mardi 28 mars 2023

la journée du 26 mars 2023 et le principe de réalité

 

La journée du 26 mars 2023 en Israël a quand même été bien particulière et mérite qu’on lui consacre un peu d’attention, comme phénomène isolé mais aussi comme susceptible d’aider à comprendre un peu mieux le paysage de ces derniers mois (ou ans) dans le pays.

Hier, un gigantesque mouvement de manifestations et grèves a permis d’aboutir au gel momentané du processus de réforme entamé par le gouvernement il y a quelques trois mois, processus auquel s’oppose apparemment plus de la majorité des habitants du pays.

Cette mobilisation est en soi extraordinaire, mais le plus extraordinaire à mes yeux est la juxtaposition des manifestations en fin de journée, face à la knesset.

Chaque camp avait réussi à amener beaucoup de monde, beaucoup de gens en principe fort opposés aux manifestants de l’autre bord, et ce gigantesque mouvement de foule s’est passé non seulement dans le calme ( il y a eu bien entendu quelques foyers d’agitation mais à l’échelle du nombre de présents cela représentait énormément peu) mais dans une ambiance en général plutôt bonne, amicale, si ce n'est même chaleureuse.

Autrement dit si le pays semble fortement polarisé, les deux camps réussissent à cohabiter, et cette cohabitation en manifestation fait suite à plusieurs appels lancés un peu plus tôt par diverses voix pour appeler à une trève, ne serait-ce que pour ne troubler ni Pessah’, ni yom hashoah, ni Yom hazikaron, ni yom haatsmaout. Ce n’est pas la crainte sécuritaire qui a amené à cette trève mais la préoccupation générale consécutive à la polarisation.

Et donc quelle est la teneur de cette polarisation ? Les manifestants opposés à la réforme crient au maintien de la démocratie, vocifèrent leur angoisse et leur opposition à la possible mise en place d’une dictature si la réforme a lieu, et le plus étonnant est que l’autre côté exprime en miroir quelque chose d’excessivement similaire.

Les opposants à la réforme (que le camp d’en face qualifie globalement et de façon grossière de « gauchistes » et c’est un écart de langage que l’on doit je crois en Israël à Bibi, et qui est semble-t-il répandu dans le monde, du fait duquel la gauche n’est autre que son étymologie latine : sinistre. Pour ces gens c’est presque la pire insulte. J’éspère qu’aucun d’entre eux n’est gaucher…bref, à mes yeux gauche n’est en rien synonyme de démon, et je ne pense pas de plus que tous les opposants à la réforme soient « de gauche ») les opposants ont peur, peur que la couleur globale du pays soit salie, pervertie par cette réforme, qu’elle prive les citoyens de leur liberté, qu’elle instaure un mode de gouvernement qu’ils abhorrent, mais les partisans de la même réforme vivent la même angoisse si ce n’est pire.

Pour ces partisans, le pays maintient une situation pérenne d’injustice à l’égard d’une grande partie de la population et l’annulation potentielle de la réforme éveille chez eux des réactions de désespoir à l’idée que la situation qu’ils vivent et de laquelle ils souffrent pourrait dès lors se prolonger.

Et de quoi parle-t-on ?

Je crois qu’au-delà des exemples invoqués (le désengagement de 2005, le système de nomination des juges, les injustices dont souffrent les séfarades et autres) le fond du problème est l’identité israélienne, polarisée entre ceux pour lesquels le pays n’a de raison d’être que s’il est inscrit au programme historique de venue des temps messianiques, et ceux pour lesquels, même si cette notion les interpelle, cela ne peut pas et ne doit pas avoir priorité sur d’autres fondamentaux.

Les partisans du « sionisme national »(Smotritch), de « la vigueur juive »(Ben Gvir), de « chass »(Derhy) ou de guimel (Gafni) qui constituent la coalition qui fait pression de toutes parts sur le likoud et sur Bibi sont à des niveaux différents tous d’accord sur mettre avant tout leur conception juive de l’état d’Israël, que ce soit le développement des implantations, le message de souveraineté juive, ou la subvention accordée à l’étude juive séfarade chez les uns, ashkénaze chez les autres.

A tous leurs yeux ces impératifs passent avant tout le reste. Avant l’affiliation aux droits de l’homme et du citoyen, l’instauration de systèmes sociaux égalitaires, la subordination de l’appareil d’état au judiciaire, le statut des citoyens arabes dans le pays, la relation avec les pays voisins ou l’image de marque d’Israël aux yeux du monde occidental.

Les uns sont surtout remontés depuis le désengagement, d’autres sur la composition de l’appareil judiciaire, d’autres encore sur la place faite aux séfarades dans le pays, d’autres sur la place de la Torah par comparaison avec d’autres impératifs (sécuritaire par exemple) , mais le dénominateur commun est la pérennité du judaïsme.

C’est la suite de la lutte contre le modernisme, l’émancipation, l’assimilation au sujet desquels le peuple a commencé à vivre une fracture il y a deux siècles, faisant que pour certains le sionisme est un obstacle, ou doit être un outil, tandis que pour d’autres il est surtout l’objet d’une crainte, celle de tout anéantir.

Et tous ces partisans de la réforme se considèrent brimés, chacun pour la cause qui lui tient plus à cœur, mais en commun parce qu’ils se sentent tenus (par la moitié du peuple qu’ils vivent comme les ayant dirigés depuis la création de l’état) de vivre dans la frustration par rapport à cette question juive…tout en se sentant frères et proches de l’autre moitié, et en souffrant de ne pas être en intelligence avec elle.

Peu leur importe la réalité, par exemple que le pays est dirigé par Bibi ou par la droite (Begin, Sharon, Olmert) depuis plus de vingt-cinq ans presque sans interruption, à leurs yeux ce sont les valeurs de ce que Bibi appelle « la gauche » (mais que je suis tenté d’appeler « principe de réalité ») qui les oppriment. Principe de réalité au nom duquel Begin (homme politique de droite s’il en fut) a rendu le Sinaï, au nom duquel ont été établis les accords de répartition des responsabilités entre l’Autorité palestinienne et l’armée israélienne dans les territoires, en vertu duquel Israël ne se permet pas de souffleter les dirigeants des pays qui expriment un avis différent de celui qu’il leur plairait d’entendre, principe de réalité au nom duquel Israël a effectué le désengagement ( sous la houlette d’Ariel Sharon, autre homme politique de droite).  

S’est installé en Israël en novembre 22 un gouvernement guidé par le principe de plaisir, guidé par un « enfin on va pouvoir vivre pleinement »… une pseudo réalité qui leur a ète vendue-promise par le menteur national qui cherche avant tout à se maintenir au pouvoir et qui s’est pour cela emmêlé les pieds dans la situation de crise actuelle.

Je ne crois pas que quelqu’un ni cherche veritablement à établir ici une dictature, ni soit mû par de véritables idées fascistes, mais je crains qu’alors que les opposants à la réforme voient le danger qu’elle véhicule, les partisans voient surtout en elle la potentialité de réaliser leurs rêves, frustrés toutes ces années…par le principe de réalité.

Principe de réalité qu’il leur fait trop mal d’accepter et dont il est plus facile d’accuser le camp adverse d’être responsable de son autorité et de sa suprématie ?

Les gens ne sont ainsi pas ennemis les uns des autres, ils ne trouvent pas de dénominateur commun à leur vision de l’état juif.

Se fait ressentir ici durement le vide de penseurs, d’orateurs, de guides spirituels qui sachent trouver les mots pour élever le pays au dessus de ces dissensions.

Espérons que, forts de la forte expérience du 26 mars , le vécu dans le calme du souvenir des successives créations de notre ciment national (sortie d’Egypte, traumatismes et indépendance) fera surgir en nous tous le moyen de trouver un chemin commun à ces deux parties du pays.

 

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