mardi 3 août 2010

Pas du cinéma…"le prix de la vie". Un film documentaire de Chlomi Eldar. 2009-(חיים יקרים) .


Est-ce finalement sur cela que tout capotera ? Sur les différences culturelles face au prix de la vie de l'humain ?

Chlomi, journaliste israélien qui s’est fortement impliqué à aider à sauver un jeune enfant gazaouite soigné en Israël pour déficience génétique potentiellement létale, se lie véritablement d’amitié avec les parents de Muhamad, Raïda et Saïd. L’incroyable se produit quand suite à un appel à dons sur une chaîne de télévision israélienne, les 50000 dollars requis sont récoltés d’un coup, apportés par un seul donateur qui réclame l’anonymat.

Le couple gazaouite est fortement ébranlé par ces multiples facettes de la confrontation à la société israélienne. Ils vivent à l’hôpital, donc en milieu ultra moderne, en bordure de Tel Aviv, ils côtoient les israéliens au jour le jour et sont ébahis de la chaleur des relations, ils assistent aux fêtes juives, voient des soldats en armes déposer des colis à l'intention des malades (ce qui n’est pas un mirage mais qui peut paraître fortement paradoxal surtout aux yeux de quelqu’un qui connait un tout autre visage des soldats. Lors de leur premier retour à Gaza ils témoignent spontanément : « même les tanks nous paraissent aujourd’hui tellement différents ! »), et ils assistent même au fameux Yom Hazikaron, jour du souvenir célébré la veille de Yom Haatsmaout.

Chlomi discute avec eux de ce qu’ils observent sans vraiment le comprendre. Une sirène ? pendant deux minutes alors qu'aucune bombe n'est en train de tomber ? et le pays entier qui se tient au garde à vous ? Raïda donne quelques hypothèses. Peut-être a-t-on institué cela pour accentuer le contraste entre le sérieux et le joyeux ? Quand Chlomi lui donne la solution : la sirène rappelle le souvenir des soldats tombés, elle peine encore à comprendre. Pendant la guerre d'indépendance demande-t-elle ?

Ils assistent aussi au 9 av. Ils ont peine à comprendre comment et pourquoi les juifs jeûnent ce jour. Pour un temple détruit il y a 2000 ans ? S'en suit une discussion sur Jérusalem. Pour Raïda, aucune question ne peut se poser. Jérusalem est arabe et ne peut être qu'uniquement arabe. Non seulement elle n'a aucune conscience d'un lien entre les juifs et cet endroit (c'est l'endroit d'où le Prophète est monté au ciel, et rien d'autre), mais surtout, comment pourrait-il être question de "partager"? Il ne s'est fait jusqu'ici dans son esprit aucune place pour une quelconque hypothèse de partage. Jérusalem (comme Carthage était à être détruite) est à être reconquise. Quel que soit le prix ! quel que soit le nombre de chahids requis ! jusqu'à dire elle-même qu'elle ne souhaite pas de meilleur avenir pour Muhamad que de devenir Chahid !

Tandis que Raïda prononce ces mots, vraisemblablement entraînée par son élan et l'amour pour le Prophète et Al Quds, vraisemblablement sans prendre conscience de ce qu'elle vient de dire, qu'elle verrait avec enthousiasme son petit Muhamad finir comme Chahid ! Le petit Muhamad pour la vie de qui, elle, son mari, l'enfant lui-même, l'équipe médicale, Chlomi et – last but not least - l'anonyme donateur, se battent ! Chlomi reçoit un choc. Il quitte ce jour l'hôpital lourdement ébranlé. La discussion s'est un peu poursuivie entre eux et Raïda campée sur son discours militant a re-dit sur un ton des plus naturels combien "chez eux, la vie individuelle n'a pas de valeur", elle qui a enterré deux filles atteintes du même trouble génétique que Muhamad, elle qui parait aux antipodes de ne pas accorder d'importance à la vie individuelle, et le fossé n'a fait que se creuser entre elle et Chlomi, entre elle et la société israélienne qui n'a pas de réticences à faire un appel à don pour sauver le petit Muhamad, entre elle et le donateur anonyme dont entre temps Chlomi a révélé qu'il est quelqu'un qui a perdu un fils soldat à la guerre et qui, depuis, met son énergie et son argent au service de la vie.

Le documentaire se poursuit encore. On assiste à l'évolution de la situation médicale de Muhamad, à travers les évènements de l'opération "plomb fondu", on partage les difficultés à surmonter pour faire encore traverser le passage Erez, dans un sens ou dans l'autre, pour trouver dans la famille élargie de Muhamad un donneur potentiel de moëlle compatible, mais le sujet central, de cet écart culturel et du prix de la vie - aux côtés duquel même l'écart gigantesque de niveau de vie entre Tel Aviv et Gaza parait minuscule - a pris toute la place et ne quitte plus personne, ni les protagonistes, ni le spectateur.

Saïd a beau exprimer une position différente de celle de Raïda, Raïda elle-même a beau essayer de relativiser, de "s'excuser", après coup ("j'ai eu peur de ce que je disais, que cela soit publié et qu'à Gaza on m'entende tenir des discours décalés"), l'onde de choc ne faiblit pas.

Et ce n'est pas du cinéma ! Et le film contient encore quelques éléments forts qu'il serait trop long de rapporter ici. Et le tout se déroule au son de la musique de Yehouda Poliker et de cette chanson qui dit que telle est notre réalité ici ces derniers temps, et qui demande s'il peut y avoir de l'espoir face à cela ?

Certains sortiront de cette projection effondrés sous le poids de cette terrible question, ou marqués en particulier par la folie sous l'emprise de laquelle toute la région parait être condamnée à demeurer. D'autres resteront effarés devant l'écart gigantesque qui sépare les populations, la polarisation autour du prix de la vie humaine.

D'autres pourront voir beaucoup d'espoir dans ce documentaire. L'espoir qu'il sera vu, l'espoir que de sa projection et de son contenu s'amoindrira ce terrible écart, s'effritera ce terrible mur d'incompréhension entre les parties en présence, entre les convictions. Ils verront qu'un lien se crée malgré tout, entre ce couple et ceux qui l'entourent, de telle manière qu'ils retournent à Gaza forcément changés.

Il est malgré tout effectivement très difficile d'imaginer, comme s'y égare le docteur de l'hôpital, que ses petits enfants joueront un jour avec les petits enfants de Raïda et Saïd.

Mais il nous reste un message, un symbole. Celui qui est véhiculé par le texte michnaïque qui relate la situation que vivait Jérusalem à la période où le temple n'était pas détruit, les jours de fêtes de pélérinage, quand les juifs affluaient de tout le pays. Il se produisait une sorte de miracle raconte la michna, quand les gens se tenaient debout, c'était serré, quand ils se prosternaient, paradoxalement, il y avait de la place.

Comme pour dire que tant que chacun est drapé dans son quant à soi, c'est serré, il y a peu d'espace vital. Ce dernier se produit dès que l'on se prosterne, dès que l'humilité et l'empathie l'emportent sur la fierté et l'idéologie. Comme pour nous enseigner qu'afin de rendre culte à la majesté divine, il faut faire en soi de la place pour autrui.

Plus facile à dire qu'à faire.

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