mercredi 20 novembre 2019

Syrus c’est si s’lave. Le kavashti, exemple d’éxegèse acrobatique de la meguila d’Esther.



Le thème est connu. Tout individu même débutant en matières juives a pu déja entendre que la « meguila d’Esther » est un livre codé.

Tous savent que le nom de D. n’y  figure pas, ou plutôt n’y figure pas « en clair ». D’ailleurs, meguila, qui signifie rouleau ne pourrait-il pas aussi être compris « dévoilement » (en rattachement à la racine g.l.h. qui signifie « dévoiler »plutôt qu’à la racine g.l.l. qui signifie « rouler »)? Et Esther ne serait pas seulement un nom propre, mais renverrait à la racine s.t.r. qui signifie « cacher, dissimuler », le rouleau d’Esther devenant ainsi : « dévoilement de ce qui est caché ».

Et ce jeu de mot est une des règles du jeu auquel nous sommes conviés.

Il y a d’autres règles de la fête de Pourim. Par exemple celle du « nahafokh hou » : tout ce qui concerne Pourim serait régi par la règle de comprendre que ce que l’on nous dit est le contraire de ce que l’on nous dit vraiment, par exemple que le mot « hamelekh » employé seul ne désigne pas le roi Assuérus mais le Roi des rois, et la liste est encore longue.

La reine Vashti a un rôle apparemment secondaire dans cette pièce de théâtre : en parallèle du festin organisé par le roi Assuérus au début de la meguila, elle fait son propre festin, et dès l’acte 2 n’apparaît plus.

D’après la lecture immédiate, elle disparait de la scène suite à son refus de comparaître devant tous les invités, et c’est de cette disparition apparemment fortuite qu’Esther accède au statut de reine.

Le midrach se met littéralement en quatre, en sollicitant les mots à la limite du raisonnable, pour que nous distinguions ce qui est ici autre, ou dissimulé.

C’est une sollicitation linguistique qui ne va pas sans rappeler le classique : « pourquoi Syrus est-il ton frère? » (pour ceux à qui la mémoire ferait défaut voici le texte, la réponse à la question : «  parce que Syrus, c’est six slaves. Et si y s’lave, c’est qu’y s’nettoie, et si c’n’est toi c’est donc ton frère ») et il ne manque pas de sel que ce calembour-tour de force soit à base d’un comparse (Syrus, à qui nous devons le fameux « édit de Syrus ») de notre Assuérus.

Et ici, dans la meguilat Esther, le midrach sollicite le verset « gam Vashti hamalka assta mishté » en soulignant la redondance phonique de ce morceau de phrase, mais comme en introduction, comme pour nous dire  : « elle ne s’appelle Vashti que parce qu’elle fait ce mishté (qui est la totalité de son rôle dans notre pièce), elle ne s’appelle Vashti qu’en résonance au mot Tashtit, parce qu’elle est non secondaire mais fondamentale plus encore que centrale (et pour développement de ce thème, voir mon précédent texte).

Comme pour nous inviter à voir qu’elle n’est pas secondaire par rapport au roi, mais que c’est l’inverse.

Et de nous signaler que c’est elle qui est de sang royal, tandis que lui n’est que partie rapprochée. Et d’où sait-on son ascendance ? D’une acrobatie exégétique intéressante, et qui n’a rien à envier à notre « Syrus-c’est donc ton frère » :
Il est écrit dans Ishaïahou 55, 13 : « 
תחת הסרפד יעלה הדס» (le myrthe s'élèvera à la place de l'ortie) , ce qui désigne Vashti ( Esther étant nommément le myrthe) nous dit le midrach. Et d’où savons-nous qu’elle est appelée Sirpad ?(qui signifie ortie) , parce que sirpad est la contraction de « שרף רפידות » et d’où savons-nous que cela la désigne comme petite fille de Nabuchodonosor ? Du fait qu’il est écrit dans le Cantique des cantiques 3, 10 : « רפידתו זהב » et nous savons que Nabuchodonosor a brûlé les garnitures du temple....

Par ailleurs, le midrach s’évertue à nous prouver que Vashti devait comparaître nue au festin. D’où le sait-il? Du fait qu’il est marquée qu’elle doit venir « ornée de sa couronne ». Si on précise qu’elle porte sa couronne, ce qui va de soi du fait qu’elle est reine, c’est qu’il faut lire « ornée de sa seule couronne », ce qui veut dire, nue à part la couronne.

Mais il ne faudrait pas croire que le midrach cherche à tout prix à nous faire « voir » la nudité de Vashti. Le midrach ne pense apparemment ici non à de la nudité comme signe de débauche, mais à de la nudité comme signe d’humiliation.
Et nous le déduisons encore une fois d’une sorte d’élucubration calembourguesque : Vashti aurait dû être nue, du fait qu’il est marqué en Esther 1, 12 : «
וחמתו בערה בו » (sa colère brûla en lui....et il ne faut pas lire « brûla » mais rapporter le mot « baara » non à la racine b.a.r. (Brûler), ni à la racine a.r.r. comme dans ce verset des psaumes ( 73,20) בעיר צלמם יבזה où contrairement à ce que le lecteur pourrait comprendre il ne faut pas lire que le créateur, « à son éveil, humilie les idôles », mais à la racine a.r.h. et comprendre que le mot « baïr » renvoie à « eriah » qui veut dire « nue ».

Et il est possible que toute ces acrobaties sont là pour mettre en lumière ce que devrait comprendre le lecteur aux prises avec la meguilat Esther, c’est qu’elle ne nous conte pas une intrigue de cour provinciale, de laquelle surgit Esther nommée reine à la manière du personnage qui surgit du mileu du gâteau à la crème, mais qu’elle décrit un des details du rêve de Nabuchodonosor explicité par Daniel : le détail de l’anéantissement de l’empire babylonien, du fait de ses méfaits à l’égard du Créateur et à l’ordre du monde, et au profit d’Israël.

On est invité à comprendre que Vashti est condamnée « le septième jour » (et le midrach nous précise de ne pas croire qu’il est ici question du septième jour du festin, mais bien du septième jour, c.a.d. le shabbat) en tant que petite fille de Nabuchodonosor (et donc dernière survivante de la lignée royale), et dans sa nudité, du fait des mauvais traitements qu’elle a faits subir à l’humanité à travers ses servantes filles d’Israël à qui elle a imposé de travailler nues le shabbat.

Et ces acrobaties devraient pouvoir nous conduire à deux conclusions. La première étant que les rabanims du midrach ont une idée derrière la tête et qu’ils ne reculent devant aucun moyen pour la faire apparaître, la deuxième étant que le thème de Pourim traitant principalement de la dissimulation des desseins divins eschatologiques sous de paisibles décors, le travail (parfois ardu...tant les voies du Seigneur sont impénétrables) de l’éxégète est de faire apparaître cette face cachée au lecteur.


Si on y réfléchit, ce n'est pas une technique fondamentalement différente de la psychanalyse façon Lacan, ou d'une approche Derridéenne et déconstructionniste du texte. D'aucuns voient dans ces méthodes des élucubrations de l'esprit - et logent toute la psychanalyse à la même enseigne - , tandis que d'autres ont le sentiment que ce n'est que par ce moyen que l'on descend dans les profondeurs du texte. 

Lévinas qui n'était ni psychanalyste ni lacanien, mais bien Chouchanien, réfléchissait de cette manière sur les éxégèses même les plus acrobatiques, se refusant formellement à les voir comme des exagérations. Il allait même plus loin, exprimant qu'une fois qu'on a ainsi "sollicité" le texte, on n'a pas atteint la vérité vraie, on a juste approfondi, on s'est donné des clefs d'approfondissement supplémentaire.

Et nous avec nos petits moyens, ne faisons pas autre chose.., 


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