vendredi 18 janvier 2013

Fées d'hiver - le cas Khoni (un personnage bien trempé mais un peu froid)



L’hiver bat son plein. Ici, c’est la période des pluies, sauf dérapage où ça tourne à la neige et où les arbres ont bien du mal. Ils croûlent – et parfois s’écroulent – sous le poids, et les bords de routes sont pleins de branches mortes de calibres plus ou moins impressionnants. Les plus malheureux sont ceux que l’on a importés en leur faisant croire qu’ici aussi il allait faire chaud, eucalyptus ou brachychitons. Les premiers emettent de véritables râles les soirs de neige et font tomber une ou plusieurs branches dans de sinistres craquements qui sont la musique de ces soirs en général enveloppés de silence.

Si Tou Bichevat est le nouvel an des arbres, le mois qui précède est le mois du bois. C’est la période où le ramasser et le brûler. Nous brûlons quant à nous du « guéfet », conglomérat de noyaux d’olives, mais le bois sert quand même à allumer.

Période de pluies disions-nous, période de tempêtes parfois, période où si la pluie ne tombe pas d’elle-même, il faut trouver le moyen de remédier à la situation.

Khoni était de ceux qui peuvent intervenir en pareil cas. On alla le chercher raconte le Talmud quand presque tout le mois d’Adar était passé, alors que Pessah était déjà sur le point d’arriver et que les terres étaient restées désespérément sèches.

Il fit le fameux coup dit du cercle de craie caucasien, et en tant que persona grata des sphères célestes, implora que tombe la pluie. La pluie tomba sous toutes ses formes. Ce pays est celui des extrèmes et la tempète peut remplir en une semaine toutes les couches  et toutes les nappes.

L’intervention n’était pas du goût de l’autorité rabbinique de l’époque, Shimeon Ben Shétakh, qui admonesta sévèrement notre  héros de la pluie. « Si tu n’étais pas respectable je te mettrais au ban, toi qui te comporte avec le Maître du monde comme un enfant gâté qui réclame amandes, pêches, grenades, noix, et qui s'attend à tout recevoir. » (Taanit 23a)

Khoni était apparemment très versé dans le monde et ses attraits. Attentif à la détresse de ses contemporains, il s’inquiétait du sort qui les menaçait à l’approche de ce qui se produisit effectivement : la destruction de Jérusalem et du Temple, l’exil et l’esclavage qui s’ensuivirent.

C’est dans cette perspective, et non uniquement comme le témoignage de son interêt pour les activités agricoles de ses voisins, qu’il faut lire son dialogue avec le paysan qu’il rencontre en train de planter un caroube,.

« comment plantes-tu un caroubier, qui risque de ne donner des fruits qu’au bout de 70 ans ? » lui demande-t-il. Certains caroubiers ne donnent des fruits qu’au bout d’une si longue période, mais 70 ans est le chiffre paradigmatique des années de la durée de l’exil pour quelqu’un qui n’a comme exemple vécu que l’exil de Babylone.

C’est comme si Khoni demandait à ce paysan : « comment peux-tu être si résolument tourné vers l’avenir alors que nous sommes au bord de la catastrophe ? alors que nous risquons de n’avoir aucun avenir ? »

A Khoni, dont la parole est entendue, échoit, nous conte le talmud, de vivre ce qu’il évoque et appréhende : il se retrouve frappé d’un sommeil de 70 ans, congelé tel Hibernatus, au terme duquel il se réveille pour constater que le monde continue d’être monde, que le caroubier a donné ses fruits, que ses petits enfants sont en vie.

Ceci lui vaut d’en souffrir plus que de s’en réjouir : on ne le reconnaît pas, même au sein de sa propre maison, sa parole n’est plus entendue et il ne lui reste plus qu’à se rendormir, ou à mourir pour de bon.

La leçon de cette fable est-elle que le monde est régi même quand il parait ne pas l’être ? Est-elle que nos vœux les plus intimes de survivre à notre époque, de changer le cours du monde ne sont que des rêves inapplicables à la réalité?

Khoni était probablement, comme son modèle Elie le prophète, un personnage doté de grandes capacités mais aussi un peu trop carré, un peu trop concret, un peu trop interventionniste.

Aurait-il dû répondre à ceux qui le pressaient de faire tomber la pluie que leur devoir était de faire confiance au Créateur du monde ? Cela semble être la leçon de ce passage talmudique.

Cette année, nous avons été dispensés de souhaiter qu’un Khoni soit vivant aujourd’hui parmi nous : le mois d’Adar n’est même pas encore à l’horizon que sont tombées presque toutes les pluies d’une année.

Et l’année est précoce. Tou Bichevat est attendu pour dans une semaine, et avec lui les premières floraisons.

Les arbres sont visiblement en course contre la montre. S’étant défaits de leurs vieux oripeaux ils travaillent jour et nuit à la préparation des fleurs. Je suis sorti aujourd’hui et on ne voit pas le premier bourgeon.

Et pourtant les fleurs seront au rendez-vous. Dans une semaine. Photographes, à vos marques !  

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