Une photographie de Frédėric Brenner
issue du livre Diaspora représente un grand-père et son petit fils,
manifestement en situation d'étude des textes de la tradition juive. Ils ont
chacun un livre ouvert devant eux, et il semblent comme en dialogue, ou peut-être
devrait-on dire "face à face". ils se font face, mais ne se regardent
pourtant pas. Le grand-père n'est visible que semi de profil, semi de dos, et
l'enfant, que la photo a immobilisé comme en train de chanter/crier la bouche
grand ouverte, a les yeux fermés. Ils sont dans une sorte de face à face
sonore, bien qu'on ne les entende pas. La lumière incidente tombe sur les
livres, les personnages sont plutôt dans l'ombre.
Cette photo est comme une
illustration de ce "face à face" dont Moïse eut l'exclusivité, s'il
ne s'est vraiment produit qu'une fois, entre lui et le Créateur.
Une seule fois avec point
d'interrogation car peut-être cette scène biblique est à être vue non
uniquement comme témoignage, comme reportage d’un évènement passé, mais aussi comme
génératrice de ce sur quoi reposerait le monde de l'interpersonnel, le monde du
transgénérationnel, le monde de la transmission. La véritable relation
interpersonnelle, celle dont la situation parent-enfant est l'archétype, ou
déjà la reproduction, celle que l'on tente en fait de reproduire dans la
situation psychothérapeutique, celle qui vise à faire naître la continuité,
celle qui est la réplique entre les hommes de ce que fut la Révélation, celle
qui, au plan du fonctionnement psychique, est l'origine de la capacité de
penser.
Au cours de cette scène (Ex. 33) qui
préfigure le monde, scène de mise en présence originelle, scène du "face à
face" (panim el panim) par excellence, Moïse demande à voir la face de D.,
comme pour confirmer que le face à face biblique n'est pas visuel, n'est pas la
situation de la vue réciproque en pleine lumière. Moïse se fait ainsi répondre
qu'il ne lui sera pas donné de voir la face de D. mais sa trace, son sillage,
le temps qui se sera écoulé lors du passage devant lui de la Présence
divine.
Le face à face de transmission, le
véritable face à face, n'est ainsi pas celui où on voit toute la face de son
prochain y compris ses rides, ses cicatrices et ce qu'elle dissimule, le panim
el panim est l'antithèse au contraire de cette situation où l'Autre nous
apparaitrait entièrement, comme dénudé. Le panim el panim est la situation où
l'Autre reste digne, reste vêtu, conserve son droit au quant à soi, conserve
son univers privé. Dans ce panim el panim, dans le face à face de transmission,
c'est de dialogue qu'il est question, c'est de parole émise puis entendue,
c'est d'enseignement dit et entendu, de telle façon qu'il permettra ã
l'interlocuteur d'enseigner un jour à son tour, qu'il est question.
Le jeune garçon yéménite de la photo
est bien évidemment l'élève du patriarche assis en face de lui, et c'est
pourtant lui, l'enfant, qui parle, signe que la transmission a déjà eu lieu,
signe que la situation était bien une situation de face à face. Comme Moïse
dont le principal signe qu'il a reçu la parole divine est l'enseignement qu'il
a promulgué et légué à un nombre incalculable - et infini- de générations, et
non les cornes dont Michel Ange l'a affublé.
Générations de juifs en exil,
générations au cours desquelles c'est ce face à face qui a maintenu le
judaïsme, qui a permis que la Torah ne soit pas oubliée mais au contraire
enrichie. Exil dont la pluricité est magistralement
illustrée par le fait que les
personnages de la photo sont yéménites : yéménites qui sont
géographiquement les plus éloignés de l’europe centrale et qui ont pourtant en
commun avec les juifs de là-bas à porter les papillotes, yéménites chez qui la
tradition s’est transmise au sens le plus abouti du mot à mot.
C'est cet exil qui est
magistralement photographié par Frederic Brenner, dans Diaspora, dans lequel il
rassemble des photographies de juifs à travers le monde, de juifs en exils. Un
ouvrage de photos en noir et blanc.
La photo en noir et blanc, celle qui
a étė développée en chambre noire, lieu mythique de naissance des photos
argentiques, au moment magique où le révélateur fait soudain apparaître les
contrastes sur le papier plongé dans le liquide que la lampe inactinique colore
en rouge. Photo en noir et blanc qui est le lieu ultime de la danse de la lumière
et de l'ombre, et qui rend particulièrement bien ce qu'est cet exil. Ce n’est
pas l'exil chanté par Paco Ibañez dans "balada del que nunca fue a
Granada" de Rafael Alberti. Ce n’est pas un exil géographique, non un exil
de pleur, comme on pleur(ait) le 9 av. C’est l'exil comme lieu par excellence,
comme moteur de la transmission de l'individu à celui qui devra continuer le
message de mémoire pour la génération suivante.
C'est le sens de l'expression selon
laquelle l'homme a été créé à non à l'image de D. mais dans le sillage de D. ,
recevant de lui le message et le répétant.
L'exil que les romains perpétraient
sur Jérusalem a déclenché, nous raconte la tradition, chez Rabbi Yokhanan Ben
Zakkaï la dynamique par laquelle il a transformé un judaïsme de pratiques et de
sacrifices en judaïsme d'étude, en école de la pensée.
Le monde moderne a peut-être été
généré par l'exil, et le peuple juif serait paradigmatique de cela. L'Antiquité
était peut-être en cela une autre phase du monde, du fait qu'elle était régie
autrement. La philosophie grecque s'est pourtant élaborée à l'école
péripatéticienne, celle où le dialogue se menait en marchant, où c'était du
mouvement que naissaient le dialogue et l'élaboration mentale. Mais ceci se
passait à la lumière, tandis que le monde post antiquité s'est élaboré dans
l'ombre, dans la chambre noire.
C’est l’éloignement de l’objet qui
génère la pensée à l’égard de cet objet, qui le rend en relation avec nous et
non plus partie de nous-même.
C’est dans le jeu subtil de la
relation, de la distance, du jeu de la lumière et de l’ombre, de l’auditif, et
du temps qui s’écoule que se façonne la transmission, que s’édifient la
personnalité et l’identité. Dans le face à face et la multiplicité de ses
paramètres.
Devant ce mysterieux dialogue entre D.ieu et Moshe, notre comprehension est voilee par notre incapacite intellective,et physique. Une communication entre deux personnes est (parfois) possible, par le fait qu'elles ont les memes moyens -les memes sens ou "houchim" encore faut-il qu'il y est un face a face honnete et desireux de communiquer ou de transmettre un message..Comment comprendre que D.ieu -indefinissable dans sa grandeur d'Etre- "parle" aux hommes ? La se pose le probleme d'acuite de perception..de RECEVOIR, d'etre dans l'aptitude a recevoir.Chaqu'ame venant sur terre, y vient pour remplir sa mission, et recoit a sa naissance une toute petite grace de divinite, comme une sorte d'inoculation de "semence" qui selon le terrain, et ses efforts pour se developper permettront sa croissance.Donc chaque etre humain a cinq sens,mais le potentiel de sensibilite est tres variable, d'autant qu'il doit etre associe a une capacite intellective, et surtout d'un DESIR, d'une volonte de communiquer,Dans le contexte de ce midrach : Moshe veut comprendre, et questionne D.ieu. Il faut tenir compte du fait que ce questionnement vient peu de temps apres le don de la Torah. Moshe l'a recue dans son integralite, rien n'y manquait.Cependant il demande de "voir"...Le sens de la vision, dans le temoignage est plus grand que celui de l'audition, mais la je pense qu'il faut prendre le fait de voir dans le sens de mieux percevoir et comprendre..En effet D.ieu dit :"il est une place pres de moi, tu te tiendras SUR le rocher,Je te cacherai ds la cavite du roc, et Je t'abriteraide Ma main jusqu'a que je sois passe,Alorsje retirerai Ma main, et tu me verras par derriere....Il le fait grimper sur le rocher, pour le grandir, tout en le protegeant dans la cavite du roc, et IL se montre a lui par derriere..autrement dit D.ieu ne peut se devoiler que sous un certain aspect car l'"esprit" de l'homme -meme celui si grand qui a ete Moshe- n'a pas la possibilite d'entrer en union avec "L'Esprit" Divin,avec son Essence. D. ne peut pour etre a notre portee de comprehension, nous en faire voir qu'un certain aspect indirect...
RépondreSupprimerJ'ai du effacer la suite de mon commentaire, car il s'affichait un message en rouge que je n'avais la possibilite d'ecrire que 4096 mots !!, je dirais la suite plus tard..
(la suite )..."le Nom de l'Eternel nous place dans l'Infini du temps, et cette distance nous voile le futur. Tous les noms de D. nous revele une partie de Sa grandeur. de Sa Gloire. Moshe voulait comprendre pourquoi "le juste soufre, et le mechant prospere", et la reponse de D.:"je serai misericordieux pour qui je devrai l'etre" montreque c'est justement le sens de la question de Moshe a savoir,: la maniere dont D. Dirrige le monde -ses desseins et ses moeurs- constitue la substance de cette connaissance profonde recherchee par Moshe (article ecrit par R. Shimon Leiberman).."sa demande nous montre aussi qu'il nous a ete retire une partie de notre faculte d'apprehender la Torah, et que de l'avoir recue telle qu'elle a ete transmise a Moshe sur le Mont Sinai, ne nous garantit pas qu'on puisse la saisir dans toute sa profondeur. "la restauration de la Gloire de D.est definie "comme l'unification du Nom propre dans ses puissances jusqu'a l'infini" (...)Le corps sert donc de mediateur entre l'ame et ce monde-ci, en permettant a cette ame d'agir selon les lois divines inscrites dans la Torah (Charles Mopsik).
RépondreSupprimerL'ame humaine comprend plusieurs facultes qui constituent la nature humaine...etre face a face avec soi-meme, se mettre face a face avecla Torah,c'est pouvoir se remettre en question, et s'auto-juger en laissant a D. le jugement final dans son interaction (purement metaphysique)dans le monde physique ou nous vivons,
Nous ne pouvons qu'essayer d'approcher, pour entrer en relation avec D, avec le droit d'acces par la porte de derriere...et la cle de la re-connaissance de rester en vie pour etudier Sa Torah, en esperant que d'autres portes s'ouvriront grace a la connaissance, et la croissance de notre identite juive.