jeudi 16 avril 2015

Badeau pressé 1


Je ne suis pas retourné à la Huchette, et n'y ai pas fait la fête, ni encore moins la manche.

Quand on regarde la lune, les taches apparaissent relativement proches l'une de l'autre, et il en est de même quand on se projette de mémoire sur un endroit précis. Tout nous semble accessible. Arrivés sur place, on commence à regretter de ne pas maitriser la télé transportation. 

J'ai eu beau arpenter Paris comme j'adore le faire, par des jours ensoleillés, de cette lumière de printemps, tandis que tous les bourgeons éclatent tellement qu'on croit pouvoir les entendre, que les arbres se couvrent de cette lumière vert tendre translucide, et que les détails sculptés des façades et des portes paraissent doubler de volume éclairés qu'ils sont comme par les feux de la rampe, je n'ai pas réussi à consacrer assez de temps à aucun des lieux qui me sont chers, à trop peu des gens qui ne me le sont pas moins.

En route vers l'esplanade Ben Gourion (vous la connaissez ?même google maps n'a pas encore enregistré son existence), depuis le magasin photo objectif bastille rue Jules César, j'ai passé le port de l'arsenal, croisant au passage une multitude de touristes affairés à leurs selfies,



ai laissé sur ma gauche l'institut du monde arabe sans avoir eu le temps de vérifier l'état de ses moucharabiehs automatiques, la rue de Bièvre de feu François Mitterand, pour prendre à gauche par la rue de la Bûcherie avec une pensée pour le café du même nom, n'accordant qu'un regard à la librairie Eyrolles où j'avais pourtant soif de trouver peut-être un nouveau manuel de sculpture de travail du bois mais où je rentrerai une autre fois, et j'ai juste traversé le boulevard Saint Germain, sans non plus entrer dans aucun des multiples magasins de l'empire du vieux campeur.
L'hôtel de Cluny était sous surveillance policière, rendu inaccessible par des banderolles de couleurs et des individus armés en uniforme sombre, et je n'ai pu qu'entrevoir l'état du cinéma champollion. Il fallait que je rentre dans cette librairie "Compagnie" de la rue des écoles, et que je prenne au moins quelques minutes pour m'emplir un tout petit peu de l'atmosphère, pour goûter à la sauvette de cette ambiance parisienne, pour caresser les livres posés sur les tables, observer à la sauvette cette jeune femme qui est entrée dans un but bien précis et qui cherche d'un regard tellement plus incisif que le mien au rayon poésie, savourer la multitude des rayons. Je ne cherche rien, ne vais rien acheter. Je suis là pour les yeux, pour les sens.

Au passage devant le café à la sortie je prends une photo à la sauvette, appareil photo au côté, déclenchement sans viser. Que verra-t-on de cette femme qui vient d'être servie en terrasse ? 



Ayant traversé le boulevard Saint Michel, sans même entrer chez Gibert, je continue par la rue Racine, trouve une jolie photo à faire aux abords du théâtre de l'Odéon, à la va vite en prenant juste un instant le temps de s'accroupir, 


constate la disparition de cette boutique de marionnettes de mes souvenirs, et débouche sur la rue de Médicis, laissant le café au "petit suisse" sur l'arrière gauche, après seulement lui avoir jeté un regard, et avoir laissé le souvenir des rencontres de midi de l'année 1973 traverser mon esprit. Le café est resté. Le centre Hillel, le restaurant Médicis ont tous deux disparu. 

Quel était cet hôtel où nous prenions des chambres pour kippour quand nous le faisions rue Servandoni ? N'était-il pas rue de Vaugirard dans la partie entre le petit suisse et la rue "Monsieur le prince" ? Je ne vois rien. Dans mon souvenir il était "hôtel Mozart".

Je traverse la rue pour m'éblouir de l'exposition photos sur les grilles du jardin du Luxembourg,


mais retraverse presque aussitôt : le sénat attend visiblement la visite d'un personnage important et tout est bouclé. J'hésite à passer par le jardin mais opte quand même pour la rue de Vaugirard et ses arcades. Les maisons, les piétons, les cyclistes, les voitures, les vitrines ont sur moi un plus grand pouvoir d'attraction que le plus beau jardin du monde (et si c'était le jardin du Luxembourg ? Cela n'est pas impossible. Mais je le connais par cœur, au point que je pourrais le dessiner de mémoire et n'y trouve pas assez de neuf). Peut-être ai-je eu tort ? Peut-être aurais-je pu trouver là-bas le tilleul que j'espérais voir et que je n'ai pas vu ?

Je traverse vite et entre les barrières de police la rue de Seine et poursuis mon chemin sous les arcades jusqu'à atteindre la rue Servandoni.

Suite à mes textes des mois de janvier-février, un des habitants du 20 de la rue m'a très gentiment invité à déjeuner un des jours où je serais à Paris. Et voilà que j'y suis ! Mais je savais à l'avance que je n'aurais pas ce loisir, malgré l'extrême tentation. Hésitant, dans l'expectative, je reste quelques minutes face à l'immeuble de mon enfance. Je constate que les vitraux de la bibliothèque existent toujours, ce qui me confirme - comme cela m'a été dit - que tout n'a pas été balayé par les travaux de réaménagement. Je retrouve la porte, y découvre le dessin (la fresque !) dessiné par un émule de Cocteau sur le mur, à la gloire d'Olympe,


et je rebrousse chemin, retrouvant la rue de Vaugirard, recevant comme en pleine figure le contraste des grilles aux pointes dorées avec la teinte ocre du bâtiment de l'orangerie, 



admirant au passage une magnifique porte au coin de la rue Bonaparte, tandis que les policiers continuent à barrer la rue. 

La rue Madame, la rue Mademoiselle, bientôt la rue de Babylone, et la rue Monsieur.  Accompagné de quelques lycéennes en conversation autour de facebook, je traverse la rue de Rennes, après avoir croisé comme une cours de récréation d'étudiants derrière les barreaux de ce qui ressemblait à un hôtel particulier aux abords de la rue d'Assas, et que j'imagine être soit une école privée huppée soit une annexe de la fac de droit. 

J'avais pourtant dit que je ne passerais pas par la rue du Cherche midi. Qu'y pourrais-je chercher en ces jours de Pessah' où je vais devoir fuir la devanture de Poilâne ?

Aux abords de la rue de Babylone, premier regard insistant sur ma kipa. D'un travailleur de la voirie. Regard insistant mais dépourvu d'hostilité. pour ce voyage, il sera aussi le dernier.

Je découvre la crèche Montessori devant laquelle sont stationnés, si mignonnement accrochés aux grilles, quelques trottinettes, tricycles et autres véhicules "premiers pas",


 et je peux constater que la boutique d'affiches du cinéma a survécu à ma grande surprise. Lors d'un précédent passage, j'y avais vécu un épisode inattendu : alors que je musardais entre les étalages d'affiches et d'archives, quelqu'un s'était approché de moi et m'avait tendu un papier qui était apparemment tombé de ma poche. Un papier écrit en hébreu. S'en était suivi un curieux échange verbal avec le propriétaire des lieux, autour de la question du yiddish, lui me prétendant que la langue avait maintenant entièrement disparu, moi lui répondant qu'elle était encore la langue maternelle de plusieurs dizaines de milliers de personnes. On aurait dit un dialogue avec Ami Bouganim qui avait qualifié l'attribution du Nobel à Bachevis Singer d'enterrement en grandes pompes de la culture yiddish. 


Aujourd'hui, je ne regarde même pas si la porte s'ouvre, je jette quelques regards furtifs du côté de la pagode, un peu comme pour vérifier qu'elle est toujours là,


 devant laquelle un couple - qui me parait chinois - est en conciliabule, et je poursuis ma route. 

La rue de Babylone est hermétiquement bouchée par les barrages de police, probablement du fait du même haut personnage pour lequel le sénat est en émoi et c'est au milieu du concert de klaxons d'impatience que je débouche aux abords de l'église Saint François Xavier, alors que commencent à m'assaillir les souvenirs de mes années de permanence aux eis. Je poursuis ma route, décide de prendre les Invalides par la gauche et m'aperçois soudain que je me trouve en fait en train de traverser l'avenue de Ségur. 
L'avenue de Friedland - oups pardon ! et merci Emilie,  Lowendal -  éveille en moi aussi quelques souvenirs furtifs, souvenirs d'une soirée où je m'étais rendu, dans le sillage de ce voyage de 1975 à Jérusalem où s'était formulé mon projet d'alyah, et me voici déjà à l'Ecole Militaire. 

Je retrouverai sous peu - grâce à la téléphonie mobile aux performances internationales - mon rendez vous hébraïque et pourrai enfin, 


après deux heures de marche, me poser sur un des bancs des bords de seine et à l'ombre de la tour, et me plonger dans l'étude, arrosée de matzot, de fromage, et de biscuits à l'orange et au vin, de cette nouvelle d'Agnon "le respect au père", pour laquelle nous nous retrouvons.

La suite se fera en vélib, et me conduira à l'Opéra où je reçois la consécration de mon état de touriste : alors qu'en attente sur le côté du majestueux bâtiment, appareil photo à la main, 


une femme s'approche soudain et me tend une bague. Elle serait tombée de ma poche (encore ?) me joue-t-elle la comédie, et je réponds par la négative. De fil en aiguille, la bague atterrit chez moi "offerte à moi, en cadeau pour avoir été l'individu le plus honnête du monde, qui n'a même pas prétendu un instant que cette bague lui appartenait"...et la scène est immédiatement suivie de l'addition : "un peu de quoi acheter un sandwich?" qui me fait enfin comprendre quel naïf j'ai été.

Finalement, me faire traiter comme un touriste à Paris, c’est plutôt un compliment.


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