L’hiver bat son
plein. Ici, c’est la période des pluies, sauf dérapage où ça tourne à la neige
et où les arbres ont bien du mal. Ils croûlent – et parfois s’écroulent – sous
le poids, et les bords de routes sont pleins de branches mortes de calibres
plus ou moins impressionnants. Les plus malheureux sont ceux que l’on a
importés en leur faisant croire qu’ici aussi il allait faire chaud, eucalyptus
ou brachychitons. Les premiers emettent de véritables râles les soirs de neige
et font tomber une ou plusieurs branches dans de sinistres craquements qui sont
la musique de ces soirs en général enveloppés de silence.
Si Tou Bichevat
est le nouvel an des arbres, le mois qui précède est le mois du bois. C’est la
période où le ramasser et le brûler. Nous brûlons quant à nous du
« guéfet », conglomérat de noyaux d’olives, mais le bois sert quand
même à allumer.
Période de pluies
disions-nous, période de tempêtes parfois, période où si la pluie ne tombe pas
d’elle-même, il faut trouver le moyen de remédier à la situation.
Khoni était de
ceux qui peuvent intervenir en pareil cas. On alla le chercher raconte le
Talmud quand presque tout le mois d’Adar était passé, alors que Pessah était
déjà sur le point d’arriver et que les terres étaient restées désespérément
sèches.
Il fit le fameux
coup dit du cercle de craie caucasien, et en tant que persona grata des sphères
célestes, implora que tombe la pluie. La pluie tomba sous toutes ses formes. Ce
pays est celui des extrèmes et la tempète peut remplir en une semaine toutes
les couches et toutes les nappes.
L’intervention
n’était pas du goût de l’autorité rabbinique de l’époque, Shimeon Ben Shétakh,
qui admonesta sévèrement notre héros de
la pluie. « Si tu n’étais pas respectable je te mettrais au ban, toi qui
te comporte avec le Maître du monde comme un enfant gâté qui réclame amandes,
pêches, grenades, noix, et qui s'attend à tout recevoir. » (Taanit 23a)
Khoni était
apparemment très versé dans le monde et ses attraits. Attentif à la détresse de
ses contemporains, il s’inquiétait du sort qui les menaçait à l’approche de ce
qui se produisit effectivement : la destruction de Jérusalem et du Temple,
l’exil et l’esclavage qui s’ensuivirent.
C’est dans cette
perspective, et non uniquement comme le témoignage de son interêt pour les
activités agricoles de ses voisins, qu’il faut lire son dialogue avec le paysan
qu’il rencontre en train de planter un caroube,.
« comment
plantes-tu un caroubier, qui risque de ne donner des fruits qu’au bout de 70
ans ? » lui demande-t-il. Certains caroubiers ne donnent des fruits
qu’au bout d’une si longue période, mais 70 ans est le chiffre paradigmatique
des années de la durée de l’exil pour quelqu’un qui n’a comme exemple vécu que
l’exil de Babylone.
C’est comme si
Khoni demandait à ce paysan : « comment peux-tu être si résolument
tourné vers l’avenir alors que nous sommes au bord de la catastrophe ?
alors que nous risquons de n’avoir aucun avenir ? »
A Khoni, dont la
parole est entendue, échoit, nous conte le talmud, de vivre ce qu’il évoque et appréhende :
il se retrouve frappé d’un sommeil de 70 ans, congelé tel Hibernatus, au terme
duquel il se réveille pour constater que le monde continue d’être monde, que le
caroubier a donné ses fruits, que ses petits enfants sont en vie.
Ceci lui vaut
d’en souffrir plus que de s’en réjouir : on ne le reconnaît pas, même au
sein de sa propre maison, sa parole n’est plus entendue et il ne lui reste plus
qu’à se rendormir, ou à mourir pour de bon.
La leçon de cette
fable est-elle que le monde est régi même quand il parait ne pas l’être ? Est-elle
que nos vœux les plus intimes de survivre à notre époque, de changer le cours
du monde ne sont que des rêves inapplicables à la réalité?
Khoni était
probablement, comme son modèle Elie le prophète, un personnage doté de grandes
capacités mais aussi un peu trop carré, un peu trop concret, un peu trop
interventionniste.
Aurait-il dû
répondre à ceux qui le pressaient de faire tomber la pluie que leur devoir
était de faire confiance au Créateur du monde ? Cela semble être la leçon
de ce passage talmudique.
Cette année, nous
avons été dispensés de souhaiter qu’un Khoni soit vivant aujourd’hui parmi
nous : le mois d’Adar n’est même pas encore à l’horizon que sont tombées
presque toutes les pluies d’une année.
Et l’année est
précoce. Tou Bichevat est attendu pour dans une semaine, et avec lui les
premières floraisons.
Les arbres sont
visiblement en course contre la montre. S’étant défaits de leurs vieux oripeaux
ils travaillent jour et nuit à la préparation des fleurs. Je suis sorti
aujourd’hui et on ne voit pas le premier bourgeon.
Et pourtant les
fleurs seront au rendez-vous. Dans une semaine. Photographes, à vos
marques !
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