mardi 26 novembre 2013

L'oeuvre de D. La part de l'homme.



Le midrach clôt son étude sur l'épisode du don de la Torah compliqué de la faute du veau d'or, par une sorte d'élaboration thématique à base de réflexion sur une seule racine trilitère : a - m - n.

Une racine très riche, de laquelle découlent les notions de foi (émouna), de confiance et de crédulité (émoun), de crédibilité et de fidélité (néémanout), mais aussi d'éducation (omna), d'effort en vue de perfection (imoun), d'artisanat (oumanoutiout) et d'art (omanout).

Le "oman" est l'artiste, tandis que le "ouman" est l'artisan - celui qui s'est formé et entraîné jusqu'à dominer son...art. 

Ce midrach viendrait ainsi théoriser la réconciliation entre le créateur et le peuple juif, malgré la faute, malgré l'apparent échec de l'alliance entre monde du haut et monde du bas que devait symboliser le don de la torah : cette réconciliation, ce qui permet de mettre quand même l'alliance en place, ce n'est pas seulement les arguments avancés par Moshé lors de sa plaidoirie, c'est une donnée supplémentaire de l'humain, véhiculée à travers les constructions linguistiques émanant de cette racine trilitère.

La plaidoirie de Moshé est un morceau d'excellence de langage, le morceau d'éloquence du plus célèbre bègue de tous les temps. 

Lui est un non moins célèbre pendant, dans le passé, la grandeur d'Avraham qui tente magistralement de sauver la ville de Sodome, dans son célèbre argumentaire face à D. Le midrach va jusqu'à détourner presque tout le Cantique des Cantiques en semblant dire : ces éloges de la beauté féminine ne sont que la métaphore de la grandeur du geste d'Avraham. Une grandeur de geste témoignant d'une véritable noblesse d'être.

Lui fait aussi écho dans les temps qui surviennent dans l'après Moshé le talent poétique du roi David, superbement mis au service de la repentance. Le roi David, dont les fautes sont presque innombrables, mais dont le travail personnel qu'il fait sur lui-même est majeur au point de produire le livre des Psaumes, l'appareil poétique qui accompagne tous les actes, rites et états d'âme du peuple juif au fil des siècles.

Ce don de la poésie, cette noblesse d'être, ce dépassement de soi-même concrétisée dans l'éloquence du bègue, sont pour le midrach de clôture de la paracha "ki tissa", ce qui sauve la situation de la catastrophe. Pour le midrach, D. Pardonne, donne quand même la Torah probablement du fait de sa miséricorde, mais non moins du fait de ces particularités dont est pourvu l'humain et qui sont les différentes facettes du dépassement de soi.

Un peu comme si non uniquement le savoir vivre (derekh eretz) était le préalable à la Torah, mais comme si la capacité d'auto dépassement de l'humain n'était pas moins fondamentale. 

Et le midrach ne fait pas l'impasse de l'inquiétude devant le danger d'une telle thèse : l'homme ainsi loué pour ses capacités innées, pour la capacité interne de s'autodépasser, n'est-il pas en danger de succomber au narcissisme ?

La réponse négative à cette question repose une nouvelle fois sur la richesse de la langue : la racine trilitère a-m-n ne contient pas seulement le don du savoir faire et du savoir dire, elle contient aussi la fidélité, la crédibilité. L'homme est menacé de narcissisme s'il est seul, s'il atteint seul ses sommets, après avoir éliminé ses partenaires considéré par lui comme ses concurrents. Il ne succombe pas au narcissisme s'il est pétri de sens du devoir et du souci de sa crédibilité, comme l'est Moshé.


Un éblouissant midrach de clôture, un morceau de choix (maasseh oman) de cette richesse inhérente à la littérature midracho-talmudique, qui a le secret de récéler des perles cachées. Le fait qu'il soit un véritable concerto sur deux consonnes et une voyelle (pour emprunter une formule de Marc Alain) n'apparait pas en première lecture, n'apparait pas au lecteur solitaire, cette richesse ne surgit que de l'étude en groupe, dans laquelle les voix se complètent comme les instruments d'un orchestre. 

On reste ébloui. Sont-ce les fois où il convient de dire : "amen" ? 

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