dimanche 5 avril 2020

Le seder de Bné Brak, alors et en 2020.





En ce mois d’avril 2020, la question n’est pas : « tiens ! Si on se penchait sur l’histoire des hakhamim de bne Brak qui nous est contée dans la haggadah? », mais « comment ne pas parler de ce passage de la haggadah? ».

Je vais présenter deux lectures rabbiniques, et en oser une troisième, personnelle, presque étonné de ne pas l’avoir lue sous d’autres plumes, entendue d’autres organes vocaux..

Le rav Jonathan Zachs, grand de notre génération, analyse dans sa haggadah très historiquement ce passage, au point de parvenir à le dater exactement. Il réfute l’hypothèse assez répandue selon laquelle ces rabbanim étaient comme ayant pris le maquis du fait de la révolte de Bar Kochba, et met en parallèle les quelques lignes de notre haggada, avec un autre extrait talmudique, d’un autre séder qui se déroulait semble-t-il la même année mais dans une autre ville d’Israël, pour insister sur qui est mentionné dans notre haggada et non moins qui n’est pas mentionné : il arrive à la conclusion que notre passage mentionne une fraction des rabbanim, l’autre passage une autre fraction, et déduit de l’histoire que le point central de ce passage est la discorde qu’il y eut entre Rabban Gamliel (qui n’est pas au séder de Bné Brak) et en particulier son second - quand rabban Gamliel était président du sanhédrin - Rabbi Yehoshua (qui est, lui, à Bné Brak), discorde suite à laquelle Rabbi Eleazar Ben Azaria fut - provisoirement- nommé à la place de Rabban Gamliel.
L’ajout exégétique du rav Zachs est que les textes attestent du retour opéré par Rabban Gamliel après notre épisode, retour qui l’amena à s’excuser publiquement pour la raison qui avait provoqué son éviction (attitude sur-stricte) et à retrouver son poste (occupé donc en fait très provisoirement au moment de notre texte).
Rav Yonathan Zachs met l’accent sur la discorde et la conciliation, exprimant comment ce sont des valeurs fondamentales, en général, et dans le monde juif en particulier.

La lecture avec laquelle j’ai grandi est celle de Manitou, qui met l’accent sur l’autre extrémité de ce passage. Manitou, ne tient aucun compte de la composition de l’assemblée, et donc des avis des protagonistes de la situation, il enseigne à travers ce passage sa fondamentale notion de diagnostic de l’époque. Pour Manitou, le rôle du rabbin, en particulier depuis que la prophétie a quitté le monde, est de savoir diagnostiquer son époque, de savoir analyser les évènements du présent dans une perspective historique, et si possible, dans une perspective eschatologique. Et donc, il est question pour Manitou non de la nuit du séder, mais de la nuit comme symbole de l’exil, et de Rabbi Eléazar ben Azaria comme de l’individu qui sait analyser son époque, bien qu’il n’ait que 18 ans, et qui transmet son enseignement de façon semi codée à travers cette analogue : on ne doit pas seulement enseigner la sortie d’Egypte quand le peuple est en situation d’étre libéré (jour), mais aussi quand il est en période trouble, obligé de se cacher (nuit, et peut-être résistance face à la puissance occupante comme au moment de Bar Kochba).

Je voudrais ajouter notre actualité à ces deux interprétations aux deux pôles de ce que raconte ce texte.

Nous voici à la veille d’un Pessah’ bien particulier, d’une période de passage de Pourim à Pessah’ bien particulière, et si nous ne l’avions pas remarqué, alors l’actualité vient de nous mettre les points sur les « i » précisément autour de Bné Brak.

Il parait presque aveuglant combien la propagation du corona en Israël est étroitement liée au monde ultraorthodoxe. C’est à Bné Brak, mais aussi dans la plupart des localités à forte proportion ultraorthodoxe - dont Jérusalem, Bet Shemesh, Elhad en particulier, que le corona s’est le plus répandu, au point que malgré la discrétion de la plupart des organes de presse tout le monde sait que les principaux touchés, hospitalisés, et disparus sont des ultraorthodoxes.

On sait qu’en France aussi la fête de Pourim, mais aussi une nonchalance marquée à l’égard de l’épidémie, ont provoqué que le corona a gravement atteint la communauté juive, à Strasbourg et à Paris en particulier.

Les juifs pratiquants vivent souvent en importante proximité, prières triquotidiennes à la synagogue et fêtes largement communautaires (mariages, bar mitzvot, mais aussi fêtes autour de Pourim) et ce n’est pas cette particularité qui est ici « en cause ». Il est probable qu’il sera impératif de repenser ces manifestations en tout cas dans l’immédiat après corona, mais c’est d’un autre pan que je veux parler.

Le passage de la haggada mentionne cinq sages à qui les élèves viennent signaler que le jour est venu, s’est levé. Dans l’interprétation de Manitou, ils viennent peut-être annoncer que ce n’est peut-être plus la nuit au sens symbolique, mais en tout cas il s’agit comme d’une situation paradoxale à celle de la prescription de Pessah’ : une des prescriptions majeures de Pessah’, outre la consommation de matzah, l’élimination du hametz, est : « tu enseigneras à ton fils »...et notre texte vient comme nous montrer une situation dans laquelle ce sont les élèves qui viennent comme « réveiller » les maîtres.

Ce sont les élèves qui sont en contact avec la réalité extérieure et sont dans l’obligation de venir mettre les maîtres au diapason de la situation.

Cet été, après mon voyage en Pologne qui m’avait fait faire bon nombre de découvertes quant à la réalité dans laquelle vivait ma famille au début du vingtième siècle, j’ai aussi découvert un pan bien particulier du contexte de la vie de Pulawy aux tous débuts de ce vingtième siècle, le pan de la communauté hassidique, à laquelle ma famille appartenait, hassidout « Pilew », dirigée par le petit fls du rabbi de Kotzk, reb Israël Haïm Morgenstern, puis par son fils Moché Mordokhaï Morgenstern.

Ces trois rabbanim ont en commun de s’être isolés sur la fin de leur vie, le troisième allant même jusqu’à « fermer » sa cour en quittant Pulawy pour Varsovie en 1916. On objectera que chacun des trois avait ses raisons, que le kotzker s’est isolé pour ses raisons, et ainsi de suite, mais le dénominateur commun existe néanmoins.

Je tente l’hypothèse que ce dénominateur commun est lié à un examen de conscience. C’est une hypothèse gratuite puisque je n’ai trouvé aucun écrit, d’aucun des trois, qui atteste de la véracité de mon hypothèse, mais je la maintiens quand même : un admor hassidique n’écrit pas sur ses états d’âme, et ceci d’autant moins quand ce qu’il prône est l’effacement de l’individu, ce qui fait en particulier que ni le grand-père ni le petit-fils ni l’arrière petit-fils n’ont écrit sur leur propre vécu, mais les convictions de l’un comme de l’autre, comme du troisième se sont heurtées à la réalité comme à des murs et je me demande si en pareille situation l’individu ne se retrouve pas acculé à se poser des questions.

Je crains que cette auto censure est très/trop peu fréquente chez les personnages charismatiques ou en charge et je suis presque fier d’en trouver des signes dans ce courant hassidique, presque fier d’appartenir à une cour hassidique qui se serait éteinte parce que ses dirigeants ont compris qu’ils s’étaient fourvoyés.

Je me demande si le monde aurait avancé d’une autocritique publique à la façon soviétique.

Je suis loin de ressentir de la sympathie pour le fonctionnement du parti communiste de l’urss zal, mais je crains de ne pencher en faveur de l’auto critique, je crains de la souhaiter, d’attendre de l’entendre, de la part des autorités rabbiniques du Bné Brak d’aujourd’hui pour parler clairement .

Je ne suis pas éloigné de penser que nos attitudes mentales ont de l’impact au delà de ce que nous savons concevoir. Penser que si les rabbanim du monde ultraorthodoxe font amende honorable et demandent pardon pour la part qu’ils ont eu dans la propagation du corona, cela va ralentir le corona, c’est de la pensée magique et je n’y cède pas. Par contre, penser qu’une telle attitude puisse avoir un impact positif, oui, je le pense, et je le souhaite.

Nous sommes donc à la veille d’un Pessah’ où il ne faut pas seulement attendre l’enseignement des anciens, ils ont peut-être autant, si ce n’est plus, à entendre des jeunes. Il ne faut pas seulement nommer quelqu’un de 18 ans à la tête du sanhédrin à la place d’un rav de 93 ans, il faut aussi que ces rabbanims s’ouvrent à la réalité, la regardent, et même si c’est possible, avec humilité et auto-critique.

Et surtout, la sortie d'Egypte n'est-elle pas un paradigme de changement ? tournez la page !



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire