vendredi 12 mai 2017

Un certain confluent de metempsycose, kabbale, hystérésis, épigénétique et autres énergies.


Freud a découvert que la table avait des pieds. Il y a en conséquence ce qui est sur la table et ce qui est en dessous.

Nous le savions. Depuis même avant que le monde ne se soit doté de menuisiers, avant que l'on n'ait commencé à s'asseoir près de tables munies de pieds.

On savait que beaucoup de choses interessantes, voire intrigantes, voire attirantes sont à découvrir sous les tables, même si l'on n'est pas un chien, même si l'on n'est plus un enfant.

Freud aurait même pû dire que l'essentiel n'est pas sur la table, mais sous la table, de la même manière qu'il a dit que ce n'est pas le "moi" conscient qui commande le navire de l'humain, mais bien l'inconscient.

Freud avait gardé semble-t-il un profond interêt pour ce qui est dissimulé - et donc "à voir" - sous les tables et il concentra sur cela l'essentiel de son approfondissement, développant de façon passionnante ce que sont les mécanismes de l'humain, dont le cognitif est en fait mû par le pulsionnel. C'est le profond interêt, associé à l'interdiction d'accès à ce qu'il y a à voir sous la table - ou dans la chambre des parents - qui président au développement intellectuel de l'individu, de sa curiosité, de sa sagacité, de sa soif de savoir. 

On sait aujourd'hui - sans le diminuer en rien - que Freud a scotomisé une partie du paysage. La vie ne se résume pas à ce qu'il y a sur et sous la table. Il n'y a pas que le conscient et l'inconscient pulsionnel.

Il y a par exemple vraisemblablement aussi un inconscient non pulsionnel. Tout une partie de la connaissance qui ne s'acquiert pas par curiosité. 

Savoirs intuitifs, savoirs de l'espèce. 

Et puis, il y a le savoir de l'expérience, la mémoire. 

Mémoire dont le fonctionnement est aussi corollaire des notions de conscient et d'inconscient. Notre mémoire emmagasine semble-t-il bien plus que ce qui nous est accessible, que ce de quoi nous nous souvenons. Freud encore disait qu'entre le souvenir et l'amnésie, c'est le premier qui est naturel, alors que nous croyons généralement que si nous ne faisons pas d'effort nous risquons d'oublier.

Et nous n'emmagasinons pas que les souvenirs de ce que nous apprenons, ou de ce que nous avons aperçu sous la table. Nous emmagasinons aussi inconsciemment.

On pourrait meme suggérer que nous ne sommes pas les seuls à avoir les clés de notre entrepôt privé. D'autres y déposent de la matière à notre insu.

Le midrach semble avoir eu l'intuiition - ou la science ? - de celà. Quand par exemple il met Avraham et le roi David en présence l'un de l'autre, dans le même texte, l'un face à D. Au sujet de Sodome et Gomorrhe, l'autre au sujet de Nabal qui lui refuse l'hospitalité. On a l'impression à la lecture du texte que David n'agit pas uniquement en fonction de son analyse de la situation, mais aussi comme guidé par Avraham, bien que ce dernier soit mort de longues années auparavant.

Presque comme si le midrach tentait de nous dire - une nouvelle fois, puisque c'est un thème classique - qu'Avraham était comme le prototype d'une seule faculté de l'humain, la bonté, la générosité. Une faculté tempérée par la personalité presque opposée de son fils Itshak, mû lui par la rigueur et la stricte justice.

David agit, semble nous dire le midrach, non uniquement par instinct guerrier, mais aussi fort de l'expérience d'Avraham.

L'expérience d'Avraham ? L'enseignement d'Avraham ? Ou quelque chose d'avrahamesque dont sa mémoire aurait été nourrie.

Le midrach semble résolument pencher pour ce "quelque chose", tellement difficile à isoler, à définir.

Les guiveonim viennent à la rencontre de Yeoshua au moment de la conquète du pays et le trompent, obtiennent une alliance et se retrouvent comme à l'essai au sein du peuple d'Israël. Cet essai se termine suite à l'épisode relaté en 
Samuel 2 21 suite à leur exigence cruelle de pendre cinq fils de Shaül en réparation d'un tort qui leur aurait été causé. L'alliance s'annule du fait que leur mémoire ne s'est pas enrichie de la bonne manière : ils ne sont pas devenus "rahmanim bené rahmanim", comme le sont - comme se doivent de l'être -  les enfants d'Israël.

Parle-t-on d'enseignement ? Ou bien parle-t-on d'inscription dans la mémoire ?

Depuis ces soixante dix dernières années, probablement suite à la shoah, beaucoup d'encre a coulé au sujet de la notion de traumatisme. Au sujet de l'impact du traumatisme sur l'individu, sur sa mémoire en particulier et sur son fonctionnement mental en général. Puis, une fois les premiers vingt cinq ans passés, les cliniciens et les chercheurs ont dû réaliser que ce n'est pas que la mémoire de qui a été traumatisé qui se trouve chargée, mais il semble que le traumatisme se transmette sur l'axe transgénérationnel.

Se transmette comment ? Il y a probablement des messages verbaux. 

Je ne suis par exemple certainement pas le seul à avoir certains souvenirs de traumatisme transmis. Par exemple comme ce message de rancoeur vis à vis de la Pologne. 

Mais sommes-nous uniquement mûs par ce qui se trouve sur la table ? Je crois que ce qui est sur la table est à portée de mains et est de ce fait bien moins constitutif, bien moins profondément enfoui que ce qui est sous la même table.

Ces souvenirs oraux sont-ils les seuls souvenirs de passé traumatique qui m'aient été transmis ? Je sais que non.

Je dirais que je sais chaque jour un peu plus quoi.

L'individu ne doit pas seulement ainsi faire des efforts de mémoire pour ce rappeler ce qu'il y avait sur la table des petits déjeuners de son enfance.

Mais comment atteint-on ce qui est sous la table ? 

Certains donnent une réponse mystique. La kabbale sait, les individus "mekoubalim" savent. C'est une question de savoir, absolu, qui se trouvent chez certains mais non chez tous.

Certains donnent une réponse voisine mais appartenant à un autre registre : celui de la sagesse orientale. Metempsycose. Ce qui est en nous a voyagé depuis l'âme de quelque défunt et a été déposé en nous.

Winnicott attribuait énormément d'importance aux messages subliminaux transmis de mère à enfant, suggérant par exemple que les visages déformés peints par Bacon pourraient n'être que le reflet de la perception qu'il avait de comment sa mère le voyait, une mère peut-être dépressive, peut-être surabsorbée par tel ou tel traumatisme.

A moins que toute cette transmission intergénérationnelle ne soit avant tout un des aspects de ce qui est décrit par le phénomène d'hysterésis, s'appuyant sur une certaine mémoire des matériaux,  des matières. Peut-être comme si les éléments du vécu venaient s'ajouter au bagage génétique. Aujourd'hui que la science a découvert que même l'ADN d'un individu subit des modifications au cours de sa vie (tandis que des décennies durant il a été admis que l'ADN est l'essence de l'individu, stable et identique depuis avant la naissance et jusqu'à après la mort) et que le mot épigénétique a été conceptualisé, on commence peut-être à s'approcher d'un temps où une synthèse pourra se faire entre ces diverses approches de phénomènes de l'humain, qui nous accompagnent tous, nous interpellent tous, nous frappent tous.


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