mardi 3 février 2015

Hyper shabbat. Une opération coup de point ?


Pour manifester les trente jours de l'assassinat à Hyper Cacher, quelqu'un a eu l'initiative - qui me parait excellente - de marquer le coup sous la forme d'un hyper shabbat, c'est à dire un jour où une quantité massive - bien plus massive qu'à l'ordinaire - de gens feraient shabbat, et se rattacheraient à la vie communautaire.

L'idée a été "transformée" si j'ose dire ( tant le langage du rugby me parait lointain) par le choix du shabbat où seront lus les dix commandements, en résonance avec la révélation du mont Sinaï à laquelle, d'après la tradition, assistait le peuple d'Israël au grand complet.

Qu'atteint-on par de telles "manifestations"? Eh bien, est-ce aux français qu'il faut le demander eux qui sont les professionnels de la descente dans la rue, eux qui descendirent et manifestèrent à près de quatre millions, le dimanche qui suivit l'assassinat.

L'assassinat de qui déjà ? Nombreux dans la communauté juive ont remarqué que la majorité des manifestants n'avaient pas eu le même ordre du jour que les juifs, qui défilaient eux, en double douleur, en double identification pour les morts de Charlie et pour les victimes de l'Hyper Cacher. Les français semblaient n'avoir manifesté qu'au nom de la liberté d'expression.

La différence me parait principalement remonter à ce qui sous-tend l'une et l'autre de ces collectivités, à ce qui les polarise.

Le midrach développe l'idée que le point et le tissu sont deux topiques fort différentes d'un même ensemble. 

Les manifestations place de la République au nom de la liberté d'expression ne sont pas le rassemblement au Mont Sinaï. Dans les deux cas se trouve massée une foule qui constitue un tissu humain mais chacun de ces deux tissus est tissé autrement, d'un autre point.

Le tissu du Mont Sinaï et celui de la liberté d'expression républicaine pourraient être presque aussi beaux l'un que l'autre. 

Chacun est le reflet de la mise en place de formidables idées adoptées par une collectivité. Les deux se veulent trame universelle, ils pourraient ne pas être en concurrence mais de facto, ils le sont. 

Ils le sont du fait du point.

Le point républicain est aux couleurs des droits de l'homme, de la liberté, de l'égalité, de la fraternité, et il est très beau, au point d'avoir rallié sous la banière, par lui tissée, de nombreux peuples. Mes grands-parents n'ont-ils pas traversé l'Europe pour se rendre s'en vêtir en France ?

De nombreux juifs ont fait de même, et si certains ne se sont pas défaits de leurs habits d'origine, d'autres ont délibérément troqué ceux-ci pour celui-là.

Certains ont choisi cet habit contre celui-là, qui par enthousiasme - pour la Révolution -, qui par dégout - suite à la shoah.

Ces deux extrèmes n'ont pas vu, ou n'ont pas voulu voir, que l'antisémitisme n'était pas nécéssairement soluble dans la république.

Il n'est apparemment pas impossible, ni même difficile, de devenir républicain, tout en devenant - ou restant - antisémite. Il y a une cohabitation possible, ou même facile, sans heurts, entre le républicain et la haine du juif. 

Certains qui ont manifesté le 10 janvier pour la liberté d'expression et n'ont pas inclus le rejet de l'antisémitisme parce que les valeurs de la république leur paraissent plus élevées, plus majeures, plus primordiales, ne voient pas qu'ont manifesté à leurs côtés ceux qui n'auraient pour rien au monde inclus à leur cause le combat contre l'antisémitisme pour motif secret ou déclaré d'antisemitisme personnel.

Et les uns et les autres sont républicains. C'est peut-être la grande honte de cette république que de laisser la place sous son drapeau à une telle haine de l'autre.

Se rallier ce shabbat sous la banière des dix commandements procède d'une bien plus haute affiliation.

Certains non–juifs ont le privilège de le savoir, de l'avoir entendu, de l'avoir étudié, de l'avoir lu car de nombreux commentateurs l'ont écrit et enseigné sous de multiples formes, 

Mais beaucoup de juifs n'en ont pas la moindre conscience, tant ils sont amnésiques de ce qu'ils ont entendu au Mont Sinaï.

Pour ceux, juifs ou non-juifs, à qui ces dix commandements ne disent rien, ce shabbat pourra être une mise à jour, une "mise au point". 

Dans un tissu, le point est l'endroit où se tissent les liens. L'aspect général du tissu est fonction du choix, et de la qualité du point. 
Le point peut être le mariage, l'alliance entre les gens. Il peut aussi être ce qui lie les gens entre eux. 

Puissent les "juifs de l'intérieur", ceux qui vivent au contact de la synagogue, trouver les mots et les moyens de profiter de ces rencontres qui auront peut-être lieu ce shabbat, pour faire goûter à ceux qui seront venus ce jour à la synagogue mais qui ne le connaissent pas, un peu du message d'universalisme que la Torah renferme et véhicule.

Puissent-ils réussir à leur montrer que les termes de ces dix commandements, ainsi que les valeurs incluses dans la notion même de shabbat, sont aux sources de ce qu'ils sont, quand bien même se croient-ils détachés du judaïsme. 

Puissent ces juifs déjudaïsés, et surtout puissent les plus aveugles d'entre eux, ceux qui fournissent au monde antisémite le bâton pour battre le peuple juif à travers l'antisionisme, prendre conscience de la nuisance que sèment ces derniers et que le peuple juif dans son ensemble récolte.


Puissent-ils apprendre de nouveaux points, et puisse se former ainsi un tissu humain  plus humaniste que celui atteint par le point républicain.

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