mardi 31 mai 2022

Lire le midrach avec les outils de la psychanalyse.

 



L’introduction au midrach Ruth rabba s’interroge sur le premier verset « ויהי בימי שפוט השופטים » et propose de s’appuyer, pour mieux l’approfondir, sur un verset des Proverbes « הפכפך דרך איש וזר » (Proverbes 21, 8) et se demande qui est ainsi הפכפך, versatile, retournant sa veste.


La première réponse qui se présente est que c’est nécéssairement Essav à qui on fait ici allusion, lui qui a tourné le dos à l’enseignement de ses péres, jusqu’à en devenir hostile si ce n’est dangereux. Il est hostile, il s’est détourné de la circoncision, de la pratique des mitzvot, est devenu ainsi זר, et il a persécuté Israël au long de l’Histoire.


Et comme à son habitude, un autre intervenant du midrach propose une seconde hypothèse exégétique : peut-être les nations du monde sont-elles ici designées?. 

Quelle différence avec la premiére hypothèse ? va-t-on se demander. Mais l’intervenant appuie sa proposition sur l’analyse des mots du texte. Si Ich renvoyait à Essav dans l’interprétation précedente, ne pourrait-on pas proposer que cela renvoie non moins à Noah, au sujet duquel aussi est employé le mot ich, et ici le mot zar renverrait plutôt à la avoda zara, l’idolàtrie, qu’ils pratiquent, et au fait qu’ils ne pratiquent pas les mitzvot.


La nuance est mince, à moins de l’examiner d’un peu plus près, et de constater que la proposition « Essav » procède d’un conflit. Il est en conflit avec Israël, et à ce titre nous persécute, aprés s’étre détourné de la voie que nous avons choisi de continuer à suivre. Pour Noah, c’est bien différent. Pas de conflit. Les nations du monde sont tout simplement étrangères à l’enseignement d’Avraham, et nous subissons leur joug du fait qu’ils ne nous prennent pas en compte et que leurs décrets viennent parfois à l’encontre de notre bien-être.


Et voici qu’un nouvel intervenant propose une troisiéme hypothése : c’est Israël à qui il est fait allusion danas ce verset des Proverbes, c'est Israël qui est versatile, qui commence par respecter les mitzvot et la Torah, avant de s’en détourner.


Certains diront que voila bien la preuve qu’on trouve tout et n’importe quoi dans le midrach. Il s’agirait ici d’un midrach versatile livré à l’interprétationn versatile du mot versatile. « Quand un vicomte rencontre un autre vicomte… ».


D’autres diront : « le midrach est une compilation. L’imprimeur a attrapé divers avis émis en des lieux differents, à des èpoques différentes, et leur apparition ensemble est purement fortuite.


D’autres encore diront : ces opinions reflètent la réalité historique. A certaines époques, c’est avec Essav qu’il fallait se mesurer. En d’autres lieux et d’autres époques, il y avait moins d’impact édomite-chrétien sur le quotidien juif.


D’autres enfin verront dans la troisième opinion l’impact du christianisme, qui pousse même les juifs à se frapper la coulpe et à tendre l’autre joue.

Et peut-être la vision psychanalytique de la mise en place de la personnalité chez l’individu, progressivement au cours de son développement, peut nous offrir un autre regard, plus intégratif, de ce midrach :

Alors que Freud a principalement décrit l’état psychologique névrotique, certains de ses continuateurs ont choisi de conceptualiser les étapes antérieures de la mise en place de la personnalité. 

Melanie Klein décrit  ainsi comment le premier mode de relation à autrui obeït à une dynamique qu’elle appelle (un peu en chinois…) schizo-paranoïde. Schizo signifie scinder, paranoïde signifie contre moi. Dit MK. « en phase schizo paranoïde l’individu réagit aux difficultés interpersonnelles en clivant (schizo) ses relations en bons et mauvais, et en considérant les mauvais comme cherchant à lui nuire (paranoïaque) ».

 Le stade plus avancé conduit l’individu à ce qu’elle appelle « position dépressive », dans laquelle l’individu n’est pas dépressif à proprement parler mais considère les situations avec plus de recul, plus d’acceptation, comme en faisant le deuil des revendications qui l’animaient tellement vivement lors de la précédente phase. 

L’individu plus établi, plus serein vis à vis de lui-même est l’individu névrotique, qui recherche plutôt chez lui les mécanismes de sa souffrance et est moins orienté à comprendre ou combattre le monde extérieur.

Les théoriciens postérieurs à Mélanie Klein voient ces postures de l’individu non tant comme phases de son évolution que comme les postures qui nous accompagnent tout au long de notre vie : sans pour autant étre etiquetés ni paranoïaques, ni dépressifs, ni névrotiques, selon les circonstances, selon notre degré de stress ou de sérénité, nous réagissons tantôt selon la position sch.par. , selon la position dep., selon le mode plus névrotique comme en se demandant : « peut-être ai-je une part dans ce qui m’arrive? ».

Et si, à travers ces trois opinions émises, le midrach nous avait aidés à réfléchir la famine du commencement de la meguilat Ruth selon ces trois axes possibles ? La famine serait-elle venue du fait de la sévérité d'un D. offusqué qu'on se soit détourné de Lui ou du fait du peuple qui la subit ? Est-ce qu’en situation lambda ne gagnerai-je pas à me demander ce qui fait que je me polarise tant contre autrui, en recherchant les « mauvais », plutôt que continuer à les combattre et les haïr encore et encore ?

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