lundi 3 novembre 2014

La onzième épreuve d'Avraham, toujours actuelle

La Bible, anti-"média/facebook/instituts de sondage" par excellence.

Finalement, on pourrait être tentés de lire le livre de la Genèse avec des yeux post modernes. Pire encore, sommes-nous encore capables de ne pas la lire avec nos yeux post modernisés ?

Et de se risquer à se demander si Avraham n'aurait pas pu gagner à être plus médiatisė déjà à son époque, lui qui cherchait tant à faire passer son message, lui qui cherchait le dialogue avec l'humanitė entière. 

Il lui aurait fallu facebook ! Ou un institut de sondages ou mieux encore d'analyse de données. Il lui aurait fallu la radio, la télévision, TED, ou mieux encore la tribune des nations unies !

La Bible qui reste un chef d'oeuvre inégalé, semble ainsi, sans nécéssairement conduire personne au fondamentalisme ni même au judaïsme rabbinique, non uniquement nous décrire historiquement en Avraham, un personnage du passé, mais bien plus un personnage paradigmatique, peut-être même en suggérant qu'il y en a/qu'il en faut de cette trempe à chaque génération.

Je me suis ainsi amusé la semaine dernière à trouver dix épreuves de Moshé rabénou, en parallèle des dix épreuves d'Avraham tel que le décrivent les pirké derabbi Eliezer ou les pirké Avot. Et je les ai trouvées.

Et on pourrait aussi retracer l'histoire de Shmouel, ou celle de Ezra, ou encore celle de Rabbi Akiva, ou du Rambam peut-être, à travers un prisme de dix épreuves-dix ėtapes.

Et de nous demander si nous n'avons pas aussi à notre époque le personnage emblématique du judaïsme de notre génération ? 

Mais où le chercher dans le post modernisme ? Parmi les généraux ? Les politiques ? Les philosophes ? Les journalistes ? Les psychanalystes ? Les scientifiques ?

Emmanuel Lévinas se plaisait à voir dans l'oeuvre de Kafka la Bible des laïcs. Ainsi, à l'instar de la Genèse, "la métamorphose", "le procès", "le chateau" débutent "de but en blanc". "Un beau matin", "Au commencement"...

Et les livres de Kafka ne s'achèvent (loin s'en faut) sur aucun happy end holly/boliwoodien ni sur la fin de la vie du personnage, pas plus que l'histoire d'Avraham ne prend fin avec le passage à la génération suivante.

Eliane Amado Lévy Valensi avait écrit en 1981 le très performant "la onzième épreuve d'Avraham", qui n'a pas reçu le retentissement qu'il méritait à mon sens : en psychanalyste, en midrachiste, elle va au delà du pchat, ne se contente pas de la version platonique des dix épreuves, qui sont un chiffre aussi rond et aussi idéal que celui des dix commandements, et prend de la hauteur.

Elle voit que le travail d'Avraham demeure inachevé. Demeure peut-être à tout jamais inachevé.

Elle appelle "onzième épreuve" l'aboutissement de la cinquième, celle de la relation à autrui, au deuxième sexe, à l'autre, au différent de nous.

Cette épreuve est en effet loin d'être accomplie, d'être surpassée. 

Et le judaïsme d'aujourd'hui, surtout quand il est confondu - à juste titre - avec le sionisme, a bien du travail avec ces autres :

Qu'ils habitent Gaza ou Ramallah,
Qu'ils soient de l'ONU, de l'UNICEF ou de l'UNRWA,
Qu'ils soient suédois, européens ou américains,
Qu'ils aient de la mémoire ou qu'ils soient néga-sionistes,
Qu'ils ne se reconnaissent que comme observateurs objectifs ou qu'ils aient de francs sentiments.

Atteindre ces interlocuteurs est une tâche que les moyens du modernisme sont impuissants à servir - quand ils ne la désservent pas activement.

Il faudrait pouvoir tout à la fois les atteindre et les trouver prêts à réfléchir et à étudier, et non à détracter, dénoncer, s'indigner, ou pire encore, compter les points.

Le monde moderne saurait-il encore écrire - ou même uniquement relire - un message universaliste qui puisse être lu, reçu, accepté et non stalinisé, falsifié ou brûlé, ou pire encore peut-être, médiatisé ?

J'en doute, ou pire encore, j'en pleure.

Ce qui par contre existe, c'est l'esprit avrahamique. Je l'ai rencontré : c'est lui qui m'a permis de finalement accoucher d'un texte alors que je me bats depuis un mois contre les tendances assassines qui se réveillent en moi au quotidien, à entendre un Abou Mazen par ci, un Caron par là, à constater l'hostilité dont Israël fait les frais tellement injustement, au regard de tout ce qui ici est tellement positif, en comparaison avec ce qui se passe dans une multitude d'endroits dans l'indiffėrence médiatique quand nous demeurons indéfiniment sous la loupe de la vindicte ...

Ce ne seront ni médias, ni instituts de sondage, ni analyses, ni tribunes qui feront avancer notre conflit local, et pour lui-même, et en tant que miroir de l'humanité. Il faut accomplir et surmonter la onzième épreuve.

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