Le midrach clôt son étude sur l'épisode du don de la
Torah compliqué de la faute du veau d'or, par une sorte d'élaboration
thématique à base de réflexion sur une seule racine trilitère : a - m - n.
Une racine très riche, de laquelle découlent les notions
de foi (émouna), de confiance et de crédulité (émoun), de crédibilité et
de fidélité (néémanout), mais aussi d'éducation (omna), d'effort en vue de
perfection (imoun), d'artisanat (oumanoutiout) et d'art (omanout).
Le "oman" est l'artiste, tandis que le
"ouman" est l'artisan - celui qui s'est formé et entraîné jusqu'à
dominer son...art.
Ce midrach viendrait ainsi théoriser la réconciliation
entre le créateur et le peuple juif, malgré la faute, malgré l'apparent échec de
l'alliance entre monde du haut et monde du bas que devait symboliser le don de
la torah : cette réconciliation, ce qui permet de mettre quand même l'alliance
en place, ce n'est pas seulement les arguments avancés par Moshé lors de sa
plaidoirie, c'est une donnée supplémentaire de l'humain, véhiculée à travers
les constructions linguistiques émanant de cette racine trilitère.
La plaidoirie de Moshé est un morceau d'excellence de
langage, le morceau d'éloquence du plus célèbre bègue de tous les temps.
Lui est un non moins célèbre pendant, dans le passé, la
grandeur d'Avraham qui tente magistralement de sauver la ville de Sodome, dans
son célèbre argumentaire face à D. Le midrach va jusqu'à détourner presque tout
le Cantique des Cantiques en semblant dire : ces éloges de la beauté féminine
ne sont que la métaphore de la grandeur du geste d'Avraham. Une grandeur de
geste témoignant d'une véritable noblesse d'être.
Lui fait aussi écho dans les temps qui surviennent dans
l'après Moshé le talent poétique du roi David, superbement mis au service de la
repentance. Le roi David, dont les fautes sont presque innombrables, mais dont
le travail personnel qu'il fait sur lui-même est majeur au point de produire le
livre des Psaumes, l'appareil poétique qui accompagne tous les actes, rites et
états d'âme du peuple juif au fil des siècles.
Ce don de la poésie, cette noblesse d'être, ce
dépassement de soi-même concrétisée dans l'éloquence du bègue, sont pour le
midrach de clôture de la paracha "ki tissa", ce qui sauve la situation
de la catastrophe. Pour le midrach, D. Pardonne, donne quand même la Torah
probablement du fait de sa miséricorde, mais non moins du fait de ces
particularités dont est pourvu l'humain et qui sont les différentes facettes du
dépassement de soi.
Un peu comme si non uniquement le savoir vivre (derekh
eretz) était le préalable à la Torah, mais comme si la capacité d'auto
dépassement de l'humain n'était pas moins fondamentale.
Et le midrach ne fait pas l'impasse de l'inquiétude
devant le danger d'une telle thèse : l'homme ainsi loué pour ses capacités
innées, pour la capacité interne de s'autodépasser, n'est-il pas en danger de
succomber au narcissisme ?
La réponse négative à cette question repose une nouvelle
fois sur la richesse de la langue : la racine trilitère a-m-n ne contient pas
seulement le don du savoir faire et du savoir dire, elle contient aussi la
fidélité, la crédibilité. L'homme est menacé de narcissisme s'il est seul, s'il
atteint seul ses sommets, après avoir éliminé ses partenaires considéré par lui
comme ses concurrents. Il ne succombe pas au narcissisme s'il est pétri de sens
du devoir et du souci de sa crédibilité, comme l'est Moshé.
Un éblouissant midrach de clôture, un morceau de choix (maasseh
oman) de cette richesse inhérente à la littérature midracho-talmudique, qui a
le secret de récéler des perles cachées. Le fait qu'il soit un véritable
concerto sur deux consonnes et une voyelle (pour emprunter une formule de Marc
Alain) n'apparait pas en première lecture, n'apparait pas au lecteur solitaire,
cette richesse ne surgit que de l'étude en groupe, dans laquelle les voix se
complètent comme les instruments d'un orchestre.
On reste ébloui. Sont-ce les fois où il convient de dire : "amen" ?
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