mardi 1 juin 2021

opinion, savoir, vérité...

 Le Midrach ruth rabba nous présente en paracha ג ו un débat intéressant : Naomie et Ruth arrivent à Beth Lekhem, Naomie de retour après son départ vers le territoire de Moab, Ruth, la moabite faisant comme son entrée en terre d’Israël et au sein du peuple juif. Le texte de la meguila nous raconte comment la population était ce jour là “en émoi”, en foule dans la rue et le midrach se demande pourquoi et propose trois réponses :


ו [יט] ותלכנה שתיהן א"ר שמואל בר' סימון אותו היום קציר העומר היה דתנינן תמן כל העיירות הסמוכות לשם היו מתכנסות כדי שיהא נקצר בעסק גדול ויש אומרים אבצן היה משיא את בנותיו אותו היום ר' תנחומא בשם ר' עזריה ור' מנחמא בשם ר' יהושע בר אבין כתיב (תהלים פ"ט) ה' צבאות מי כמוך חסין יה שמוציא דברים בעונתן אשתו של בעז מתה באותו היום ונתכנסו כל ישראל לגמילות חסדים וזיל כל עמא לגמילות חסדא נכנסה רות עם נעמי והיתה זו יוצאת וזו נכנסה

Pour rabbi Chmouel fils de rabbi Simon, il s’agit d’une cérémonie religieuse, la foule était rassemblée pour procéder à la coupe de l’orge destiné à l’offrande du Omer. Mieux, ils étaient en démonstration de ferveur religieuse, exprimant avec le plus de retentissement possible que le Omer ne se récolte pas “le lendemain du shabbat” selon l’interprétation littérale du texte biblique, comme le lisent les caraïtes, les chrétiens et encore d’autres “égarés”, mais qu'il convient de le faire le lendemain du jour de fête.
Pour d’autres, il s’agissait d’un mariage de la fille du personnage central de la ville, le juge Ivtzan,
Pour Rabbi Tanh’ouma au nom de rabbi Azaria, ainsi que rabbi Menahema au nom de rabbi Yehoshua fils de Abin, il s’agissait d’un enterrement, celui de la femme de Boaz (qui va épouser Ruth), ce qui est la preuve que les évènements terretres sont bien orchestrés : D. a fait mourir celle-ci au bon moment, afin que Boaz soit libre et puisse épouser Ruth, et ainsi donner naissance à la lignée royale de David.
Controverse rabbinique me direz-vous. Les textes en sont remplis.
Mais si nous y regardons de plus près, nous verrons que la controverse est entre trois axes, un porte-parole de la vision que ce qui sort les gens dans la rue sont les évènements religieux, la ferveur religieuse, ou encore la conviction religieuse, d’autres verront dans la même situation un évènement terrestre, social, et la troisième voix croit voir le signe de la providence divine.
Pour les premiers, cet attroupement est un évènement “du bas vers le haut”, pour les seconds “du bas vers le bas”, pour les troisièmes, “du haut vers le bas”.
Si nous regardons trois semaines derrière nous, le 10 mai 2021, à 18h00 précises, le hamas lança plusieurs roquettes en direction de Jérusalem, ce qui fut l’ouverture du dernier épisode militaire en date entre Israël et le hamas.
Beaucoup se sont demandés pourquoi le hamas avait ouvert le feu. Certains ont répondu que la date n'était pas anodine, c’était à la fois pour les israéliens l’anniversaire de la libération de Jérusalem, et pour les musulmans la fin du ramadan. Le hamas a donc ouvert le feu pour se revendiquer gardien de Jerusalem et de ses mosquées.
D’autres ont dit que la seule raison de cette phase de violence était que le chef de l’autorité palestinienne avait encore une fois ajourné les élections qui devaient en principe se tenir tout prochainement parmi la population palestinienne. D’autres ont dit que l’épisode s’est déclenché providentiellement : était sur le point de se mettre en place en Israël le premier gouvernement qui aurait inclus un parti arabe.

Et nous retrouvons nos trois mêmes axes d’analyse et d’interprétation.

On pourrait ajouter que certains émettemt des hypothèses quand se trouvent aussi des experts, dont la thèse est plus solide.
On remarquera à ce sujet que dans le midrach, la première opinion est attribuée à une autorité rabbinique, la deuxième opinion est anonyme, tandis que la troisième semble émaner d’un collectif rabbinique, incluant un individu particulièrement célèbre, lui-même auteur reconnu, comme pour ajouter du poids.

Nous avons tendance à fustiger le post modernisme (ou comme le qualifie sarcastiquement Jacky Lévy “plotz modernisme” ), à cause duquel la vérité s’est trouvée délayée dans les narratifs et dans les subjectivités, nous avons aussi tendance à incriminer l’impact de la presse et des réseaux sociaux. Sans eux, les foules seraient un peu moins transportées, un peu moins manipulées...et voilà que nous trouvons exactement le même éventail dans un texte vieux de près de deux mille ans, datant de bien avant le post modernisme et la création des lobbies de la presse et des réseaux sociaux.

Ce que nous devrions admirer ici, c’est la structure du texte midrachique, qui ne vient pas énoncer une vérité, qui ne vient pas dénoncer une doxa, mais qui vient au contraire présenter les voix en présence, qui vient dire :”je ne sais pas”. Le midrach “ne sait pas”, il donne la parole à des personnages d’importances diverses et leur permet d’exprimer leurs opinions et non la vérité seule et unique.

Dans un texte, meguilat Ruth, dont le thème central est l’avènement de l’ère messianique, et de la place de l’hérédité dans cela, une réflexion pluraliste à une époque si ancienne mérite vraiment d’être soulignée.

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