lundi 4 août 2014

cette année, les soldats sont dispensés de jeûner


Nous sommes le 8 av, ce soir est le jeûne annuel du 9 av, pour lequel le peuple juif jeûne depuis des millénaires, déjà , à en croire le midrach, antérieurement à la destruction du premier temple ( le midrach rapporte que les Bné Israël creusaient chacun sa tombe le 8 av, chaque année des quarante ans du désert, puisque les 15000 qui mouraient chaque année mouraient ensemble ce même jour. Même s'il est vain d'essayer de prendre ceci à la lettre, l'idée exprimée est que ces trois semaines qui précèdent le 9 av sont une période de deuil, et comment aurait-on pu l'illustrer plus clairement que par les évènements de cette année ?

Nous lisons cependant le texte des Lamentations de Jérémie, écrits du fait de la destruction du premier temple, et nous lisons les prophéties d'Isaïe sur ce que doit vivre Israël, du fait de son comportement.

Loin de justifier ce que fait le hamas du fait de notre éventuel comportement collectif, il est cependant incontournable de nous interroger en ce jour, au lieu de seulement nous défendre et contre attaquer.

Le texte des Lamentations s'appelle en hébreu « eikha », et le mot signifie : « comment? ». Comment se fait-il ? 

Ce mot s'écrit aussi « Eikhakha » dans un autre texte, et sa signification est alors : « cela doit-il être ainsi ? »

Ce mot eikha est par ailleurs l'anagramme de la question adressée à Adam par D. Après la faute de la consommation du fruit, « aïeka? » Où es-tu ?

Comme si la question « comment est-ce possible? » Devait obligatoirement entraîner en nous la question : « où suis-je ? ».

C'est une question de solitude, et cela se rattache au mot « levad » qui accompagne le mot eikha deux fois au cours de son occurrence.

Les situations de catastrophe, de guerre, d'angoisse, nous font ressentir la solitude. Solitude de l'individu mais aussi, dans notre contexte, solitude du peuple, face aux nations.

Le rav Daniel Epstein enseignait ce shabbat que cette solitude trouve sa solution non tant dans la solidarité ( laquelle n'est quand même superflue en rien) mais dans la pérennité.

Adam est le paradigme de la solitude, quelqu'un qui est en deuil croule sous la solitude, et nous nous sentons en ce moment accablés de solitude, tant en tant que juifs israéliens qu'en tant que juifs parmi les nations.

De quelle pérennité doit-il s'agir ? Certainement pas de celle du temple, qui pourrait presque prétendre lui être le paradigme de la discontinuité et de la destruction.

Le Rav Epstein citait cette phrase que nous intercalons dans la amida les jours de fête quand nous prions pour que notre prière soit prise en compte au même titre qu'un sacrifice fait au temple.

Là est la pérennité, là est la continuité du judaïsme, dans les mots. Dans les mots par lesquels ne s'expriment ni haine ni vindicte ni même victoire (même si il est des temps et des situations où c'est ce qui sort de notre tête et de notre bouche), mais mots par lesquels s'exprime ce qui est l'identité d'Israël au fil des siècles.

Non tant être Israël par filiation génétique, mais être Israël par affiliation aux enseignements de patriarches puis des rabbanim, puis des sages, affiliation à l'identité de « rakhmanim bné rakhmanim », identification à une prière qui n'est pas la prière pour que soit exterminé l'autre mais qui est une prière : « eikha ? Aïeka? Eikhakha? ».

Une prière focalisée sur moi-même et non sur la culpabilité d'un autre, une prière centrée sur ce que j'ai à comprendre des évènements que je me trouve en train de vivre, et une prière qui ne dispense pas de se demander ce que je peux bien avoir comme responsabilité dans ce que je suis en train de vivre, une prière qui demande comment je pourrais agir de manière à ce que ma réalité soit autre. 

La prière est peut-être une des postures les plus difficiles à adopter, surtout quand on est agressé, quand on craint directement pour quelqu'un, quand on est polarisé contre un ennemi, et peut-être là est le fonds de ce jour de jeûne, qui n'est pas yom kippour mais qui pourtant y ressemble beaucoup, qui est un jeûne paradoxalement consécutif à cet qu'un autre vient de commettre contre nous.

D'aucuns ont du mal avec ce que je suis en train d'écrire, trouveront cela mièvre, ou apparenté au triste "tendre l'autre joue". 

Il ne s'agit pas de cela. Le judaïsme semble n'abandonner nulle part la composante guerrière. Il est un devoir de se défendre et même d'attaquer dans certains cas. Mais, de même, le judaïsme ne nous dispense jamais de jeûner à tishea beav et de nous interroger sur les composantes de la situation dans laquelle nous nous trouvons.

Après le meurtre de Rabin, un groupe de gens dont j'étais a pris l'habitude d'aller s'asseoir par terre non à la synagogue ou à la maison, mais sur la tombe de Rabin. Afin de rattacher les évènements du présent de notre peuple à ceux du passé, afin de chercher dans le jeûne de tishea beav non uniquement une source dans une histoire ancienne, afin de ne pas invoquer en ce jour seulement une reconstruction mythique d'un temple, mais une reconstruction spirituelle, la reconstruction sur sa terre d'un peuple qui se revendique avant tout d'un message.

Cette année plus que de nombreuses années, le jeûne de tishea beav doit nous interpeller, nous mobiliser, et d’autant plus que les soldats sont dispensés de jeûner. Il n'y a pas trop d'efforts à faire pour l'intégrer sans notre actualité, cela se fait de soi-même.


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