lundi 2 juillet 2018

Servandoni encore. Pour Daniel.





Servandoni des adultes, que je côtoyai depuis l’enfance et l’adolescence, et auquel je m’intégrai.

Ce local de l’union libérale israélite était bien rentabilisé : le talmud torah pour les enfants le jeudi (puis le mercredi) matin, une activité communautaire hebdomadaire les samedis après midi, et l’institut à proprement parler, tous les jours de la semaine.

Le mercredi après-midi, une fois les rires et cris des enfants du talmud Torah dissipés, l’immeuble retrouvait sa dignité du quartier latin. L’immeuble historique jadis habité par Olympe de Gouges réajustait sa cravate, les escaliers étaient de nouveau parcourus de pas feutrés par de dignes adultes, habitants bourgeois du cinquième arrondissement ou par les sérieux étudiants de l’IIEH, institut international (sic !) d’études hébraïques, fondé par la communauté libérale de France et voué à la formation des rabbins libéraux de l’avenir, et toute la paisible et étroite rue joignant l’église Saint Sulpice au jardin du Luxembourg, dans laquelle Victor Hugo choisit de loger Marius Pontmercy (Les misérables) retrouvait sa quiétude.

Les étudiants adultes étudiaient et suivaient leurs cours dans les salles de classe du premier étage, et s’asseyaient en silence pour faire leurs travaux, mener leurs recherches, dans la majestueuse bibliothèque du rez de chaussée.



Et le samedi après midi était comme un mix de ces deux ambiances.

Les adultes arrivaient en fin d’après midi, les enfants en âge moyen qui n’étaient pas à l’école (à cette époque, on était à l’école samedi après midi compris si ma mémoire ne me joue pas de tour) et les adolescents étaient, qui pris en charge, qui arrivant au compte goutte, tandis que les adultes assis autour de la grande table écoutaient un cours, s’adonnaient à une séance d’étude.

Vers la fin de l’après-midi, tous descendaient à l’oratoire en sous-sol, auquel on accédait par un escalier en semi-colimaçon, où se déroulait l’office, suivi de la havdala qui marquait la fin de la réunion pour les adultes et les enfants, tandis qu’elle était un peu le point de départ de l’activité adolescente qui consistait le plus souvent en une sortie au quartier latin, ou à une soirée récréative (soirée conférence-débat, ou plus festif) sur place.

Le groupe se réunit environ durant une dizaine d’années, entre la fin des années soixante et la fin des année soixante-dix, fut pour bon nombre d’entre eux leur voie d’accès au judaïsme, et devint assez soudé, assez pour que chacun des participants se sente encore concerné par les souvenirs que je raconte alors que se sont écoulées près de cinquante ans.

Mon cousin Daniel, auprès du nom duquel je dois avec effroi, et depuis une petite semaine déjà, ajouter la mention « zal » (de mémoire bénie selon la traduction consacrée), a été un peu un pilier de cet édifice, et est central dans le souvenir que j’ai des années « servandoni », de mes années d’adolescence.

Daniel avait six ans de plus que moi, et je suivis pour ainsi dire ses traces dans ce lieu, tandis que lui semblait aller dans la direction montrée par mes parents. J’ai enseigné au talmud torah à sa suite, j’ai étudié dans cet institut et sous sa direction matière à présenter l’hébreu en seconde langue au bac, avec une solide formation de grammaire ( transmise par Daniel sur base du livre Ben Meïr dont les anciens du lieu évoquaient le souvenir avec respect et admiration. « Il traversait tout Jérusalem pour venir converser en araméen avec le boucher d’Emek Refaïm ! ») , mais non moins les premiers rudiments d’étude des textes traditionnels (tanakh, midrach, talmud, Psaumes en particulier), après lui, sous sa direction et à ses côtés j’ai officié et lu la Torah pour ces offices du samedi soir - et des fêtes de tichri, et je continue encore chaque samedi soir à chanter la havdala comme j’ai là-bas appris à la chanter, tandis qu'il faisait de même.

Se tinrent ainsi quelques années sous la responsabilité de Daniel des offices de tichri, et en particulier la terrible année 1973 où nous vécûmes ensemble le déclenchement traumatisant de la guerre de kippour. Nous ne savions pas encore que Nah’chon, notre cousin, connu de nous seulement trois ns plus tôt lors de notre passage à Sarid, tankiste sur le golan, tombait ce même jour.

Daniel assumait la quasiment entière responsabilité de tous ces offices, et je le soutenais pour la lecture de la Torah. Nous nous sommes rendus ensemble chez Kaçman pour la préparation, j’ai appris ces lectures sous leur direction. Daniel menait l’office et chantait les morceaux de bravoure de ces fêtes, kol nidré, ounetané tokef, sur les airs de notre enfance à Copernic, avec la nostalgie de Kaçman en arrière plan.

Le samedi après-midi, il mena plusieurs années à la suite la séance d’étude pour les adultes, et, comme je le ressentis plus tard, je suppose qu’il put se sentir alors une certaine aura, susceptible de procurer une certaine exaltation, alors qu’encore tout jeune, il recevait l’aval d’un auditoire fidèle et attentif d’adultes respectables et instruits.

Dans la semaine, il étudia sur place sa maîtrise d'hébreu (tandis qu'il étudiait en parallèle à la rue d'Assas une licence de droit, effectuant en solex les trajets de l'un à l'autre), et il enseignait aussi à l’institut. L’hébreu, notamment. J’étais de ses élèves. Lyliane aussi.

Comme je l’ai déjà écrit dans les précédents chapitres des récits de ces années, sur ce même blog, Servandoni nous fut comme une maison. Celle où l’on n’habite pas mais dans laquelle on se sent comme chez soi. Parce qu’on y est habitué, on connait le poids de la lourde porte d’entrée, la configuration du porche, on a en tête sans calculer le nombre de pas qui séparent l’entrée du début de l’escalier, la couleur des murs, l’odeur. Et parce qu’on s’y est développé. On y a été petits, et on continue d’y être, d’y venir et d’en repartir.

Je me souviens d’y arriver tant à pied qu’en mobylette ou en voiture les derniers temps, ou encore à pied, en longeant le jardin du Luxembourg et le Sénat, avec une familiarité comparable à celle que je ressentais à l’arrivée à la maison.

Servandoni n’était ainsi pas une option. La question : « irai-je à Servandoni ? » n’exista pas durant bon nombre d’années.

C’était là-bas que nous allions, le samedi après midi, pour les grandes fêtes, le mercredi matin pour enseigner, et au moins un soir par semaine pour telle ou telle séance d’étude, différente au fil des années.

Et le personnage de Daniel était inséparable de la situation. Je ne sais combien il y étudia et y enseigna mais lui aussi y évoluait comme dans sa propre maison.

Il me semble que son activité prit fin peu après son mariage, autour de la naissance de Laure, donc en juin 1975.

Même si la communauté poursuivit encore ses activités plusieurs années, sous la direction de Benjamin Douvshani, le groupe que j’ai connu me parait s’être dispersé aux alentours de cette même année, du fait que ma génération devenait aussi adulte et que chacun débutait une nouvelle vie.

Alors que rien de cela n’était ni concerté, ni même en un aboutissement logique quelconque, le noyau de cette communauté est en Israël, principalement à Jérusalem, depuis de longues années, et toutes les raisons qui provoquent des rencontres donnent en général lieu à retrouvailles émues, au cours desquelles le nom de Daniel est toujours évoqué.

Deux des enfants de Daniel (et Lyliane) ont suivi ou ont fait partie de ce mouvement d'alyah, Daniel et Lyliane sont restés en France, ne se sont achetés un appartement à Jérusalem que peu de temps avant la disparition prématurée et inattendue de Daniel, en cette fin de juin 2018, presque un an jour pour jour après la disparition de son frère Michel, eux deux finissant leur vie à un âge bien jeune comme cela avait été le cas de leur père Simon.
Que leurs souvenirs soient sources de bénédictions.

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