de l’attaque qui a coûté la vie à 7 civils (peu de jours après avoir écrit ces quelques lignes le chiffre est bien entendu déjà dépassé) et qui a blessé un bien plus grand nombre. Qui sont ces journalistes ? quel est cet organe de presse immonde (comme son nom l’indique) qui sous entendent finalement constamment qu’une attaque contre Israël pourrait bien avant tout être légitime, qu’un compte rendu par la radio « galé tsahal » doit avant tout être considéré comme de la propagande puisque c’est l’organe militaire… ? Pour ces gens, journaleux de bas étage s'il en fut, il n’y a pas de différence à faire entre un soldat et un soldat, qu’il soit nazi, russe ou israélien, aux oreilles de ces organes de presse prétendûment informés l’information de ce qu’est cette chaîne de radio en Israël n’est pas parvenue, l’information que vivent aussi des civils en Israël apparemment non plus, l’information que les environs d’Eilat ne sont pas vraiment des territoires occupés encore moins…à moins qu’ils ne préfèrent rester sourds, à moins qu’il ne faille considérer définitivement qu’une information publiée par ces organes est avant tout hostile, avant tout abjecte.


vendredi 5 août 2011

De quoi se réjouir ? Sur quoi pleurer ?


Ce mois de Av est voué aux états émotionnels. On y doit pleurer, on trouve à son milieu le jour le plus joyeux du calendrier.

Les questions les plus importantes sont donc celles des raisons de ces fluctuations de l’humeur, étant entendu qu’il ne s’agit pas ici de l’individu mais de sa collectivité.

Une collectivité qui est depuis des siècles soucieuse de sa cohésion, et de la définition de ce qui créa et maintient – ou met en péril – cette cohésion.

On doit donc, dans le peuple juif, être en deuil durant les 9 premiers jours de ce mois d’Av. C’est une tradition séculaire qui est restée stable bien que rattachée aux fil des ans à des causes diverses : les hébreux dans le désert auraient connu 40 années d’affilée ce jour comme jour des morts ( à conditions de vie exceptionnelles, conditions de mort tenues à un standard au moins équivalent : à en croire le midrach, on ne mourait pas de mort naturelle au cours de ces pérégrinations mais on creusait sa tombe chaque année le 8 av, et se relevaient le matin du 9 ceux dont le tour n’était pas arrivé ), les deux temples de Jérusalem, à 500 ans d’intervalle, ont été détruit ce même jour, la première guerre mondiale a éclaté ce même jour…..Un jour voué aux catastrophes.

A l’encontre, le 15 av est situé au pôle opposé. Jour des mariages, jour de la joie par excellence. Le même midrach qui raconte les tombes du 9 av situe l’apparition du 15 av dans la continuité directe : à la 41ème année après la sortie d’Egypte, les hébreux ont creusé une fois encore leurs tombes mais cette fois, personne ne mourut. Ils crurent dans un premier temps que la raison était une mauvaise mesure du temps : ils avaient certainement mal observé la lune et son renouveau et s’étaient trompés sur la date. C’est le 15 av, jour de la pleine lune qui leur confirma que leur compte était bon. La lune était pleine, on était le 15 selon leur compte, ils n’avaient donc fait aucune erreur et la conclusion qui s’imposait était que la malédiction du 9 av était abolie.

Il n’y a donc pas que le deuil du 9, mais le 9 et le 15 comme deux phénomènes reliés. Le deuil et la joie en relation l’un avec l’autre. La tradition considère ainsi ce même 9 av comme date de la naissance du messie. Ce même messie dont le rôle est de mettre fin au deuil, aux pérégrinations, à l’exil. Un messie dont le rôle salvateur est enraciné dans la souffrance.

Pourquoi de nos jours pleurer le 9 av ? Sur la destruction du temple de Jérusalem ? La tradition réfléchit sur ces deux destructions et ne pointe pas du doigt la puissance dont l’armée a commis la destruction, mais sur la cause de la victoire de cette armée. Il est ainsi communément admis que le premier temple a été détruit du fait de l’égarement du peuple juif vers les cultes idolâtres, tandis que le second l’a été du fait de la haine gratuite qui habitait et caractérisait la société de l’époque.

On ne pleure donc pas sur les ruines mais sur ce qui a amené à ces ruines. On hérite de la préoccupation, on reçoit en héritage la date. On sait que le 9 av est le moment de l’année où il convient de se préoccuper de son linge sale. Il ne reste plus qu’à chercher ce qui en 2011 est la principale tache, la principale ombre au tableau, étant entendu que l’exil ne peut raisonnablement plus être considéré comme une cause de tristesse. A part les juifs de Syrie et Guilead Shalit, aucun juif sur la terre n’est plus en situation d’exil forcé.

On me rétorquera que le sage sait que les mots n’ont pas qu’une signification concrète. Il y a exil géographique mais il y a peut-être pire, exil identitaire, exil par rapport aux valeurs. Le peuple juif n’a pas seulement été envoyé en exil au sens géographique mais son identité s’est trouvée éparpillée.

Ceci aussi semble révolu. Les juifs ashkénazes, les juifs séfarades, les juifs éthiopiens se sont retrouvés au cours des 50 dernières années, et ils ont pu constater que le peuple avait résisté à l’éparpillement. La Torah n’a disparu d’aucune fraction (hormis les fameuses dix tribus exilées encore indépendamment de la destruction su temple et dont les survivants, s’ils ont pu être semi localisés, ont visiblement perdu la mémoire des valeurs du peuple juif) du peuple.

La véritable question semble devoir être celle de l’interprétation, de l’utilisation, de l’application de cette Torah. C’est par rapport à elle qu’il faut chercher à définir ce qu’est aujourd’hui l’exil.

Exil de la pratique ? Exil de certaines valeurs ? Doit-on regretter de ne plus pouvoir pratiquer tout ce qui est prescrit dans la Torah en matière de sacrifices et de rituels liés au temple et aux notions de Sainteté et de pureté en ces temps de laïcité? Peut-être.

Doit-on pleurer sur la polarisation de la société en laïcs et religieux ?

D’une certaine manière, les deux derniers paragraphes renvoient aux deux causes des deux destructions mythiques. Comme pour dire que ces problèmes ont gravement nui à la société juive du passé, mais peut-être aussi pour exprimer qu’il faut aujourd’hui chercher ailleurs les causes du problème.

Doit-on pleurer sur ce qui est aujourd’hui pathologique dans la société juive ? Très probablement.

Et il faut donc aussi se réjouir sur ce qui se rattache à cela, puisque notre tradition nous rapporte que le 9 av et le 15 av sont indissociables.

Il faut pleurer sur les graves inégalités sociales que la société israélienne a produites, sur les énormes écarts de niveau de vie, sur l’exploitation des pauvres par les riches, sur les abus commis à l’égard de ceux à qui est donné un statut de citoyen de seconde zone, sur les anachronismes et les aberrations que l’on voit dans cette société, parfois maintenus ou commises au nom de la Torah, il faut enfin se demander si les abus et les déviances dans le domaine du sexuel qui paraissent aujourd’hui se développer comme champignons après la pluie ne devraient pas être le centre des efforts à faire si on veut réussir le passage du 9 au 15.

Il faut se réjouir de voir la société israélienne se réveiller contre les inégalités sociales après des décennies de passivité. Il faut se réjouir du développement de courants qui visent à combattre les problèmes de la société par l’intermédiaire des outils de réflexion que nous proposent les textes et la tradition. Ce sont ces courants qui devront faire progresser le niveau de moralité, l’abolition des inégalités et des abus. Il faudra se réjouir quand ceux qui se prétendent tant attachés à la Torah l’utiliseront autrement que comme prétexte à refuser de se joindre à l’effort collectif de cette société dans laquelle se joue le sort du judaïsme de demain.

lundi 25 juillet 2011

Forteresse vide, forteresse pleine ("Footnote", Joseph Cedar, 2011)

A voir se mouvoir le professeur Eliezer Shkolnikov (Shlomo Bar Aba), à le voir rester immobile, muet, et surtout tellement raide, à le voir refuser de communiquer, se replonger dans son travail avec les écouteurs étanches enfoncés sur les oreilles, on est naturellement conduits à penser à l’autisme. Au cours du film, afin de ne pas laisser le spectateur avec un point d’interrogation, sa bru (Alma Zack) l’affuble à voix haute de cet épithète.

C’est un film très fort, où sont évoqués en grande finesse un bon nombre de travers de cette vénérable institution qu’est l’Université, où est présenté quelque chose qui n’est pas loin de pouvoir tenir lieu de procès fait à ces institutions gouvernementales israéliennes prestigieuses : l’université, le ministère de l’éducation, le Prix Israël remis solennellement chaque année à une brochette de professeurs soigneusement sélectionnés.

Le film montre l’envers du décor de ces institutions et les ridiculise sans pour autant les caricaturer.

Le professeur Shkolnikov est tellement bien peint qu’on le « reconnaît » tout de suite. Qui vit à Jérusalem ou a eu l’occasion d’étudier à l’université Guivat Ram ou à la bibliothèque nationale installée sur ce campus a côtoyé ou seulement vu de tels personnages plusieurs dizaines de fois.

C’est probablement une des fiertés des fondateurs de ce jeune pays que d’avoir réussi en si peu d’années à ainsi produire des chercheurs en telle quantité, à ainsi avoir produit un tel niveau universitaire, dont certains représentants ont déjà mérité et reçu les distinctions internationales les plus prestigieuses.

Le film explique que ne reçoit pas toujours qui mérite. Le professeur Shkolnikov reçoit le prix en fin du film mais comme par erreur, comme par concession. Le prix était destiné à son fils, le professeur Ouriel Shkolnikov (Lior Ashkenazi) , et il ne sera décerné au père qu’au prix de combats, d’intrigues et de sacrifices payés par le fils.

Le père et le fils sont professeurs-chercheurs en Talmud et le choix de la matière non plus n’est pas anodin. Le père autant que le fils, bien que de façon différente, sont tous deux l’antithèse de ce à quoi est associé le mot Talmud dans l’imagerie populaire des derniers siècles.

Au cours de l’Histoire, les rabbins on toujours été les « propriétaires » ou les détenteurs du talmud. Ceux qui l’étudiaient, ceux qui l’enseignaient, ceux à qui il était assimilé. Les universités israéliennes et américaines ont produit au cours du vingtième siècle un nouveau modèle de spécialiste mondial du Talmud, philologues comme le clame notre professeur. Le professeur Shkolnikov n’est pas religieux le moins du monde. Il est le parfait modèle du rat de bibliothèque et aurait pu être autant spécialiste de grec ancien ou de latin qu’il l’est de talmud. Il pousse même jusqu’à exprimer à voix haute son mépris pour certains personnages qui ont enseigné le Talmud avec respect de la tradition, tel Lévinas qui remettait des titres universitaires posthumes aux rabbins cités en son sein, les qualifiait de « docteurs du talmud », et qui se voit traité d’amateur ignorant par notre professeur. Lévinas qui ne ménageait pas ses critiques aux philologues.

Même son fils, Ouriel Shkolnikov qui se promène avec la kipa sur la tête est au modèle anti traditionaliste de ce qui est qualifié « la mare hyérosolimitaine » : des juifs spécialistes de textes juifs, de pensée juive, enseignants à tour de bras à un public jeune et nombreux, mais méprisés et mal vus du judaïsme « authentique » de Méa Chéarim, d’Anvers ou d’Aix les Bains.

Vus de la lorgnette ultra orthodoxe, ils ne sont pas des vrais, ils sont des juifs « folkloriques », ils sont des déviants. Chacun à sa manière. Vu de la lorgnette académique, le drame mis en scène dans le film n’est pas celui du vrai monde universitaire des pays sérieux. On tremble à l’idée de telles coulisses de la vénérable académie française ou de la Sorbonne !

Et pourtant, ce film vient ne pas se limiter à Jérusalem et à son talmud. Il traite d’un microcosme et laisse clairement entendre que celui-ci est le symbole du monde universitaire occidental dans son ensemble.

C’est le monde universitaire – et non uniquement la société israélienne – qui produit cet « autisme », qui produit cette farce dont Molière ridiculisait déjà la version du 17ème siècle.

Le professeur Shkolnikov est tout sauf autiste. Il est qualifié de « forteresse » par son fils, et le terme renvoie au célèbre livre de Bruno Bettelheim, « la forteresse vide » (1970), dans lequel il présentait dans les détails trois cas d’enfants traités par lui à son « orthogenic school « à Chicago. Le livre fut de retentissement mondial, fut à l’origine de nombreux débats et publications sur l’autisme.

Un sujet qui est toujours actuel. Quel est ce syndrome ? que sont ces malades dont les films « Rainman » (Barry Morrow 1988) , « les diables » (Michel Ruggia 2004) ou « Sabine » (Sandrine Bonnaire 2008), pour ne citer que quelques exemples, ont porté les caractéristiques à l’écran dans les détails?

Le professeur Shkolnikov est bel et bien muré dans une forteresse. On est portés à déduire que ses murailles sont constituées en partie des microfiches de la bibliothèque nationale, mais le film montre non moins combien c’est le monde universitaire, la recherche universitaire en tant qu’activité, et les condisciples du professeur qui fournissent sinon le ciment, aussi quelques rangs dans la construction de l’édifice.

Si le professeur Shkolonikov est réfugié pathétiquement dans un mur de silence c’est par rancune, c’est de rage. De rage d’avoir été tant humilié par cette activité de recherche. Humilié de n’avoir rien trouvé, humilié d’avoir été devancé, humilié au sens propre par celui qui est prêt, au nom de la Science et de la Vérité, à lui porter le coup fatal. Sa forteresse est bien pleine, et renferme des rancoeurs clairement détaillables, qu'aucun mécanisme psychologique relatif à l'autisme ne vient troubler. Ce ne sont que l’intervention et le sacrifice du fils, à qui l’université n’a pas fait perdre visage humain, qui sauvent le professeur du 81ème coup que l'institution était sur le point de lui porter.

Qu’est l’autisme par rapport à cela ? l’autisme qui est maintenant intégré par les manuels diagnostiques de la psychiatrie à tout un éventail qui inclut pratiquement à la même rubrique des enfants visiblement atteints d’un trouble profond, inexpliqué, peut-être organique-génétique, et de tels individus, réduits à un tel comportement non tant par le poids génétique ou natif de telle pathologie mais du fait d’un environnement humain qui n’a réussi qu’à produire puis accentuer le phénomène. Il y a urgence à élargir le vocabulaire, à trouver d’autres mots. De manière à rendre compte des différences au lieu de les délayer dans la ressemblance.

Un très beau film, remarquablement bien construit et bien joué, sur bon nombre de sujets actuels.

mardi 21 juin 2011

Darké olam 6 - La terouma, chaînon manquant entre l'inné et l'acquis?

Le texte de l'article se trouve à la page midrach du blog.

mardi 14 juin 2011

Darké olam 5 - Les anges.


Le texte de l'article est à la page midrach du blog

mardi 7 juin 2011

tout beau, tout neuf !!


Visible grandeur nature sur place ! on peut même l'essayer. visiteurs bienvenus !
n.b. on clique sur la photo, elle s'agrandit. On re-clique, elle s'agrandit a nouveau...

samedi 28 mai 2011

Darké olam 4. La voie.

Le texte de l'article se trouve à la page midrach du blog.

mardi 10 mai 2011

Sur les mouvements humains, les mises en place de rites, d’us et de coutumes.

Cet alliage Yom hazikaron-yom haatsmaout, jour de l’indépendance accolé au jour du souvenir national israélien, quoique vieux de 63 ans, est vraiment encore très expérimental, et est peut-être une sorte d’enseignement sur les mouvements des peuples, sur la façon par laquelle s’écrit l’histoire.

On nous a appris que l’entrée en Israël ne s’est pas faite dans la foulée de la sortie d’Egypte, mais qu’il a fallu 40 ans pour prendre le virage. On s’est habitués à attribuer cette lenteur historique à une faute. « Ils ont dû être bien coupables pour être ainsi si sévèrement condamnés » se dit-on et répète-t-on de génération en génération

Chez nous, peut-on considérer que quelques 65 ans ont déjà permis de franchir un cap ?

La page est-elle tournée ? le peuple juif est-il à nouveau passé d’une étape à une autre ?

J’en doute. L’histoire allait apparemment plus vite il y a 3000 ans que dans notre ère du progrès technologique et de l’immédiat.

Où en sommes-nous ? A partir de quand doit-on compter ce que nous fêtons aujourd’hui ? Pourquoi à partir de la déclaration d’indépendance et non à partir du premier congrès sioniste ? Ou à partir de la fin de la shoah ?

Que fêtons-nous en ce jour où chacun semble avoir son propre regard sur la situation :

-les religieux sionistes qui se sont emparés de la date et en ont fait de force une nouvelle fête à inscrire au calendrier liturgique avec tout le caractère indigeste qui va avec (encore toute une journée à passer à la synagogue…sans entrer dans les détails). Un regard de ceux pour qui tout est liturgique, les accros à la liturgie omniprésente.

-les religieux antisionistes qui, tout à leur réaction aux précédents sont prêts à brûler le drapeau (c’est vrai que ça fait moins de dégâts écologiques que quand on brûle les poubelles, mais l’un n’empêche pas forcément l’autre), ou en tout cas ne sont nullement décidés à se joindre à l’évènement.

-les non religieux qui s’en voudraient de participer à une mouvance prétendument religieuse et qui se sont retrouvés à leur grande surprise à avoir été les premiers à réinstaurer les sacrifices (ou plus largement l’idolâtrie et ses fêtes de liesse pas toujours contenues ?) à l’époque du monde moderne. Ceux pour lesquels l’acte religieux du jour est avant tout de griller de la viande.

-les sionistes du dehors du pays, qui manifestent yom haatsmaout sans se mouiller trop. Un peu du bout des lèvres. Et en tout cas sans y accoler ce jour du souvenir aux relents presque encore plus nationalistes que son confrère.

-et je me limite aux juifs ce qui me permet de maintenir pudiquement à l’écart ceux qui ont un tout autre regard, ceux qui donnent un tout autre nom au même jour…, ou encore les observateurs bienveillants qui paraissent eux-mêmes ne pas encore avoir vraiment décidé de l’attitude à adopter…

Le peuple israélien concerné par Yom Haatsmaout a depuis longtemps cessé de ne fêter que l’actualité de ce seul jour, qui n’est en fait que la moitié d’une entité de 48 heures. Les israéliens ont deux fêtes qui durent deux jours. L’une est Roch Hachana et celle-ci est l’autre. Le peuple israélien ne distingue pas le deuxième jour du premier, celui où on se focalise sur ceux qui sont tombés et dont la mémoire est rappelée le premier jour, ceux qui ont pris sur eux d’être du premier jour pour que les autres puissent fêter le deuxième.

Peut-être l’observation de ce mouvement populaire devrait conduire à y encourager une pratique centrée sur la couture, sur ce moment central qu’est le passage du premier jour au deuxième, passage de Yom Hazikaron à Yom Haatsmaout.

Les synagogues pourraient y retrouver leur étymologie de lieu de rencontre et être le lieu par excellence de ce passage ; lieux où on ferait quelque chose qui correspondrait peut-être à l’expression d’une sorte de consensus : pas vraiment un « service religieux » mais une manifestation conjointe de sentiments religieux, historico-religieux, sentiments de douleur, expression du souvenir, sentiments que l’on souhaite ressentir en compagnie de ceux de qui on est proches.

Pas vraiment « encore une dose de toute la tartine liturgique », sans y proposer comme seule alternative une cérémonie uniquement à tendances militaro-commémorative, mais quelque chose qui soit « à l’intermédiaire ».

Une séance où on puisse chanter, jouer de la musique un peu triste, un peu gaie, lire des textes, certains remontant aux sources d’Israël (je vote inconditionnellement pour Isaïe, le plus grand, l’incontournable, mais le choix est presque illimité), certains issus de nos prophètes d’aujourd’hui (Agnon, Yehoudah Amikhai, David Grossman, la liste est presque plus longue que dans le précédent registre).

Une séance que le peuple puisse vivre ensemble, moins polarisé, moins éclaté que dans son quotidien.

Et quant aux cérémonies du souvenir, allons-les vivre dans le quartier, avec les mouvements de jeunesse. Ce sont des lieux plus sains que les cimetières ou les casernes militaires. On y rencontre d’année en année ceux qu’on a vu grandir, ceux qui ont élevé les amis de nos enfants, ceux qui sont encore petits et ceux qui ont déjà grandi. On y évoque aussi suffisamment de disparus…

On se prend à souhaiter que c’est ce qui devrait se mettre en place. Mais il faudra encore du temps pour parfaire ce passage de la diaspora au foyer national, pour créer l’évènement qui est celui qui correspond le mieux à cette histoire que nous vivons et que nous participons à modeler.

dimanche 24 avril 2011

De la précipitation - petite réflexion.

Le texte de l'article se trouve à la page "humeurs" du blog.

jeudi 14 avril 2011

Humeurs d'une veille de la pâque et des pâques

Le texte de cet article se trouve à la page "humeurs" du blog.

vendredi 1 avril 2011

Sur "Le malentendu" (ou le malentendant ?) d'Albert Camus

Le texte se trouve à la page "cinéma" du blog.

mercredi 23 mars 2011

La leçon de Rav Eliahou

Le texte se trouve à la page "humeurs" du blog.

mardi 15 mars 2011

grands évènements - graves secousses

Moi qui préparais bien tranquillement un texte « suite » à ma fable du tristram…(j’ai fait par ailleurs un fameux bide avec ce texte…je n’ai d’autre choix à ce sujet que d’en tirer les conclusions qui s’imposent) moi qui étais plongé dans les phénomènes universels de la « trace » et de la « voie », de ce qui porte untel vers unetelle, de ce qui reste en chacun d’entre eux, voila que les phénomènes titanesques se sont chargés de me rappeler combien nous sommes des micro-organismes dont les mouvements si retentissants soient-ils à nos pauvres oreilles sont bien insignifiants à d’autres échelles.

Voilà qui est de nature à nous ramener de l’égocentrisme vers le géocentrisme, si ce n’est l’héliocentrisme…si ce n’est le théocentrisme

Si je suppose que les élans sous jacents de l’individu sont devenus bien obsolètes à la famille Fogel assassinée vendredi soir dernier à Itamar dans les premières phases de son sommeil, sans discernement aucun, adultes comme enfants comme nourrisson, que faudrait-il écrire des lybiens transformés en chair à canon, et des japonais qui sont en train de faire face à la deuxième catastrophe nucléaire majeure au monde, leur deuxième catastrophe nucléaire ?

Même si ça n’annule rien des préoccupations philosophiques que nous sommes en droit – en devoir ? – d’avoir, voila qui est cependant de nature à nous redonner le sens des proportions.

Observons donc un silence recueilli et faisons de notre mieux.

J’ai entendu à la radio les phrases qui suivent - leur retranscription en français -, extrait des derniers (et peut-être premiers) écrits du pauvre Yoav Fogel (הי"ד), 11 ans, après avoir remis récemment un travail écrit sur le rabbi Nahman de Braslav : « merci de m’avoir demandé d’écrire ce travail. J’y ai pris énormément de plaisir. J’en ai retenu en particulier le désir de consacrer à la Torah tous les instants de ma vie, afin de faire le maximum de bien sur la terre ».

Que son souvenir soit béni.

mardi 18 janvier 2011

Non sans intérêt ? darké olam 2

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