mercredi 22 juillet 2015

eis vintage - oneg animateurs, voyages en Israël


Si préparer un cours est la meilleure occasion d’approfondir ses connaissances sur un sujet donné, travailler au QG comme permanent était comme une situation de préparation constante.
Je me suis retrouvé récemment, au cours des dix dernières années dans une situation similaire, où on est seul dans un bureau, et en correspondance avec des gens que l’on cherche à former, à instruire, à stimuler, et où une bonne partie du travail consiste à trouver le moyen de communiquer à ces gens ce qui pourra les aider, les faire avancer.

A cette époque anté internet, il fallait écrire, imprimer puis diffuser, et comme je l’ai déjà décrit, tout ceci était très manuel, très physique. Au point que la partie conceptuelle était largement inférieure en quantité à la partie physique.

Je m’auto représentais carrément chevauchant au jour le jour la ronéo ou l’offset, et le QG m’a été une véritable école de formation à la frappe, la mise en page, l’illustration, la PNAO en quelque sorte (publication non assistée par ordinateur).

Ami pillait généreusement le jewish catalog pour parsemer ses publications des petits dessins qu’il y trouvait, Alain dessinait et je me souviens surtout de découper, coller, et « chevaucher » les diverses machines.

Mais nous cherchions aussi comment rencontrer nos « cibles » et c’est de cette recherche que naquit l’oneg, dont j’ignore s’il s’est poursuivi, ou dans l’affirmative, combien de temps il s’est poursuivi après mon départ en Israël, en été 81.

Il ne s’agissait de rien d’autre que d’une rencontre bi-mensuelle de fin de shabbat, au cours de laquelle on ferait des activités similaires à ce qui se fait à l’oneg shabbat dans n’importe quelle structure de vacances, mais en la rendant adaptée à des jeunes de 17 ans. Alors que l‘on opta pour une structure en quatre parties : cours, chant de zmirot , encore cours et havdallah, il faut bien conclure que ce n’est pas du programme – peut-être très peu attrayant en lui-même pour des lycéens en fin de parcours ou des jeunes étudiants -  que vint le succès.

Le succès vint incontestablement de la « catalisation » opérée par le lien Alain, Ami et moi. Il ne s’agissait pas d’une entente extraordinaire, nous avions pas mal de conflits, pas mal de discordes, mais nous étions attelés à la même tâche, à la même quête : accroître le souci de transmission auprès des animateurs, et ceci afin qu’eux puissent faire de même avec leurs ouailles.
On chanta donc des zmirot, sur base de la brochure que nous avions (que j’avais) rénovée et tirée en quelques dizaines d’exemplaires, et que l’on « lançait » ainsi, Ami entreprit de faire vivre dans la conscience du judaïsme de diaspora les figures majeures de la Bible (le Nakh’. La plupart de ceux qui sont allés au talmud Torah ont pour la plupart entendu parler des figures de la Torah, et quasiment pas de celles de la suite du récit biblique…et la plupart des animateurs n’étaient pour ainsi dire même pas allés au talmud Torah), et je pris sur moi (en partage avec Alain ? j’ai oublié) la paracha de la semaine.

A cette époque, nous habitions Boulogne et nous allions chaque semaine au cours de Lévinas, le samedi matin après l’office à l’Enio. Le cours de Lévinas, l’enseignement de Lévinas, m’auraient très certainement atteint sans cet oneg, tant ils ont été formateurs si ce n’est vitaux pour moi, tant ils m’ont accompagné longtemps (jusqu’à aujourd’hui), mais j’aurais probablement écouté énormément plus passivement si je n’avais eu à faire moi-même un cours dans la suite de l’après-midi. Je ne pense pas que mon cours ait été une pure retranscription de ce qu’avait dit Lévinas le matin même, peut-être simplement du fait que je ne comprenais pas toujours ce qu’il enseignait, ne trouvais pas automatiquement matière dans son enseignement à transmettre un message signifiant aux animateurs qui étaient l’auditoire, mais ce cours de l’après-midi à Ségur est indissociable dans ma mémoire du cours du matin et du trajet à pied, par l’avenue de Versailles, le boulevard Exelmans, le pont Mirabeau et les rues et avenues du 7ème et du 16ème que l’on suivait sur le trajet. 

Je me souviens que je ne m’occupais pas uniquement de ce que j’allais avoir à dire, d’autant plus que je n’étais pas tout seul (au début avec Marianne, plus tard, avec Marianne et Ayala qui n’a aucun souvenir de combien elle nettoya de ses habits de bébé le sol de la grande salle de Ségur, allant de l’un(e) à l’autre  des présents assis en rond), mais ce trajet d’une heure et quelques me servait à la mise en place de mon intervention…et j’aimais beaucoup cet exercice.

Cet oneg était un peu notre « réunion d’intellectuels » à nous, sans que je ne fasse jamais jusqu’à aujourd’hui la comparaison, mais je suis un peu frappé aujourd’hui par ce parallélisme. Le cours de Lévinas n’était pas seulement un cours, c’était un évènement parisien, peut-être comparable aux séminaires de Lacan. S’y pressait toute la foule des admirateurs, intellectuels juifs, étudiants en philosophie, pontes de la communauté de l’Alliance Israélite Universelle, et les « prolétaires du savoir et du monde juif » que nous étions assistions au spectacle, la plupart du temps assis sur les strapontins du poulailler qu’on voulait bien nous laisser. La disposition de la salle était rituelle. Lévinas, au centre, entouré du président de l’AIU, Jules Braunschvig, une très sérieuse édition bilingue hébreu anglais (Rosenbaum, Silbermann et al) de la Bible (et commentaires) majestueusement ouverte sur les genoux, du directeur de l’ENIO, Monsieur Sarfati, qui avait succédé à Lévinas, et de quelques notables, parmi lesquels nous n’identifiions qu’Albert Simon, l’inénarrable météorologue de la radio à la voix chevrotante. Face à Lévinas, un élève de l’école, celui à qui incombait le rôle d’interlocuteur. Il s’agissait en général d’un élève de ce qui était appelé la « section spéciale », composée d’élèves marocains qui avaient sucé la Torah au biberon au point de la connaître réellement par cœur pour certains d’entre eux, particularité dont Lévinas se réjouissait et rappelait régulièrement avec admiration. Il lisait le texte, Rachi, et Lévinas parlait. Autour, en cercle, les fidèles, les élèves – pour lesquels le cours était visiblement obligatoire, et superflu, et qui souvent chuchotaient entre eux, et quelques juifs anonymes dont nous étions.

Notre oneg, toutes – et elles sont nombreuses – proportions gardées, était un peu la réplique de cela. Nous étions aussi en rond, et le fonctionnement s’il n’était pas rituel, n’en était pas moins régulier. Nous avions aussi nos « fans », nous étudiions très sérieusement, et chantions, l’ambiance était incomparablement plus chaleureuse ici que là-bas, et le tout se terminait par la havdalah, comme de longues années durant, notre communauté du samedi après-midi à Servandoni était aussi scandée par la même havdalah. A Ségur comme à Servandoni, la havdalah était à la fois le signal de clôture de la séance « religieuse », et la séparation, entre l’activité officielle, activité des adultes et celle des jeunes, dîners débats ou simple sortie de samedi soir, au cinéma ou ailleurs.  

Ici, même si nous étions probablement les aînés aux yeux des animateurs, nous étions cependant très proches d’eux, en âge et en phase de vie, et c’étaient de véritables situations d’ éducation du jeune par le jeune. Au presque même chapitre que cet oneg étaient les voyages en Israël.


Je n'avais alors aucun souvenir du voyage en Israël pour un groupe d'e.i.s qu'avaient mené mes parents en 1957. Je savais qu'ils étaient partis pour un mois l'été de mes deux ans. On m'a souvent raconté comment, alors que je passais le mois à La Troche aux bons soins de mes grands-parents, dans cette maison d'un tout petit quartier résidentiel du plateau de Palaiseau, dans laquelle je devais par la suite passer tous mes dimanches jusqu'au commencement de mes activités d'animateur,  je montrais chaque avion qui passait dans le ciel et disais que mes parents s'y trouvaient.

Plus tard, il a continué de ci de là d'être question de cet épisode, dans lequel par exemple se trouvait Monique, celle précisément qui m'envoyait diriger à présent mon propre voyage.

C'était l'été 1977, et il apparût bientôt que Marianne n'en serait pas, étant dans l'impossibilité de se soustraire à un des stages du parcours des études de médecine.

Tandis qu'Alain emmenait des pifs, et fit ainsi connaissance avec Ami encore avant son arrivée au QG, je partais avec une troupe d'animateurs. Les photos témoignent de combien le groupe se comportait de vrais eis, qui restèrent par la suite impliqués, si ce n'est fortement impliqués (jusqu'à devenir président du CA !).

Ces voyages ont eu beau se multiplier sous l'influence d'Ami, j'ai l'impression, peut-être très subjective que toute personne ayant participé à un d'entre eux en est resté très fortement marqué. Je sais qu'il en est ainsi pour ceux qui partirent en 1969, et je sais que mon grand-père a une petite part dans ce qui marqua ceux qui firent le voyage en 1979 : cette année-là, le trajet contenait une attraction particulière qui était la traversée en bateau depuis Venise "comme jadis". La ligne existait encore et cet exotisme d’anachronisme avait attiré mon grand-père qui était plutôt phobique des vols en avion, et qui se retrouva sur le même bateau que le groupe e.i., cette année sous la responsabilité de Bruno.

Mon grand-père était un personnage haut en couleurs, qui était relativement connu dans les milieux juifs de l'époque, du fait de ce qu'il appelait "sa propagande", et dont je reproduis ici - en exclusivité -  quelques extraits :

les papiers étaient distribués pliés en quatre et ils étaient multicolores : chaque couleur dédiée à un public particulier..




 Il avait ainsi résolu de consacrer sa retraite à l'écriture de textes voués à la lutte contre l'antisémitisme. Il écrivait des textes, une partie destinée aux juifs, une partie aux chrétiens, dans lesquels il enseignait, rapportait, citait, expliquait, mais rappelait surtout que le christianisme descend du judaïsme, ce qui faisait apparemment à ses yeux de l'antisémitisme occidental une effroyable méprise, et ce qui devait être pour lui l'argument majeur, et suffisant, pour empêcher un bon chrétien de la fin du vingtième siècle de « tomber dans l'antisémitisme ». Fasse le ciel que cette "éducation" eut pu suffire ! Aurais-je dû hériter d’un pareil optimisme ?

Il écrivait ces textes de la manière la plus candide possible, et, ainsi qu'il le spécifiait lui-même, comme un homme du quatrième âge, qui avait reçu son éducation au lycée allemand d'Istanbul (alors Constantinople), ce qui expliquait non tant la lourdeur du style, que le caractère excessivement touffu de la mise en page. Chaque centimètre carré y était utilisé, il imprimait lui-même (ce qui faisait que grand-père et petit-fils avaient en commun la pratique quotidienne de la ronéo - mais sans que ni l'un ni l'autre n'aient conscience de ce parallélisme), et il diffusait de ses propres mains. Il envoyait à toute la France par la poste, et distribuait lui-même ses papiers aux publics des conférences et cours qui avaient lieu à l'époque sur la place de Paris. Il se livra à cette noble activité pendant environ vingt ans, l'ayant encore poursuivie depuis Israël, où mon père, son fils, l'avait emmené finir ses jours, à 92 ans. Il vécut encore cinq ans en Israël, lucide jusqu'au dernier moment.

Cette année 1979, alors qu'il habitait encore Paris,  il rendait visite à mes parents, installés depuis un an à Jérusalem et, alors que nous étions aussi de la partie, il choisit de se joindre à la traversée tandis que Marianne et moi faisions le détour par l'Italie et la Grèce. Le voyage en lui-même fut peut-être un peu coloré par sa personnalité turque mais l'arrivée à Haïfa surtout fut mémorable, quand il s'avéra que son passeport n'était pas en règle. Mon grand-père avait le triste travers de donner en de pareilles occasions beaucoup de voix, et cette fois n'échappa pas à la règle.

Quant au voyage que je dirigeai, l’été 1977, il fut très riche au plan géographique et touristique. Nous passâmes de Roch Hanikra, Akko, à Haïfa, au Golan, au lac de Tibériade, au Sinaï (monastère de Sainte Catherine atteint à pied aux petites heures du matin, et plage de rêve à Ras Mouhamad, Daab et Noueba), en incluant au passage quelques jours de volontariat à Netivot, quelques heures à Tel Aviv et Jérusalem, logés dans les sempiternels kyriat Moria, hotel Ambassador, et autres adresses fixes des séjours touristiques façon agence juive, transportés dans le pays dans un autobus standard et pour le golan et le Sinaï, dans des antiquités branlantes. Les paysages, avec ou sans levers et couchers de soleil, étaient fantastiques, mais surtout nous faisions nos premiers pas à pied sur les chemins caillouteux, dans les piscines naturelles et au milieu de la nature de ce si beau pays. Nous étions escortés de Yaël (Samuel), la madrikha "israélienne" du modèle classique, c'est à dire ancienne e.i. ayant fait son alyah quelques années plus tôt et se faisant de l’argent de poche en travaillant l’été à encadrer des groupes , du guide, du chauffeur, et de l'infirmier, patibulaire, et équipé de la trousse premiers secours sur une épaule et du célèbre "ouzi" sur l'autre, l'un et l'autre lui garantissant le succès absolu auprès des participant(e)s, surtout après qu'il ait entrepris de sortir une écharde du pied d'un participant, avec une aiguille - non stérilisée - pendant que l'autobus cahotait sur les pistes du golan. (Frankie me signale après lecture de ce post une maligne participation de mon inconscient : le personnage en question ne portait aucun ouzi...il s'appelait juste...Ouzi!). Comme à l’accoutumée, se joignaient aussi pour une partie du voyage tel ou tel e.i. de passage en Israël, et c’est de cette manière que Frankie fut avec nous une partie du temps, ajoutant tout le « poids » de son incomparable présence.

Je partais vraisemblablement un peu inquiet puisque je réussis, dans les quelques jours des derniers préparatifs, entre le retour de la tournée de camp et le départ, à me retrouver le corps en angle droit, coincé et immobilisé par une sciatique foudroyante...dont je ne sortis que du fait de l'adresse du chiropracteur dont mon (autre) grand-père avait toujours loué les mérites au grand dam du reste de la famille. Il s'arc-bouta sur moi, d'une manière aussi déterminante que  l'intervention du kinézithérapeute interprétée par Gotlib dans la « rubrique à brac » (tome 4 pages 42-43, images déconseillées pour les âmes sensibles), et me remit à la verticale. Entre temps, Monique avait remué ciel et terre pour me remplacer et cela nous fit y gagner la présence de Mickey, je crois pendant tout le voyage. Voyage qui fut ainsi très riche au plan humain, au plan relationnel et dont j'ai gardé dans l'ensemble de très bons souvenirs, de bon nombre de situations, avec beaucoup de gens, dont certains ont même profité de ce post pour reprendre contact ou ajouter une correction....ce qui est un des buts de ces récits.

Le mois comporta aussi l'inévitable sucrerie du « zouave » qui réussit à perdre son passeport au cours de l'escale à Athènes, et qui n'est donc plus autorisé à passer le contrôle avant de remonter dans l'avion", mais cet incident mis à part, ainsi que celui de la dramatique et soudaine sueur massive de l'animateur (troyen) déshydraté et desséché dans le Sinaï, tout se passa de façon optimale, et se conclut par une mémorable séance de projection diapos après notre retour, un soir chez nous à la maison, séance qui permit aussi de revoir la beauté des paysages, la force de la lumière de l'été en Israël, et les souvenirs du bronzage si rapidement évaporé, et surtout de reprendre une petite dose de l’ambiance e.i.

La question est de l’impact. Ces voyages semblent avoir un très fort impact sur le lien à Israël, et peut-être est-ce avant tout une qualité du pays, qui réussit à conquérir le cœur de beaucoup de ceux qui le visitent. Ces voyages sont-ils éducatifs ? ils sont probablement jugés comme tels à en juger par l’initiative « taglit ». Il est presque certain que les participants soient rentrés à la maison plus marqués que s’ils étaient partis en Suède ou en Tanzanie et il est tout aussi probable que c’est du lien de chacun en lui avec ce pays, du fait de l’identité juive, du fait de l’allégeance au peuple juif que provient en premier lieu cet effet. 

    

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