dimanche 4 janvier 2015

Servandoni - Troisième volet. De l'adolescence à l'âge adulte.



 Quand ont débuté ces activités et rencontres hebdomadaires du samedi après-midi à Servandoni ? Aux bonnes périodes, il y avait en parallèle cours pour les adultes - précédé de la priére de minha ? Je dirais oui, ayant le souvenir d'avoir en cet endroit appris un air de "Avraham yaguel, Ytshak yeranen Yaakov ouvanav yanoukhou vo" - et activités pour les jeunes enfants, puis arvit et la havdalah que je revois – et surtout entends…si ce n’est « m’entends-je »… - encore très clairement, autour de l'escalier dans la bibliothèque. Je suppose que l’intention était dès le départ d’encourager les jeunes et, progressivement, je dirigeai régulièrement l’office, ou la havdalah.

Je dirais que ces activités, qui ont créé autour d'elles une sorte de mini communauté, ont commencé dans les années 68-69, apparemment sous l'impulsion de Suzy Daniel et André Ullmo.

Cette communauté n’en était pas une, en ce sens qu’elle n’avait aucun comité ou infrastructure, et elle n’avait à ma connaissance d’autre définition que d’être constituée de transfuges de la rue Copernic.











Transfuges soit par envie d'un rite plus hébréo phone que celui en vigueur à la maison mère, soit par préférence géographique ou sociale, soit du fait de « l'institut international d’études hébraïques », à vocation de formation de rabbins libéraux, et qui était le véritable et central lieu de cet endroit du 20 rue Servandoni, le talmud Torah n’étant que le sous-produit. Une certaine proportion des participants de ces samedis après-midi, moi y compris, y suivaient tel ou tel cours. J'y ai perfectionné mon hébreu, l'ai préparé pour l’épreuve « deuxième langue » du bac au cours de l’année de Terminale, j’y ai étudié et reçu des bases grammaticales très solides - par le livre de Ben Méïr et la grammaire Weingreen - mais peut-être non moins grâce aux professeurs ? -. J'ai le souvenir de cours de Psaumes avec Daniel Sznajder, de cours d'histoire avec Patrick Girard. Par qui les cours d'hébreu ?  Daniel ? Françoise Rameau ? J'ai aussi suivi au fil des ans, dans le même endroit mais en cours du soir, des cours de talmud, avec David Benaïem je crois, et un certain Afik (ces deux étaient des chelikhim de l’agence juive, en poste à Paris. Comment et par qui avaient-ils été contactés ?), et aussi des cours de midrach donnés par Irène Gozland, par ma mère puis repris un temps par moi après son départ en Israël.

Je constituai ainsi petit à petit là-bas ce qui fut le bagage de base de mon judaïsme, qui me permit de commencer à transmettre et à enseigner. Cet apport fut paradoxal. Il fut ainsi varié et très consistant (je savais ainsi presque par cœur plusieurs chapitres de la Torah, je connaissais l’usage de Rachi, j’avais une formation au midrach, au talmud, je savais lire dans la Torah, diriger un office), mais je gardai, presque jusqu’à ce jour, une sorte de sentiment d’infériorité par rapport à ceux qui s’étaient formés dans les cercles de l’orthodoxie. Ce sentiment tient, à mon avis, aux points sur lesquels s’accrochait (et s’accroche encore) le judaïsme libéral : celui qui y grandi(ssai)t ne recevait aucune consigne de cacheroute ou de halakha dans quelque domaine que ce soit, et surtout n’était que très mal formé aux rites de pratique individuelle que sont par exemple le loulav, la tefilat haderekh, ou encore les tefilines. Je ne sais plus à quel âge je découvris l’existence de ces dernières, mais je découvris le même jour la honte et la colère de n’en avoir jamais entendu parler auparavant, moi qui avais suivi si on peut dire le cycle d’études le plus complet que l’union libérale avait à offrir.
En y réfléchissant c’est un aspect un peu paradoxal de ce judaïsme, qui s’adresse à des gens qui sont des produits de l’assimilation façon Napoléon : soyez israélites à la maison, et soyez comme tout le monde dehors, parmi les français. Or, ces juifs libéraux ne reçoivent pas de leur communauté ce dont ils auraient peut-être énormément besoin : les outils indispensables à la tenue d’une maison juive, avec ses rites.

Cette communauté se réunissait donc tous les samedis après-midi et, petit à petit, se mit à élargir ses activités. Il y eut les offices des fêtes de Tichré ( en France, on disait tichri..) et personne ne peut avoir oublié ce kippour de 1973 où nous apprîmes en « live » - et bien avant internet ou les téléphones portables - que la guerre avait commencé en Israël, il y eut le séder du deuxième soir de Pessah' (où nous commîmes l'erreur de commander la nourriture chez tel traîteur dont je tairai le nom par pudeur, et dont les gateaux-éponges sèches ne purent servir qu'à essuyer la table..), il y eut la malencontreuse chute dans l'escalier d'une dame âgée au moment de la havdalah, chute qui fut heureusement sans conséquences funestes.

et il y eut surtout l'alyah : me trompé-je en disant que 90% des habitués de ces activités (Gozland, Weill, Mallah, Caën, Daniel, Pisanté, Siac, Sabbah qui oublié-je ?) se sont ensuite installés en Israël ? Coïncidence ?

Rapidement, il y eu aussi les activités de l'après shabbat. Nous étions arrivés à l’âge où l’on sort le soir, et nous poursuivions ainsi la soirée ensemble, au cinéma ou au café théâtre…ou encore au café tout court. Le choix n’était pas toujours chose facile. Nous avions ainsi quelques séances d’affrontement entre partisans de souhaits opposés, jusqu’à la mémorable fois où nous reçûmes… un seau d’eau, lancé anonymement depuis un étage élevé où une « bonne âme »  - voilà enfin une manifestation en bonne et due forme des non-juifs de l’immeuble, voilà la preuve indiscutable de leur existence ! - dût considérer que nous étions trop bruyants et que quelqu’un se devait de nous le faire savoir. Je n’ai pas le souvenir que nous ayons réagi d’une quelconque manière. Comment est-ce possible ?, mais nous organisions aussi - plus ou moins en coordination avec ceux de Copernic - des activités sur place, conférences, dîners débats (qui se souvient qui fut invité, à part Henri Bulawko ?), booms.

J'ai vécu de longues périodes au rythme de ces rencontres du samedi soir. Elles renforçaient ma double allégeance, et elles nous faisaient poursuivre notre découverte des bonnes adresses parisiennes. Je découvris ainsi les mêmes rues mais dans leur parure nocturne, avec en tête la place de l’Odéon et ses cinémas et ses passages,

 la rue Saint André des Arts,


 la rue Saint Séverin, la rue de la Huchette (« je suis r’tourné à la Huchette, rue d’la Huchette, où tous les jours je fais la quète, t’as pas cent balles, un ticket d’métro une clé d’douze ou un esquimau ? »),  le boulevard  Saint Germain que nous parcourions jusqu’au drugstore  et la rue de Rennes. De là nous connûmes quelques cafés (mais ni le café de Flore, ni les Deux Magots, ni La Coupole qui étaient si magistralement enturbannés de l’aristocratie de la littérature et de la philosophie qu’ils en avaient peut-être trop de prestige et n’étaient donc pas pour nous, nous qui n’étions que des enfants des boulevards, enfants de la banlieue. Quant à la Rhumerie, la Bûcherie, la Palette, et autres lieux branchés, je ne les découvris que beaucoup plus tard. Je n’entrai à la Coupole que quelques 25 ans plus tard ), et surtout quelques café théâtres, le Splendid, où nous découvrîmes Michel Blanc, Marie Anne Chazel et Thierry Lhermitte et de l’autre côté de la Seine, le châtelet et ce qui n’était pas encore le forum des Halles mais où s’était déjà ouvert le non moins mémorable Café de la Gare où se produisaient déjà Romain Bouteille, Patrick Dewaere qui ne s’était pas encore brûlé la cervelle, Miou Miou, Rufus, Christian Clavier, Coluche.
Y a-t-il dans ce quartier un seul cinéma où je n’aurais pas vu un film ? Il faut ajouter que plusieurs années d’études à proprement parler dans le même quartier sont venues s’ajouter à ces premières découvertes. En classe de Terminale, en fac, il m’arriva plusieurs fois d’aller au cinéma deux ou trois fois dans la même journée..

Les eis que Daniel et moi connûmes à Morgins en 1970-71 se mirent aussi à se joindre de façon néanmoins irrégulière, et ce fut probablement le début de la fin de la centralité du 20 rue Servandoni dans notre existence. 

Le souvenir de cette période est aussi associé dans mon souvenir à mon accident de moto, le dernier shabbat avant les vacances de Noël de décembre 1970, où je me fis renverser (puis écraser n'ayons pas peur des mots. Il fallut travailler pour sortir ma jambe de dessous les roues de cette bétonneuse, et c'est ce travail - mal fait, "fait par des intellectuels" dit plus tard le Dr Bayle de Wissous, qui me fractura la cheville ). J'avais passé l'après-midi chez des copains de Wissous et l'accident survint au dernier carrefour avant l'entrée dans Paris sur la N20 alors que j'étais en route pour Servandoni. 

Je me souviens que mes parents sont venus me récupérer à l'hôpital Broussais où l'ambulance m'avait évacué, prévenus peut-être par un coup de téléphone que le secrétariat aurait donné à Servandoni  ou tout simplement m'ayant cherché aux urgences de plusieurs hôpitaux ne m'ayant pas vu arriver ?

J'ai le souvenir d'un épisode mystérieux, où un inconnu était soudain venu se joindre à la séance d'étude dans la bibliothèque. Peut-être avait-il entendu à travers la fenêtre ouverte alors qu'il passait dans la rue ? Il était entré et s'était mêlé, nous enrichissant d'enseignements pétillants, puis était reparti et n'est jamais revenu. Les présents étaient restés émerveillés et parlaient de lui en l'appelant en riant le prophète Elie, qui aurait fait une brève apparition sur le chemin de quelque brit milah..Quand j'ai plus tard découvert l'existence de Monsieur Chouchani, je suis resté persuadé un temps que cet inconnu, vêtu d'un pardessus et d'un chapeau n'était autre que Chouchani. Malheureusement, ceci ne concorde pas avec la chronologie de déplacements de ce dernier : l'épisode se produisit autour des années 70 et Chouchani a été enterré en Uruguay en janvier 1968, ayant quitté Paris quelques 14 ans plus tôt..

Je n'ai pas le souvenir d'avoir quitté Servandoni, un peu comme on ne se souvient pas ce qu'il est advenu du train électrique ou des petites voitures de notre enfance.

J'ai dû tout d'abord cesser de m'y rendre après avoir pris la décision, probablement autour de 74-75, de ne plus utiliser de véhicules le shabbat, mais aussi probablement du fait des transhumances de l'entrée dans l'âge adulte, et avec elle, les changements de milieux (université, eis,) et de préoccupations. J’avais découvert le café « le petit suisse », le restaurant universitaire cachère de la rue de Médicis, le centre Rachi qui venait de s’ouvrir rue Broca.

J’étais revenu à Servandoni le matin. J’étais devenu moi-même professeur au Talmud Torah où j’eus mes premiers élèves et, avec eux, mes premiers liens à mes élèves. Pour certains, ces liens furent assez forts pour demeurer jusqu’à aujourd’hui. 

Je savais que la communauté fonctionnait. Benjamin Douvshani avait pris la relève de Daniel à diriger l'étude du samedi après-midi, et tout ceci s'est apparemment poursuivi jusqu'en 1990 environ, date à laquelle l'ULI a vendu le local (ou résilié le contrat de sa location ). 

Nous avions déjà quitté Paris pour Jérusalem depuis près de 10 ans, et avions tiré le trait de l'oubli sur cette période, sans s'apercevoir de combien elle avait été importante pour nous. 

Aujourd'hui, il m'arrive très couramment de me remémorer tel ou tel souvenir, de prononcer le nom Servandoni, et de m'apercevoir qu'il y a forcément aux alentours au moins une personne pour répondre. ' "Servandoni ? J'y ai été !".




1 commentaire:

  1. Le jour de l'accident, il etait question que nous allions ensemble (en metro) a Servandoni. Comme j'y ai renonce tu a pris ta "mob" et tu as enfile ton casque (dont le port n'etait pas encore obligatoire) en disant que tu avais une mauvais pressentiment. Quelques heures plus tard un flic a sonne a la porte - j'etais dons seule a la maison- et m'a annonce sans menagement que tu avais eu un accident et que tu avais ete transporte a l'hopital "Rousset". Il n'avait aucune information concernant ton etat. C'est moi qui ai appele a Servandoni pour prevenir les parents qui ont immediatement identifie "Broussais". Tu l'as su d'ailleurs et ta reaction a ete "je leur avais pourtant dit ne ne pas emmerder ma soeur!".

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