Nous sommes le 8 av, ce soir est le jeûne annuel du 9 av,
pour lequel le peuple juif jeûne depuis des millénaires, déjà , à en croire le
midrach, antérieurement à la destruction du premier temple ( le midrach
rapporte que les Bné Israël creusaient chacun sa tombe le 8 av, chaque année
des quarante ans du désert, puisque les 15000 qui mouraient chaque année
mouraient ensemble ce même jour. Même s'il est vain d'essayer de prendre ceci à
la lettre, l'idée exprimée est que ces trois semaines qui précèdent le 9 av
sont une période de deuil, et comment aurait-on pu l'illustrer plus clairement
que par les évènements de cette année ?
Nous
lisons cependant le texte des Lamentations de Jérémie, écrits du fait de la
destruction du premier temple, et nous lisons les prophéties d'Isaïe sur ce que
doit vivre Israël, du fait de son comportement.
Loin
de justifier ce que fait le hamas du fait de notre éventuel comportement
collectif, il est cependant incontournable de nous interroger en ce jour, au
lieu de seulement nous défendre et contre attaquer.
Le
texte des Lamentations s'appelle en hébreu « eikha », et le mot
signifie : « comment? ». Comment se fait-il ?
Ce
mot s'écrit aussi « Eikhakha » dans un autre texte, et sa
signification est alors : « cela doit-il être ainsi ? »
Ce
mot eikha est par ailleurs l'anagramme de la question adressée à Adam par D.
Après la faute de la consommation du fruit, « aïeka? » Où es-tu ?
Comme
si la question « comment est-ce possible? » Devait obligatoirement entraîner
en nous la question : « où suis-je ? ».
C'est
une question de solitude, et cela se rattache au mot « levad » qui
accompagne le mot eikha deux fois au cours de son occurrence.
Les situations
de catastrophe, de guerre,
d'angoisse, nous font ressentir la solitude. Solitude de l'individu mais aussi,
dans notre contexte, solitude du peuple, face aux nations.
Le
rav Daniel Epstein enseignait ce shabbat que cette solitude trouve sa solution
non tant dans la solidarité ( laquelle n'est quand même superflue en rien) mais
dans la pérennité.
Adam
est le paradigme de la solitude, quelqu'un qui est en deuil croule sous la
solitude, et nous nous sentons en ce moment accablés de solitude, tant en tant
que juifs israéliens qu'en tant que juifs parmi les nations.
De
quelle pérennité doit-il s'agir ? Certainement pas de celle du temple, qui pourrait
presque prétendre lui être le paradigme de la discontinuité et de la
destruction.
Le
Rav Epstein citait cette phrase que nous intercalons dans la amida les jours de
fête quand nous prions pour que notre prière soit prise en compte au même titre
qu'un sacrifice fait au temple.
Là
est la pérennité, là est la continuité du judaïsme, dans les mots. Dans les
mots par lesquels ne s'expriment ni haine ni vindicte ni même victoire (même si
il est des temps et des situations où c'est ce qui sort de notre tête et de
notre bouche), mais mots par lesquels s'exprime ce qui est l'identité d'Israël
au fil des siècles.
Non
tant être Israël par filiation génétique, mais être Israël par affiliation aux
enseignements de patriarches puis des rabbanim, puis des sages, affiliation à
l'identité de « rakhmanim bné rakhmanim », identification à une
prière qui n'est pas la prière pour que soit exterminé l'autre mais qui est une
prière : « eikha ? Aïeka? Eikhakha? ».
Une
prière focalisée sur moi-même et non sur la culpabilité d'un autre, une prière
centrée sur ce que j'ai à comprendre des évènements que je me trouve en train
de vivre, et une prière qui ne dispense pas de se demander ce que je peux bien
avoir comme responsabilité dans ce que je suis en train de vivre, une prière
qui demande comment je pourrais agir de manière à ce que ma réalité soit
autre.
La
prière est peut-être une des postures les plus difficiles à adopter, surtout
quand on est agressé, quand on craint directement pour quelqu'un, quand on est
polarisé contre un ennemi, et peut-être là est le fonds de ce jour de jeûne,
qui n'est pas yom kippour mais qui pourtant y ressemble beaucoup, qui est un
jeûne paradoxalement consécutif à cet qu'un autre vient de commettre contre
nous.
D'aucuns
ont du mal avec ce que je suis en train d'écrire, trouveront cela mièvre, ou
apparenté au triste "tendre l'autre joue".
Il
ne s'agit pas de cela. Le judaïsme semble n'abandonner nulle part la composante
guerrière. Il est un devoir de se défendre et même d'attaquer dans certains
cas. Mais, de même, le judaïsme ne nous dispense jamais de jeûner à tishea beav
et de nous interroger sur les composantes de la situation dans laquelle nous
nous trouvons.
Après
le meurtre de Rabin, un groupe de gens dont j'étais a pris l'habitude d'aller
s'asseoir par terre non à la synagogue ou à la maison, mais sur la tombe de
Rabin. Afin de rattacher les évènements du présent de notre peuple à ceux du
passé, afin de chercher dans le jeûne de tishea beav non uniquement une source
dans une histoire ancienne, afin de ne pas invoquer en ce jour seulement une
reconstruction mythique d'un temple, mais une reconstruction spirituelle, la
reconstruction sur sa terre d'un peuple qui se revendique avant tout d'un
message.
Cette
année plus que de nombreuses années, le jeûne de tishea beav doit nous
interpeller, nous mobiliser, et d’autant plus que les soldats sont dispensés de
jeûner. Il n'y a pas trop d'efforts à faire pour l'intégrer sans notre
actualité, cela se fait de soi-même.
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