mardi 4 octobre 2022

en cette veille de Kippour 5783

 

Plusieurs fois, si ce n’est souvent, chaque année ?,  je me suis interrogé – et en particulier à l’approche de Kippour – sur deux épisodes du talmud, l’un directement rattaché à Kippour, l’autre non.

Le premier épisode est celui du traité Yoma (p. 85-86) où on voit Rav aux prises avec un boucher. Le talmud laisse joliment l’ambiguïté de la situation : un a offensé l’autre mais le talmud ne dit pas qui. La veille de Kipour, rav, vraisemblablement tracassé par l’épisode en ce jour critique, décide de faire le geste, de monter à Canossa, d’aller lui chez le boucher…qui n’est nullement prêt au dialogue et l’épisode se termine tragiquement : alors qu’il s’emporte contre l’apparition de Rav, un os se détache de la tête de veau qu’il était en train de marteler, entre dans sa gorge et l’étouffe.

L’autre épisode est celui de l’amitié tumultueuse de Rabbi Yokhanan et Rech Lakish. Elle court sur plusieurs pages au long du talmud (on peut en trouver les détails dans la célébration talmudique de Elie Wiezel). Ils auraient grandi ensemble, avant que Rech Lakish ne change de voie…pour ensuite revenir, qu’ils deviennent beaux-frères, étudient ensemble…jusqu’au moment où survient une dispute définitive entre eux, suite à laquelle l’un puis l’autre meurent. La dispute se produit quand Rabbi Yokhanan à court d’arguments sur un sujet non rattaché envoie une pique à Rech Lakish ….qui se trouve vexé jusqu’au tréfond, en meurt, ce qui plonge Rabbi Yokhanan dans la dépression profonde…de laquelle il finit par mourir lui aussi.

Lévinas qui commente le premier épisode (première des quatre premières leçons talmudiques) souligne comment est mise ici en exergue la dimension morbide des disputes entre amis : cela fait, peut faire, de lourds dégats.

La vexation en général, la vexation entre proches encore plus.

L’ambiguïté de la situation reflète probablement ce que l’on retrouve dans tous les cas : chacun est persuadé que c’est l’autre qui l’a offensé. Ou que si lui a offensé, c’est en retour à un acte précédent.

Et la fin tragique de ces deux histoires vient montrer combien cela donne des situations non seulement inextricables mais dangereuses pour la santé des protagonistes.

L’élément clé que le talmud ne sait pas encore nommer mais qu’un siècle de psychanalyse a permis de conceptualiser est l’élément narcissique.

Les protagonistes sont chacun meurtris au plan narcissique, c'est-à-dire sur un terrain très friable, de façon très difficilement récupérable parce qu’il faut pour cela une finesse, une adresse…qui manque visiblement autant à Rav qu’à rabbi Yokhanan. Les deux déclenchent l’issue fatale, pour le premier ….en ayant tenté de raccommoder les morceaux face à un individu non disposé, non encore mûr, pour le second en ne mesurant pas suffisamment ce qu’a pu coûter à Rech Lakish – au plan narcissique - son parcours tumultueux.

Si j’ai offensé un.e de mes ami.es et qu’il/elle lise ces lignes, qu’il/elle sache que je suis loin d’être indifférent à la situation, que je suis désolé si de son point de vue c’est moi qui a offensé, et que je participerai volontiers à tout effort de réparation.

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