mercredi 3 septembre 2014

Lévinas ou la synecdoque ?


J'étais parti pour écrire. J'avais même déjà commencé. Mais quelque chose n'allait pas ; sans que je trouve quoi.

Jusqu'à ce que je voie ce film, dont le titre est pourtant si paradoxal. 

Un film du non être. Avec un titre aux frontières de l'iconoclasme et de la mécréance. "le dieu absent". 

"Le dieu absent. Emmanuel Lévinas et l'humanisme de l'Autre" est avant tout un film de présence. Injustement désigné comme documentaire, il est au contraire une création. 

Alain Finkelkraut dit dans ce film qu'il y a deux sortes de livres, ceux que l'on a lus, et que la plupart du temps on a oubliés, et ceux que l'on lit. Que l'on retourne lire tout le temps. Et ce n'est pas la moindre des identifications que ce film a éveillé en moi.

Je n'ai pas lu Lévinas mais le lis, sinon tout le temps, au moins souvent, et surtout il est présent pour moi malgré les trente trois ans qui se sont écoulés depuis la dernière fois où il m'a été donné d'être assis à l'écouter.  

Et peut-être est-ce ici le premier commentaire sur le titre de ce film. Un film qui s'auto proclame comme décrivant l'absence et qui communique avant tout présence.

Ce n'est pas que le film soit parfait. Mais j'en dirai peut-être plus après second visionnement. Je ne vois en général pas les films plusieurs fois et je reverrai celui-là. Probablement plusieurs fois.

Pour son contenu, qui m'a déjà apporté beaucoup au premier service, mais aussi, et peut-être plus, pour l'effet qu'il eut sur moi.

Lévinas y apparait comme vivant, comme ce qu'il apporte à l'esprit, comme ce que son regard et sa pensée ajoutent.

J'étais donc en route pour décrier, pour continuer à me révolter contre ceux qui ne voient pas, ceux qui sont victimes de manipulations ou au moins d'aveuglement, que celui-ci soit voulu ou qu'il se produise spontanément, je prolongeais le fil de ma vindicte au delà des gens, et recherchai le mécanisme.

J'en étais arrivé à m'interroger sur ce que l'on nomme synecdoque, sous le régime de laquelle s’interchangent partie et tout, qui est figure de style en littérature, et mécanisme psychologique tout à la fois. 

Et ce film m'a permis de comprendre la futilité qu'il y a à décrier ce vers quoi s'égare l'intellect, l'individu ou le monde. Ce film m'a comme redressé le fil de la pensée, m'a permis de produire au lieu de ressasser, d'aller de l'avant au lieu de souffrir de ce qui ne permet pas de progresser. Ce film m'a nourri comme me nourrit la lecture de Lévinas et m'a surtout permis d'effectuer le saut de l'au-delà, la démarche de l'esprit qui permet de dépasser, de se dépasser, démarche tellement recherchée et prônée par Lévinas.

Parmi les intervenants (et ils sont nombreux, et aucun n'est superflu de Hagui Knaan à Eli Sheinfeld, en passant par ceux mentionnéés ici et plus bas et d'autres encore), Daniel Epstein a les mots qui permettent de donner encore plus de volume à la philosophie de Lévinas, dévouée à l'humanisme de l'autre homme : l'autre ne sera jamais "à notre pointure".

Ce n'est pas que nous devions décrier, dénoncer, déraciner cet autre, parce qu'il nous juge mal, parce qu'il nous déteste, parce qu'il nous critique, nous boycotte ou nous combat. Ceci est vain. 

Nous apprenons de la pensée de Lévinas que l'autre restera toujours autre. Il est là et il nous est difficile. Il ne peut devenir pour nous, il ne devient pour nous, que lorsque nous réussissons à le regarder, à recevoir son visage, que lorsque nous assumons la responsabilité qui nous incombe de son visage.

Ce film sur l'absence de Dieu est un film qui peut aider le spectateur à découvrir qu'il n'est pas seul comme il souffre de l'être.

Lévinas est le philosophe qui conceptualise ce que Winnicott a apporté à la psychanalyse. 

Le champ de la reflexion n'est pas qui est l'autre, mais qui il est pour moi. Le champ de la reflexion est l'interpersonnel, ce qui se joue entre lui et moi.

Il n'est pas tant fondamental de savoir s'il ment ou s'il dit la vérité que de me demander ce que je peux faire pour obtenir que notre relation ne soit pas une relation de mensonge.

Et pour Lévinas, il n'est pas tant question de ce que je peux faire, que du fait qu'il m'incombe, à moi, de faire. C'est ma responsabilité.

La projection du film à la cinémathèque hier soir, a ėté prolongée par la montée sur la scène du réalisateur du film, Yoram Ron, de deux intervenants dans le film, professeur Ephraïm Méïr et Tsvia Grinfeld, et de questions et remarques de l'auditoire.

Une séance qui s'est concluue sur le constat de l'étonnamment insuffisante popularitė de Lévinas, et de son corollaire :

Pourquoi n'est-il pas devenu Le Philosophe avec les plus grandes majuscules ? 


La réponse se tient dans le degré d'exigence qui émane de la philosophie de Lévinas. Qui a la force de se sentir ainsi responsable de son prochain ? De l'autre ? De toute personne qui est face à moi ?

Certainement peu de gens.

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