Suites
des vagues post soixanthuitardes ? Conséquence indirecte du fiasco
organisationnel du 50ème anniversaire du mouvement ? L'année 74 vit presque une
scission se produire. Les tenants des deux camps - un peu schématiquement
répartis ici en responsables branche cadette d'un côté, responsables du reste
de l'autre - s'affrontèrent de diverses manières.
Je
n'ai de cette tempête que de vagues souvenirs, matérialisés en particulier par
les photos qui me restent de cette assemblėe générale qui se tint au QG.
Les
historiens - et ceux dont la mémoire est moins associative que la mienne - ont
sûrement encore en tête les enjeux, et les contenus des débats, et sont
d'ailleurs conviés à me corriger ou compléter ce que ma mémoire a pu
retenir.
J'ai
beau me souvenir n'avoir nullement été neutre (je n'aurais pu avoir la
nationalité suisse : je n'ai pas le souvenir d'avoir été neutre où ni quand que
ce soit), ne me restent que les éléments de mon affiliation. Bien qu'étant
moi-même alors responsable BC, je ne partageai pas ainsi les positions des
retranchés du même camp, et me sentai plus du côté de leurs opposants. De façon
générale, au long de ma vie, tout en gardant d'eux quelques distances, je me
suis en général rangé plus près de ceux qui se trouvaient qualifiés de
gauchistes, que des partisans de l'autre côté, surtout quand je craignais de
risquer d'être considéré comme réactionnaire.
Une réaction de Joël à ce papier aiguisé mon souvenir et me rappelle que contrairement au CN de 1973, cette polarisation était cette fois bien plus éducative que politique. Le sujet qui nous faisait nous dresser les uns face aux autres était principalement le mode éducatif avec lequel nous voulions continuer, mode plus libéral ou didactico directif. Mai 68 prônait un système qui mettait l'enfant, ses désirs, et ses instincts bien plus au centre que ne pouvaient l'accepter certains. Discussions d'où il émane combien les animateurs que nous étions nous sentions investis et mobilisés par l'éducation et l'éducation juive en particulier.
Une réaction de Joël à ce papier aiguisé mon souvenir et me rappelle que contrairement au CN de 1973, cette polarisation était cette fois bien plus éducative que politique. Le sujet qui nous faisait nous dresser les uns face aux autres était principalement le mode éducatif avec lequel nous voulions continuer, mode plus libéral ou didactico directif. Mai 68 prônait un système qui mettait l'enfant, ses désirs, et ses instincts bien plus au centre que ne pouvaient l'accepter certains. Discussions d'où il émane combien les animateurs que nous étions nous sentions investis et mobilisés par l'éducation et l'éducation juive en particulier.
C'ėtait
un peu comme si d'un côté, les activités des dimanches et les camps
continuaient à se dérouler "business as usual", tandis qu'en coulisse
et au niveau des responsables, le mouvement était en ébullition, était le lieu
de la révolte de ses protagonistes qui préféraient peut-être ce théâtre à leurs
passions, aux lieux plus exclusivement français (campus universitaire ou lycée,
dans lesquels la mobilisation était quotidienne ou presque), à l'intérieur
desquels ils ne trouvaient qu'imparfaitement leur place.
Quant
à moi, dès ma deuxième année d'animation, j'étais clairement beaucoup plus
investi, émotionellement comme effectivement, au sein des eis que dans le lieu
de mes études.
Je
n'étais plus au lycée d'Antony, où je m'étais senti très impliqué, mais où, en
partie de ce fait, j'avais aussi laissé quelques plumes, et le lieu où je me
sentais chez moi était le mouvement e.i.
Le
paroxysme de cette période fut peut-être cette fin d'été 74, avec ce très grand
stage de septembre au mont Dore, qui ressembla peut-être plus à Woodstock qu'au
colloque des intellectuels, pendant lequel je peux attester avoir été stagiaire
"pour de bon" (dans un stage 3ème degré, ou
« perfectionnement », entre autres en compagnie de Mickey alias
Michel Nakkache, aujourd’hui président émeritus, et dirigé par Gisèle Benitah),
mais dont mes souvenirs sont énormément plus affectifs et émotionnels ( accueil du shabbat avec tefila et embrassades, chant avec Gilbert, cours avec tel invité marquant, veillées ne sont que des exemples ), que
relatifs à tel ou tel enseignement reçu.
Peut-être
ceci est-il loin d'être secondaire parmi les mobiles d'un stage de "formation" en
mouvement de jeunesse ?
Je
garde de ce stage un souvenir exactement comparable à celui que j'ai de mon
passage sur le plateau du Larzac l'été suivant mais à une différence - majeure
- près : au Larzac c'était vraiment Woodstock : grande fête, musique, joints,
un peu de nudité, un tout petit peu de mobilisation contestataire. Au Mont
Dore, ce n'était pas "la fête" mais le tout était très festif et
surtout réchauffait le coeur, la musique était au rendez-vous mais le côté
"chanter ensemble" l'emportait sur le côté musical, il y avait
probablement quelques joints de ci de là et de la sexualité "adolescente -
jeune adulte" mais ces deux derniers étaient plus clandestins que publics,
peut-être plus régis par le "ma tovou ohalekha 'yaakov mishknotekha Israël" que par
le sécularisme ambiant ("qu'elles sont belles tes tentesYaakov tes demeures Israël"
s'était exclamé le triste prophète Bileam, pourtant venu maudire Israël. Et les
commentateurs suggèrent que ce qui avait le plus frappé Bileam était que les
tentes d'Israël n'ouvraient pas l'une sur l'autre, que le camp était comme
marqué du sceau de la pudeur).
La
contestation était très présente mais elle s'exprimait autour d'enjeux
"privés", juifs.
C'était
la révolution adolescente interne au monde juif.
Ce
stage a été considéré houleux, voire dangereux par plusieurs responsables du
moment, qui craignaient probablement cette "importation" de
l'ambiance estudiantine à l'intérieur de la communauté juive (on ne parlait alors
pas encore d’amalgames…).
Je
ne prenais à cette époque que "position tripale", du fait de vers
quoi ou par quoi j'étais plus attiré. Cela ne fut que quelques années plus tard
que je trouvai les mots et les arguments pour expliquer ma position, je le raconte
par un exemple même s'il est ici antichronologique : alors que quatre ans plus
tard j'étais "permanent" au QG, naquit entre Ami, Alain et moi l'idée
de créer un oneg shabbat pour animateurs. Alain et moi respections alors le
shabbat et nous avions un problème avec la mise en place d'une activité qui
allait obliger la majorité à transgresser shabbat pour s'y rendre. Ce fut Ami
qui "emporta" mon hésitation par un argument qui avait pour effet
associé de "mettre mes idées en place". Rav Ami dit : "il vaut
mieux que tous ces adolescents qui prennent de toute façon le métro le shabbat,
le prennent pour venir étudier chez nous que pour aller au café". Un lieu
d’éducation véritable se doit de laisser une place à l’expression de la fièvre
adolescente et des conflits internes des protagonistes, surtout s’il se prétend
pluraliste. Mieux, il faut que cette fièvre soit intérieure, c'est-à-dire
qu’elle s’en prenne aux enjeux internes, et ceux-ci doivent pouvoir s’exprimer
au sein du mouvement : il est meilleur d’importer les sujets qui font
bouillir l’individu que de lui recommander de les gérer en dehors, ou pire, que
d’exclure ceux qui vivent ces passions. Et je reviendrai plus loin sur cet oneg
qui connut de très belles heures.
Revenons
en 1974. Après ce stage, il y eut l'AG que montrent les photos, et une suite un
peu cahotique, avec départs, arrivées, troubles financiers, qui furent très
majeurs pour le mouvement, et assez mineurs pour l'animateur devenu responsable
que j'étais.
Nous
étions dès ce stade Marianne et moi à la tête de notre petit monde, la branche
cadette (que l'on appelait plus "la meute de louveteaux" mais le
groupe de bâtisseurs) de la Place des Vosges, qui fut pour nous une sorte de
stage préparatif....à notre vie commune, qui commença en juin 1975.
Ces
deux années 73-74 et 74-75 furent pour moi de mauvaises années au plan
universitaire, j'étais sur une mauvaise voie, que le désastreux système
scolaire français m'avait persuadé d'emprunter et c'est Marianne qui m'a sorti
de l'ornière en me suggérant d'aller enseigner, ce que je fis en septembre 75
et que j'ai raconté dans les épisodes "Maïmo" sur ce même blog
(textes à trouver dans l'historique du blog, premier trimestre 2015).
J'étais
en parallèle de cela peu impliqué aux eis, dimanches et camps mis à part,
jusqu'à ce beau jour où, alors que je venais manger le repas de midi à ce que
l'on appelait alors Broca et qui devint "centre rachi" par la suite,
je fus "embrigadé" par deux personnes que je ne connaissais pas
encore mais qui furent presque centrales pour ma vie des quatre-cinq années à
venir : Monique Elfassy et Charlie Finel.
Ils
étaient en chasse, chercheurs de "têtes" qui allaient pouvoir
"reprendre" un QG devenu désert, dans une situation de mouvement
laissé plutôt dévasté par les évènements des trois années précédentes.
J'avais
le profil : il fallait ne pas chercher à gagner d'argent, être prêt à consacrer
un gros mi-temps à l'engagement juif au sein des e.i.s, et accessoirement avoir
des capacités un peu éducatives, un peu organisationnelles, et un peu de
charisme.
Nous
fîmes rapidement affaire et je sais gré à mon environnement familial de n'avoir
manifesté aucune réticence, aucune opposition.
Je
travaillai au QG trois ans, et ce furent trois "grandes" années.
Nous
étions au début surtout trois, après que - si mes souvenirs sont exacts, Alain,
à l'aide ! - Michel Latino et Mimiche Sicsik aient terminé leur fonction en
septembre.
En
septembre 76 s'était déroulé une nouvelle fois un grand stage (mais plus petit,
dans un mouvement plus décimé) au Mont Dore.
J'y
faisais mes débuts en tant que formateur, mais je crois que je n'étais pas
encore en glorieux poste de "responsable national branche cadette",
tandis que Michel et Mimiche étaient en fin de parcours, et qu'Alain avait déjà
pris ses fonctions.
Dans
un premier temps, nous dirigeaient principalement Monique et Charlie, assistés
de Nicole Kauffmann et de quelques tenaces qui n'avaient pas été emportés par
les flots tels J.P. , Alain Silberstein, Buisson, Jacques Pulver, et qui
passaient de temps à autre nous assister, nous corriger l'azimuth. Le
secrétariat existait, Paule commençait à exercer ses fonctions de comptable,
mais il n'y avait par exemple plus d'argent pour payer un offsettiste ( le travail
au QG comprenait une importante part d'écriture de circulaires et de projets,
et de publications de journaux, brochures pédagogiques, méthodes, formulaires
d'inscriptions à activités) et nous faisions tout nous-mêmes, quand même un peu
soutenus - et formés au chevauchement de la machine - par l'ancien offsettiste
(qui revint bientôt) Christian Guesdon, zal.
Nous
avions une lourde tâche, celle de reprendre une production qui avait été riche
et intensive, de l'époque de Raphi Bensimon, Daniel Robinsohn, Gilbert Dahan
pour ne nommer qu'eux et dont les quelques archives que j'ai conservées
témoignent de l'énergie et de la qualité de leur travail.
J'ai
d'excellents souvenirs de toute cette main à la pâte qu'il fallait mettre au
jour le jour. Travailler au QG peut donner l’impression d’étre
proprié taires d’un hôtel particulier haussmannien. On
« possède » ainsi
littéralement des lieux avec escaliers, entrée, porche et cour à
l’ancienne. Qui se souvient d’Alain
passant d’une fenêtre « chien assis » à l’autre par l’extérieur, dans
le seul but de tester la résistance cardiaque de la secrétaire ? Arriver
le matin dans ce 7ème arrondissement bourgeois, saluer au passage
l’église Saint François Xavier ou l’hôtel des Invalides, ne pas entrer au café
mitoyen dont le propriétaire manifeste trop d’hostilité, saluer Madame Lucette
et sentir les odeurs vieillottes. Le soir, partir tard, parfois très tard, en
dévalant le majestueux escalier à grand bruit sans craindre de déranger qui que
ce soit dans ce grand immeuble vidé de ses quelques occupants des heures de
bureau.
J'aimais beaucoup ce rôle de coordinateur de
gens répartis sur l'ensemble du territoire et pour lesquels il fallait
maintenir (recréer) la cohésion. Cela se faisait un peu par téléphone, mais à
cette époque anté internetique, et anté téléphones portables, c'était surtout
par écrit et par l'intermédiaire de la poste que les choses se géraient.
J'aimais
beaucoup écrire (!??), puis, s'il s'agissait d'une circulaire, faire tourner la
ronéo, s'il s'agissait d'un journal, utiliser la grande machine offset qui tenait
toute une pièce du QG.
Alain
dessinait alors et illustrait ainsi ce qu'il écrivait, j'écrivais surtout,
étais préposé aux corrections de fautes d'orthographe. Nous assemblions,
collions et postions nous-mêmes tous les numéros des journaux que nous éditâmes,
Yossi pour les bâtisseurs, Contact pour les animateurs, bulletin e.i., et j'ai
oublié les autres noms.
Cette
première année, nous étions encore comme en re-création, ( et aussi d'ailleurs
en récréation, l'ambiance était à beaucoup de travail assaisonné d'énormément
de rigolade), plutôt seuls et isolés, nous "reprenions" un QG qui
avait comme subi un déluge, auquel n'avait survécu pratiquement que Madame
Lucette la concierge (qui me fit un accueil royal le jour de mon arrivée : je
ressemblais à ses yeux énormément à mon père, qui avait été "permanent
régional" vingt ans plus tôt et de qui elle se souvenait très bien !
Je restai longtemps pour elle "le fils de ouistiti" ), les
travailleurs du SSJ du premier étage, et le légendaire secrétaire de la maison
d'enfants de Laversine et son accent pittoresque.
Et
c'est à partir de la seconde année que les choses prirent de l'ampleur, en
particulier autour - et du fait - de l'arrivée d'Ami.
Mais
la cerise sur le gâteau de ce rôle de RNBC était l'organisation des camps
d'été, qui étaient un véritable challenge, hautement formateur pour l'étudiant
inexpérimenté de 21 ans que j'étais. Cela impliquait de "créer" la
grille des camps bâtisseurs (qui étaient des camps "nationaux"),
définir le budget et organiser les inscriptions, trouver les chefs de camps et
constituer les équipes pédagogiques, prospecter, trouver et louer les maisons
(les bâtisseurs campaient alors en "dur"), solliciter les intendants,
engager les cuisinières, orchestrer la préparation des camps eux-mêmes, puis,
durant le mois de juillet, faire la "tournée" de ces sept ou huit
camps. C'était un vrai travail de direction et d'organisation qui m'équipa
littéralement pour bon nombre d'activités futures (dont je parlerai
probablement un jour), c'était pas mal aussi de situations d'urgences, de
coordination,.... de coups de gueule (on m'a rappelé récemment qu'il peut
m'arriver de manifester quelque peu mes sautes d’humeur, froncer les sourcils,
hausser le ton, que sais-je encore...que l’on veuille bien me pardonner :
elles ne sont que le signe de combien je prends les choses à cœur, et un tout
petit peu aussi de quelques ascendances turques), mais aussi beaucoup de
contacts interpersonnels, d'investissement affectif, beaucoup beaucoup de
plaisir.
A suivre.
Magnifique article qui me parle, notamment la description du QG.
RépondreSupprimer"Nous" on entre en animation en 78...
Je partage surtout ton hommage à Monique qui m'a aussi marqué sans discontinuer et bien entendu Ami, dont je n'ai -comme beaucoup- jamais loupé un Oneg.