vendredi 20 février 2015

L'enseignement au détour du chemin. Maïmo. Chapitre 1


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Comment avais-je trouvé ses coordonnées ? Je n'en ai plus le souvenir. Toujours est-il qu'après avoir dûment pris rendez-vous, je me rendis en cette fin de mois d'août de l'année 1975 me présenter chez Marianne Picard, directrice de l'école Lucien de Hirsch, rue Simon Bolivar, Paris XIXème.
Une rencontre assez sympathique, entre une dame respectable et un tout jeune homme, qui venait se présenter pour enseigner, mais sans avoir eu aucune formation, si ce n'est le terrain.
J'avais le bac. J'enseignais alors depuis un an ou deux au talmud Torah de Servandoni, j'étais animateur branche cadette aux eis depuis deux ans, et j'avais préparé un garçon de douze ans à sa bar mitzvah. C'était tout.
Marianne Picard était peut-être un peu étonnée, mais elle ne le montra pas. Elle me demanda si je savais lire Rachi et consacra quelques minutes à me conforter : de son point de vue, je savais plus que je ne voulais bien le reconnaître.
Malheureusement, elle n'avait aucun poste à m'offrir, nous étions proches de la rentrée scolaire, et je comprenais bien qu'elle n'était pas du genre à s'occuper de la rentrée scolaire de septembre fin août.
J'eus cependant la surprise quelques jours plus tard de recevoir un coup de téléphone. David Messas, directeur de l'école Maïmonide, rue des Abondances à Boulogne, voulait me voir. Il avait eu mes coordonnées par Marianne Picard et souhaitait me rencontrer.
J'allais de découvertes en découvertes. Ayant grandi entre l'éducation laïque et la communauté libérale, j'ignorais tout de ces monuments de l'éducation juive de Paris.
Je ne pense pas avoir entendu parler de ces deux écoles avant d'être allé m'y présenter.
Le bâtiment de l'école Maïmonide était encore à cette époque cette belle vieille grande maison, au milieu d'un parc, dans une belle rue bourgeoise en contre bas du pont de Sèvres.
On y arrivait à pied par ce carrefour au nom historique Rhin et Danube, on passait devant les jardins Albert Khan, et quelques cent mètres plus loin, on trouvait sur la gauche, ce parc, avec pavillon de concierge, glycine, gravier, grande grille, tout ce qui caractérise la France classique et bourgeoise.
On entrait dans le bâtiment principal par la façade, après avoir gravi les quelques marches d'un escalier, et je fus aussitôt reçu par un monsieur avenant - mais en restant très distant, très neutre relationnellement -, vêtu d'un costume bleu marine et la chevelure blanche et lumineuse soigneusement peignée, qui me reçut très peu de temps. Le temps de me raconter qu'il ouvrait cette même année l'école primaire de l'école Maïmonide, qu'il avait eu mon nom et des recommandations de Marianne Picard (il disait Madame Picard) et qu'il était sûr que tout allait très bien se passer. Puis, sans transition, de conclure : "voilà ! Vous êtes engagé ! Vous êtes content ?" (Sic). L'examen n'avait pas été très difficile. Ça me changeait de PCEM...

La rentrée scolaire était quelques jours plus tard, mon programme consistait à recevoir 9 élèves qui constituaient le premier cours préparatoire de l'école primaire Maïmonide, et à leur faire la classe tous les après-midis. Le matin, ils étudieraient les matières générales, et l'après-midi, le "kodesh".
Le matin enseignait Johar Maarek, institutrice chevronnée très sympathique, qui me transmettait les élèves quand ils sortaient de la cantine où elle les avait surveillés et où ils avaient mangé ensemble.
Ni monsieur Messas, ni Madame Maarek n'avaient la moindre consigne, le moindre programme à me donner. J'étais entièrement libre et maître à bord, aux deux fois près où je fus convié à observer à Lucien de Hirsch comment les choses se passaient, et la fois où Marianne Picard vint elle-même enseigner à ma classe en ma présence.
A Lucien de Hirsch, les choses étaient très cérémonieusement réglées. Marianne Picard se tenait tous les matins à l'entrée de l'école et recevait chaque élève, d'un mot ou d'un geste. Il ne s'agissait pas de mots gentils (bien qu'ils fussent dits avec la meilleure intention du monde, cela se sentait très vivement) mais de mots d'adjudant ou plutôt de colonel. Marianne Picard passait ses troupes en revue en début de chaque journée de classe. Elle voyait chacun, et tout chez chacun, les élèves ne devaient pas chercher à s'attirer ses remarques.

Je me demande si cette visite à Lucien de Hirsch n'était pas venue après quelques jours où j'avais commencé sans instaurer ni la moindre distance, ni les moindres cérémoniaux entre mes élèves, la classe et moi.
Je n'avais pas été formé comme instituteur, mais j'ėtais post soixante-huitard, et cela me donnait déjà une idée claire de ce que je ne voulais pas.
Marianne Picard n'avait probablement pas cherché à transformer son école après cette "révolution", comme l'avait été mon lycée, d'où avaient disparu d'un trait notes, carnets de notes, distances de bienseillance, estrades, et où les élèves avaient reçu le droit de nommer chaque année des délégués, qui défendaient les élèves de leur classe aux conseils de professeurs. 
Marianne Picard entrait en classe et le silence se faisait instantanément. Elle enseignait à voix basse, en chuchotant, et chaque enfant l'entendait. Elle ne s'adressait pas à la classe mais aux enfants, une phrase pour tout le monde, un mot pour untel ou unetelle, et ainsi de suite, alternance de parole, d'écriture au tableau, de vérification que les élèves écrivaient consciencieusement et sans faute ce qui était au tableau. 
De l'enseignement primaire réglé comme du papier à musique.

J'ai le souvenir d'avoir simultanément ressenti deux éléments qui eurent pu être antinomiques mais qui cohabitèrent en moi : j'ai été grandement impressionné par cette personnalité d'enseignante, par cette technique qui donnait sur la classe une maîtrise comme absolue, et en même temps, je savais que je n'enseignerais pas ainsi.

De mes quelques heures à Lucien de Hirsch, je ressortai avec beaucoup de savoir, avec le modèle, avec des images qui restaient vivement imprimėes en moi, de ce qu'était le modèle de l'éducation juive. 
À Servandoni, les élèves ne portaient pas de tsitsit et n'apprenaient pas à les utiliser pour animer la récitation du Shema Israël. À Servandoni, on ne faisait pas précéder le chema de "yad yamin lemaala" "on lève la main droite", avant de se la mettre devant les yeux, à Servandoni on ne disait pas en coeur "tsedaka tatzil mimaveth" avant de mettre cérémonieusement sa pièce dans la boîte destinée à cet effet. 
Je découvrais les lieux classiques du judaïsme, et les gestes et coutumes de tout un monde avec lequel je partageais les connaissances, mais dont j'ignorais la plupart des gestes.

Je commençai donc à passer quatre après-midis par semaine en compagnie de la première promotion de Maïmonide-école primaire, composée de...9 élèves.

Tandis que la "vraie" école Maïmonide occupait l'hotel particulier, l'école primaire avait reçu le pavillon du concierge, tout petit, composé de deux pièces qui étaient chacune une classe taille mouchoir de poche.

Les élèves étaient pour une partie d'entre eux les enfants des parents qui avaient oeuvré à l'ouverture de la primaire, et pour une autre part des parents qui étaient arrivés par hasard, avaient appris qu'il y avait maintenant un cp à Maïmo, et y avaient inscrit leur enfant. Certains enfants étaient de familles religieuses, les autres non. J'ai toujours aimé cette hétérogénéïté, moi qui ai enseigné pratiquement sans interruption et à tous les âges au long des quarante dernières années. On a face à soi un groupe dans lequel le fils du brillant ingénieur côtoie la fille du marchand de tissus, dans lequel sont assis à deux mètres l'un de l'autre le plus intelligent de sa génération, celui dont la scolarité est et sera difficile, celui qui sait déjà qu'il sera cinéaste, et la fille de l'artiste créatif, et il faut trouver le langage qui conviendra à tous, il faut intéresser le plus vif, et garder près de soi le plus lent pour qu'il ne se perde pas en route, et dans le cas de cet âge merveilleux en particulier, il faut écouter chacun.

La tâche était des plus faciles, des plus claires et des plus excitantes : leur apprendre à lire, à écrire, et la Torah. Marianne Picard m'enseigna les rudiments de la technique, et personne ne me donna le moindre programme. La méthode ? Quant à moi, j'avais depuis l'âge de 12 ans opté pour la méthode Julos Beaucarne qui chantait que "pour apprendre le latin à John, il faut d'abord connaître John, ensuite le latin". Le foyer de mon attention était donc les élèves, et le dialogue avec eux. Le résultat de cela étant que je n'ai aucun souvenir du support qui m'a servi à leur apprendre à lire et à écrire ainsi que les rudiments de Torah que je leur ai enseignés, mais en contrepartie je me souviens de tous, et ai même le privilège de savoir où sont aujourd'hui un relativement bon nombre d'entre eux. 

Me lisent-ils ? Me le diront-ils ? 

A suivre.

9 commentaires:

  1. En tant qu'ancienne enfant (aujourd'hui quarantenaire), représentant donc un neuvième de cette première classe de primaire, je voudrais témoigner que Jean fut un "maître" exceptionnel.
    Oui, nous étions tous, chacun écouté comme un John singulier. Le professeur était un interlocuteur. On pouvait réflechir ensemble. On riait aussi.
    Je me souviens de tes notes personnalisés sur nos livrets, très imagées et qui me jetaient dans un abime de perplexité (tu disais que j'avais une écriture de "pattes de mouche" et que je ne "dormais pas sur mes deux oreille"s). Je me souviens aussi que tu employais souvent cette expression en classe "toujours-est-il que..."
    Je pense qu'on est nombreux (pas que neuf) à te devoir beaucoup !!
    Judith

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  2. Jean HaGuibor communément appeler Jean ( El Pisanté)
    (Il était capable de nous sortir de classe d’une main quand on devenait insupportable à savoir souvent……carrément trop fort le Prof),
    Je me rappelle de toi comme étant mon premier Moré de Kodech avec qui j’ai appris à lire et à écrire l'hébreu, à prier, à étudier le Houmach la Michna et tant d’autres choses.
    Je me rappelle de tous ces jeux que tu organisais, des chasses à l’homme au parc de Saint Clous
    (J’ai les photos quelque part).
    Je te craignais sans peur, te respectais (C’est toujours vrais) et tu étais avec Mme Dayan (Est-elle toujours en vie ?) le deuxième personnage clef (Exe aequo) de toutes nos journées.
    Je suis très ému et très touché par ton témoignage et par ces magnifiques photos.
    (Tu as toujours été un photographe passionné, il me semble même me rappeler de ton appareil que tu portais en bandoulière !!)
    J’ai transmis aussitôt à Mickael Cohen qui est resté mon très bon ami,l’émotion est évidemment vite partagée.
    Il me semble t’avoir croisé il y a longtemps lors d’un concert classique au théâtre de Jérusalem.
    Je vis aujourd’hui à Marseille « Peuchère » marié (Je pense t’avoir présenté ma femme lors de cette rencontre à Jéru.) et nous avons depuis 4 enfants BH (2G2F).
    Nous envisageons de revenir en Eretz bientôt avec l’aide D…
    Au plaisir de vous revoir tous.

    With biiiiiiiiiiiiiig LOVE
    ---
    Wladimir Lasry allias Guedj and Family.

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    1. bon anniversaire Wladimir !! quel plaisir de lire tes commentaires. J'ai quelques incertitudes de memoire te concernant, avec l'episode lycee francais. Et tu dis que tu m'aurais presente ta femme ? a ma grande honte je ne m'en souviens pas...tu es sur ? il n'est pas impossible que j'ai ete au concert a cette epoque.. En tout cas, kol touv, a toi , ta femme et tes enfants, et si tu en as envie j'entendrai avec plaisir encore d'autres details et souvenirs. Je t'invite aussi a "rester en ligne" : il va y avoir d'autres textes et d'autres photos. Et si tu retrouves les tiennes c'est encore mieux !!

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    2. il n'y a pas de limite ds le tps....lol
      G retrouvé du monde cet après-midi de cette époque à qui g transmis ton blogue....Atlani Bruno entre autre. .. d'ou ce retour d'aujourd'hui et en te relisant..... gt pas au lycée Français mais au Kfar(Maimon) 88/89 et on s'est vu au théâtre de Jeru lors d'une représentation d'une amie a nous qui fait partie d'une chorale ds les années 98/99 je venais de me marier az.
      Sinon biz à tous et espère que tt vas bien pour vous BH
      Wlado

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    3. il n'y a pas de limite ds le tps....lol
      G retrouvé du monde cet après-midi de cette époque à qui g transmis ton blogue....Atlani Bruno entre autre. .. d'ou ce retour d'aujourd'hui et en te relisant..... gt pas au lycée Français mais au Kfar(Maimon) 88/89 et on s'est vu au théâtre de Jeru lors d'une représentation d'une amie a nous qui fait partie d'une chorale ds les années 98/99 je venais de me marier az.
      Sinon biz à tous et espère que tt vas bien pour vous BH
      Wlado

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  3. Bonus:
    Et pour moi qui fête ce soir à minuit 04/03/2015 mon anniversaire de 45 ans c un vrai super beau kdo que tu m'as fait.
    Merci Moré

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  4. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  5. Bonus2:
    Je manque toujours de concentration ou juste trop ému ??
    Un ÉTERNEL MERCI pour tout ce que tu as planté en nous et qui continue de se développer.
    Merci HACHEM Merci Moré

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