mardi 1 avril 2014

Traiter les troubles autistiformes.


Un récit publié cette dernière fin de semaine dans le moussaf de Haaretz me permet de revenir sur des sujets qui me sont chers.

Le sujet est l'autisme et la difficulté presque insurmontable de son traitement, et le récit est celui des vingt et une dernières annėes de la vie d'un garçon de 24 ans, devenu autiste à 3 ans d'après ce qu'en racontent ses parents.

Le récit est impressionnant, émouvant, édifiant, et je ne vais pas ici le résumer, parce qu'à l'instar de ce que j'ai à dire, ce n'est pas le contenu qui est le centre - même s'il a de l'importance.

L'autisme est un sujet brûlant de nos sociétés modernes. Comme le rappelle le père de l'enfant en question, Ron Suskind, on compte aujourd'hui un enfant sur 88 atteint d'autisme, et si on ouvre plus les yeux, qu'on se rappelle que les garçons sont beaucoup plus frappés que les filles, et qu'on ne compte que pour les garçons, alors la proportion monte à un garçon sur 54. (Comme le rappelle aussi l'auteur du récit, pour comparaison, le syndrome de Dawn concerne un enfant sur 691).

Le monde occidental se casse les dents sur l'autisme, ne parvient pas à en retrouver les causes, ne réussit pas à comprendre cette montée en flèche de son occurence, passée de 1 enfant sur 700 il y a vingt ans, à ce qu'elle est aujourd'hui.

Et se pose ici la question de ce sur quoi il convient de se casser les dents, ce que doivent être les rôles respectifs des individus sensibilisés à la question.

Dans le même numéro de Haaretz, un autre article, sur la dernière découverte scientifique en date concernant l'autisme. Il en ressort que l'autisme se déclencherait encore intra utéro, au cours du dernier tiers de la grossesse.

Pour qui cette nouvelle a-t-elle de l'importance ?

Cette nouvelle a de l'importance pour les sociologues, les journalistes, et les officiels de la santé. 

Pour les parents, et pour les enseignants-soignants, cela ne change rien à rien. Pour ces derniers, la vraie question, la seule question est celle de la possibilité de se mesurer avec l'autisme de l'enfant autiste.

Le récit de Suskind est par contre, à mon sens, éminemment pertinent pour cette catégorie, à laquelle j'appartiens, qui est à la recherche d'outils.

Tandis que les chercheurs, les officiels, appuyés par les journalistes et les sociologues, induisent et prennent des décisions sur les traitements qu'il convient ou non de subventionner, ceux qui sont les plus en mal sont ceux qui sont face aux enfants autistes au quotidien.

Un récit comme celui-là est édifiant pour ce qui est du monde intérieur de l'enfant qui en est le sujet central, et pour le message qu'il véhicule concernant le traitement.

Il n'est pas question ici de techniques, qui vont plus ou moins marcher, compte tenu de telles ou telles théories cognitives sur ce qu'est ou non capable de faire l'enfant autiste, il est question du monde intérieur de cet enfant, il est question de communiquer, réussir ou ne pas réussir à communiquer avec un individu.

C'est la vocation même de la reflexion psychanalytique, essayer de comprendre les processus de la subjectivité - et non de son système nerveux ou cognitif - de l'individu, et dans le cas spécifique de l'autisme, chercher à aider le praticien, ou/et les parents, à essayer de percer le barrage ou la coquille dont l'enfant autiste enferme sa subjectivité.

Les officiels qui ont décidé que la psychanalyse n'était d'aucun ressort pour traiter les autistes ne savent pas faire la distinction entre une pratique dont ils ne comprennent pas le mécanisme - ce qui se justifie, surtout quand celui-ci se présente de façon aussi impénétrable que le cerveau d'un autiste - et la reflexion sur laquelle repose cette pratique, ou les pratiques engendrées par cette reflexion.

Tandis que les techniques cognitivo-comportementales reposent sur des théories ancrées dans la constitution biologique des individus et s'articulent sur des pratiques surtout destinées à rassurer le praticien, ou les compagnies d'assurance médicale, qui préfèrent de très loin qu'on leur vende des thérapies courtes et concrètes, les praticiens qui se mesurent vraiment à ces enfants savent que des résultats ne peuvent être vus qu'au prix d'énormément de patience, qu'au bout d'énormément de temps, et que le concret et le spécifique ne sont que des leurres. 

Les praticiens - dont je suis - savent aussi que c'est le processus, la dynamique, qui font naître le contact, la confiance et la relation interpersonnelle, ce sont ces processus qui sont importants, bien plus que le contenu verbal de prétendues interprétations, ou que le résultat de prétendues acquisitions de telle ou telle fonction cognitive.

Les praticiens savent, comme en témoigne ce récit, que ce n'est nullement le cognitif qui est en question, mais beaucoup plus l'affectif, ils savent qu'il n'est pas tant question d'apprendre telle ou telle loi du comportement à un enfant qui ne "peut pas", qui n'a soi-disant pas la capacité de connaître, que de percer le barrage de quelqu'un qui s'est fermé au monde environnant.

Ce récit témoigne d'une évolution qui se fait sur plusieurs dizaines d'années, et au prix d'un énorme budget, et de gens qui consacrent énormément de leur temps et de leur disponibilité à un processus qui est lent mais aussi souvent éprouvant et épuisant.

Ce récit témoigne d'un autisme dont personne ne peut peut-être savoir s'il a été psychogène ou entraîné par x ou y phénomène, mais il témoigne d'un autisme dont l'évolution a été le fruit d'efforts principalement psychologiques, psychothérapeutiques, enracinés dans l'approche psychanalytique, efforts axés essentiellement non sur l'apprentissage et le conditionnement, mais sur le moyen de percer la coquille, en accord avec celui qui s'est trouvé entouré de cette coquille.

Ivan, l'enfant au centre de ce récit, a la chance d'avoir eu un environnement qui n'a pas baissé les bras, qui a su avoir le souffle nécessaire.

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