jeudi 11 juin 2015

De la colonie de vacances aux camps d'été : un upgrade avant l’heure !



J'étais un "pro" de la colonie de vacances, ou même des colonies de vacances, après y avoir passé en moyenne un mois et demi par an, depuis l'âge de cinq ans dans ce kinderheim du Dr Bossart à Unteraegeri dont je n'ai comme unique souvenir que d'y avoir eu la rougeole ce qui me valut les plaisirs de la quarantaine et que mon cousin n'ait comme "droit de visite" que celui de me jeter depuis la porte entr'ouverte les lettres qui arrivaient pour moi, en passant par Montmerle, Belais, Fontaine, Tarnos, et Cubrial où nous retournâmes Anne - ma soeur et moi quatre ans d'affilée, sans compter les deux ou trois séjours en colonie d'hiver déjà mentionnés au chapitre précédent.

Cubrial, dans le Doubs, colonie (non juive) de l'Entr'aide Coopérative était un lieu qui m'était devenu très familier et où je revins plusieurs années consécutives avec un réel plaisir. Le terrain était énorme, j'ai le souvenir très précis de tous nos habituels lieux de promenade, de nos marches le long des routes vers Villersexel ou Rougemont, j'ai les souvenirs des quelques chansons - et veillėes - qui ponctuaient le quotidien, des chauve-souris qui voletaient entre nos têtes et entre les arbres à la nuit tombée, des bols de chocolat du petit déjeuner et des goûters à la française (un jour pain et barre de chocolat noir, un jour pain d'épices, un jour sirop rose, un jour sirop vert), des mirabelles que nous cueillions sur les arbres, du bâton en noisetier que je me taillai (avec un couteau muni d'une lame scie qui me laissa une cicatrice) et qui est toujours chez moi, gravé à mes initiales. J'ai le souvenir des lits que l'on apprenait à faire "au carré", de ces dimanches matin quand je faisais partie de ceux qui n'allaient pas à la messe,  de ce moniteur qui nous initia à la mosaïque (mais dont je n'ai pas mémorisé le nom), et des cadeaux que l'on achetait au tabac-souvenirs les derniers jours avant le retour. J'ai aussi quelques souvenirs au rayon émotionnel, d'évènements pulsionnels de diverses natures que "rigoureusement ma pudeur m'interdit de nommer ici", aussi quelques souvenirs d'amitiés ou d'amours passagères, et me restent aussi les impressions auditives, olfactives et kinesthésiques des voyages en train que j'ai toujours affectionnés. En visite inopinée sur les lieux, quelques huit ans après mon dernier séjour là-bas, j'eus la très agréable surprise d'être reconnu - et accueilli très chaleureusement - par Claude Duffaut, c'était le directeur, et sa femme, dès mon entrée dans la pièce.

Mais rien de ces souvenirs, si bons soient-ils, n'arrive à la cheville de ce qu'ont été les camps d'été aux eis.

Ceux-ci étaient (et sont probablement encore)  la cerise sur le gateau des rencontres hebdomadaires/activités de l'année.

Ces trois semaines de juillet réussissaient à me (et je ne pense pas écrire en mon seul nom) dynamiser, me vitaliser - si ce n'est pas au prix d'épuisement physique maximal - et me remplir la tête et l'âme pour au moins six fois leur durée.

De passage aux "prés" (à Puy St Vincent, hautes alpes) en 2011, assis dans les hautes herbes sur le terrain de la maison qui alors appartenait au mouvement, je pouvais presque ressentir physiquement des souvenirs de mon premier camp sur les lieux, camp louveteau en 1972.




Nous campions probablement avec d'autres unités mais aujourd'hui je ne peux les identifier. J'ai surtout quelques souvenirs écrans mais qui sont de très fortes images. 

Le camp avait commencé pour moi par le précamp (à moins que je confonde avec le camp que je fis au même endroit deux ans plus tard, mais la confusion possible n'influe pas ici sur le sujet), étape bénie de quelques jours durant lesquels le travail très physique consistait en particulier à installer les dortoirs et surtout les "marabouts", ces tentes dans lesquels prenaient place quelques douze à seize lits, ces fameux lits que je connaissais déjà des colonies, à lourde carcasse métallique sur lesquels était posé un matelas de laine à l'ancienne. Il avait fallu tout sortir des hangars et des greniers, et "monter", c'est à dire sortir, déplier, hisser, tirer, enclencher, le tout à coup de quantité non négligeable d'huile de coude, mais malgré le bénévolat auquel on n'aurait renoncé à aucun prix, le salaire l'emportait largement sur le labeur. 

Le salaire était, outre les tartes aux myrtilles du café de Vallouise, sur la cacherout très relative desquelles on passait allègrement, et l'imprégnation de l'atmosphère de la région  - qui comprenait le contact avec les paysans locaux qui nous accueillaient avec aux lèvres le sourire narquois qu'engendrait en eux le contact avec ces petits jeunes citadins tout jeunes, qui croyaient tout connaître, et desquels ils se moquaient presque ouvertement - , outre ces réunions-repas-pauses parfois coupablement arrosées qui donnaient déjà l'avant goût du vécu du camp lui-même, ces fous rires et la joie qui les accompagnait, et, au premier rang, ces moments de fin de jour, voire de fin de nuit assis par terre dans le même champ, entre les herbes non encore ou fraîchement fauchées, à sentir la fraîcheur et à observer les hautes montagnes, les étoiles et la voie lactée, puis le lever du jour.

Puis au jour j se rendre à l'Argentière la Bessée et accueillir, comme un vétéran et un autochtone, sur le quai dans le soleil du sud, toute cette bande d'enfants pour lesquels on a aussi mis en place toute une grille d'activités savamment articulée autour d'un thème de camp dont on ne garde que rarement le souvenir dès le mois achevé mais qui fournit la charpente et le décor de tous les vingt et un jours du camp, enfants que l'on attend de pied ferme et avec un réel appétit de ce camp qui commence à peine et dont on peut déjà préssentir les larmes qui marqueront sa fin sur le même quai de gare fin juillet.

En août 2011, nous avons trouvé Marianne et moi encore quelques armatures de marabouts dans le hangar derrière la maison, et quelques inscriptions à la peinture vestiges de ces activités et de cette ambiance que l'on appelait dans les chants du vendredi soir "kibboutz EIF", alors que nous ne savions rien du kibboutz et qu'il n'était que la concrétisation de ce qu'était alors notre souhait le plus cher : que notre vie soit à l'image de ce que nous vivions sur le moment, c'est à dire dans une vie de groupe juive, authentique, riche de contenu, et scandée par les moments forts de celle-ci.



Ces inscriptions étaient restées sur ces murs bien que la maison ait été vendue quelques années auparavant, mais en symbole de leur caractère indélébile dans notre mémoire, et peut-être au-delà.

Le camp, pour les animateurs, est comme la juxtaposition permanente de deux modes, de deux vécus : le mode officiel qui commence encore avant le camp avec la liste de choses  que reçoit chacun à préparer, apporter ou apprendre, qui se poursuit au quotidien, depuis le matin, se termine au coucher des enfants, et comprend une succession ininterrompue d'enthousiasme, de chant, d'enseignement et de transmission, de régulation d'humeurs, de moments forts et calmes, à travers la préparation matinale, l'office, les repas et les activités elles-mêmes, 

et le mode officieux qui commence avec la liste des objets incontournables à emporter absolument au camp (couteau comme-ci, chapeau comme ça, tel appareil vestimentaire, tel instrument de musique, appareil photo, foulard, bague de foulard et autres mascottes ou idées saugrenues - tel le clairon l'année suivante) et qui est au centre des réunions dites de travail.

Ces réunions sont importantes au niveau de la gestion du camp et au niveau de la répartition des tâches, des mises au point des activités, mais elles sont non moins capitales en tant que moment privilégié numéro deux de l'ambiance.

Les souvenirs du camp incluent l'animation, certaines activités phares, certains "coups de tonnerre" (ou de colère) comme il est impossible qu'il ne s'en produise pas au cours d'un tel séjour de vacances, mais n'en déplaise aux anciens "enfants" de ce camp qui, je l'éspère, liront ces lignes, les souvenirs du camp les plus forts pour l'animateur que j'étais proviennent pour plus de la moitié de ce vécu presque clandestin, duquel l'équilibre est dur à gérer : que ces réunions soient dénuées d'ambiance, c'est à dire de pulsionnel, de rire, de libido, de "cinquième repas" et c'est l'ambiance du camp qui en paiera le dur prix. Que le camp soit débordé par leur enthousiasme et cela sera aussi au prix de la bonne marche des choses.

Qui parmi la maitrise de ce camp peut prétendre avoir oublié la séance où la chef de ce camp (dont cette même évocation m'interdit de citer son nom sans son expresse permission) fut roulée sur quelques mètres du petit chemin vicinal au bord duquel est la maison dans une panière à pain, au milieu de hurlements de rire, auxquels elle n'était pas la dernière à se joindre?

Et comment pourrais-je taire, et en même temps raconter, cette émotion amoureuse d'autant plus intense que rigoureusement retenue (timidité, que ne te dois-je, ou que m'as-tu coûté ?) lors d'une rencontre avec la maîtrise d'un autre camp dans le voisinage ?

A l'occasion de ce premier camp, j'avais moi-même commencé par moi-même à m'occuper de la relève - et du renfort - et s'était ainsi jointe Joëlle "zal" (et que son souvenir soit ici rappelé) que j'avais connue l'été précédent à Carmel College. Nous étions très "en phase" pour ce qui est de notre insertion dans le monde lycéen parisien, en parallèle de notre goût et notre motivation pour cette éducation juive informelle.

Mes souvenirs d'elle à ce camp sont ceux d'un long et interminable fou rire, dont le pic a été le jour du 9 av quand elle fit soudain irruption dans la cuisine au moment du repas de midi en demandant sous l'effet de l'angoisse de l'urgence : "il y a un ben'ch spécial aujourd'hui ?" (jour de jeûne !)...pour instantanément s'écrouler littéralement par terre de fou rire, en réalisant le grotesque de sa question. Grotesque, la question ne l'était d'ailleurs nullement, et les enfants qui ne jeûnent pas ce jour-là doivent bel et bien rajouter un passage spécial dans le birkat hamazone, mais le point central de la situation n'était nullement l'obtention de la réponse la plus authentiquement rabbinique, mais une nouvelle occasion de rire ensemble de telles situations. 

Joëlle était très loin d'être quelqu'un d'uniformément gai et insouciant. L'angoisse était au rendez-vous de son vécu d'adolescente bien plus souvent qu'à son tour (et elle était loin d'être la seule dans ce cas), mais le camp avait constitué à cela bien plus qu'une parenthèse.

Les camps sont ainsi le véritable moteur de ce que véhiculent ces mouvements de jeunesse qui sont, pour beaucoup des participants, l'endroit où se cristallise le type de lien qui va être le leur à la communauté juive.

C'est à travers ces fous rires, ces moments d'épanchement de l'émotionnel et du pulsionnel que passent le mieux les bribes d'enseignement juif véritable qui sont inclus dans la trame du quotidien. Et ce camp, comme beaucoup d'autres en contint sa généreuse part, offices du matin menés comme séance hautement pédagogique jour après jour, et dans lesquels les enfants étaient scrupuleusement répartis par niveau, activités rattachées à telle ou telle date ou lecture de Torah, et y compris quelques ateliers d'hébreu moderne.

Puis, qu'il ait fait beau ou plu, sans qu'on ait le temps de s'en rendre compte, voilà déjà les trois semaines passées, la veillée finale avec son grand feu et son cérémonial d'appel et de chant, et c'est déjà le moment de tout plier, et de se séparer à grandes accolades et chaleureuses embrassades.

Et là aussi, arriver à la gare à Paris, remettre les "chers petits" à leurs parents, puis après un bref passage en maîtrise au café, rentrer chez ses propres parents et se coucher épuisé  pour 24 heures si ce n'est plus, les yeux et les oreilles encore inondés, le coeur rempli à ras bords de bonheur.

Combien tout ce vécu est-il vecteur d'identité juive ? Nul besoin de réponse : c'est autant incommensurable qu'indéniable ! 


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