lundi 13 juillet 2015

les e.i.s ne sont pas un patronage


LES eis ne sont pas un patronage. Cette devise est cousue en lettres d'or sur les chemises d'uniforme, au fil des générations, au delà des exigences de la mode. La couleur et la forme de la chemise changent, l'insigne est parfois en métal, parfois en tissu, mais la phrase est immuable.

Lévinas explique que Rosenzweig n'est pas cité dans son livre "totalité et infini" du fait qu'il est présent à chaque ligne du livre. Ainsi en est-il de cette devise pour le crédo e.i..

Les animateurs de tout groupe local de l'hexagone, année après année, sont viscéralement blessés quand les parents d'un enfant absent toute l'année aux activités viennent l'inscrire pour le camp. "Quoi ?" répliquent-ils : "nous confondre avec un centre aéré ? avec une garderie ?".

Se tiennent ainsi régulièrement ( ou irréguliérement, du fait des problèmes de budget, ou de discontinuité à l'équipe nationale ) les conseils nationaux, préparés avec le plus grand soin, à grand renfort de publications, de réunions, de sollicitations, de créativité pour Adonner un titre hautement signifiant, et chaque fois différent et innovant, à la réunion. 

Chaque CN n'est aucunement "encore un CN" au cours duquel viennent bailler quelques retraités oisifs. Chaque CN pour ceux qui le préparent activement puis y participent, est unique.

Un observateur neutre et éloigné lirait ces quelques lignes avec aux lèvres un sourire indulgent. Il consulterait les publications du CN de 1973, de 1977, de 1985, de 1989, de 1994 de 2001, (comment vais-je avouer que je ne sais plus quand il y a eu un ou plusieurs cns depuis 2001...?) et il ne trouverait que de vagues modifications d'une fois sur l'autre. (Addendum :Un lecteur attentif - et qui montre par là combien le mouvement est entre de bonnes mains - me rappelle que la commission judaïsme de 2001 a inclus à sa motion un passage relatif aux "nine eleven" qui s'étaient produits deux mois plus tôt, et qui annonçaient des changements tant à l'échelle mondiale qu'au niveau du judaïsme. Quatorze ans plus tard, force nous est de constater que les changements ont eu lieu, et qu'être juif dans la France de 2015 est un peu différent de dans la France de la seconde moitié du vingtième siècle. Être israélien aussi est différent, mais peut-être dans un meilleur sens ? Merci en tout cas, Jérémie, qui partageait avec moi - et Dorit - la responsabilité de cette commission et qui continue plus que jamais son engagement e.i.. très certainement aux CNs de 2009 et 2014 auxquels je n'ai pas participé, et surtout dans sa nouvelle fonction de président du CA du mouvement).

Pire, il serait peut-être le seul à avoir lu ces textes religieusement imprimés, des motions soigneusement aboutis par les commissions puis votés par l'assemblée pleinière, en général aux petites heures du matin. 

J'ai participé aux CNs mentionnés ci-dessus (hormis bon nombre de débats de celui de 1989, qui se tenait pourtant à Jérusalem, mais aussi précisément de ce fait : je n'avais pas pris de jours de congé et devais être à mon travail...). 

Je me souviens avoir été personnellement plus qu'engagé pour chacun d'eux. De façon plus globale pour celui de 1977 que j'ai préparé depuis mon bureau de permanent au QG, de façon plus modeste pour celui de 1973 qui était mon premier, et de façon plus partielle pour les autres où je n'avais la responsabilité que d'une seule commission, mais j'ai autant été émotionnellement impliqué dans tous les cas. 

Je confirme - et avoue ici bien piteusement - que jamais au grand jamais je n'ai par la suite relu les dites motions. C'est un peu comme relire son contrat de mariage, ou le contrat d'achat de sa maison. Qu'il n'ait pas été écrit, lu, corrigé ligne par ligne et c'est comme si les choses ne s'étaient pas faites, mais qui va ensuite le relire ? 

Quel ménage se mène en fonction du contrat qui le détermine ?

Les responsables eis de toute la France, réunis solennellement en général pendant trois jours, en nombre proportionnel à la quantité d'enfants qu'ils représentent, mettent toute leur énergie dans ces motions que chaque commission prépare, ils défendent chaque virgule comme si leur vie en dépendait, avec autant de passion concernant la commission scoutisme que la commission Israël, ou judaïsme, et quand chacun rentre chez soi, les motions sont soigneusement mises au classement vertical, chez certains sur le chemin de la poubelle à plus ou moins brève échéance, chez d'autres, plus mordus, plus yeke, plus historiens, ou plus sentimentaux, sur les étagères les plus élevées de la bibliothèque du salon. Mais personne ne les relit sauf quelques éspèces rares.

Le CN, ce n'est pas une question de documents ! c'est la réserve en oxygène. On ne lit pas l'oxygène, on l'inspire, on s'en nourrit.

Ami Bouganim, philosophe, écrivain et militant du peuple juif, avait été ei, au Maroc surtout et peut-être un peu en France pendant qu'il avait été à l'enio, chez Lévinas, avant de faire son alyah après son baccalauréat.

Quelques 9 ans plus tard, en ce mois d'octobre 1977, à la veille du CN il arrivait au QG en tant que chaliakh', délégué par l'agence juive en tant qu'israélien francophone, pour passer deux ans - ou trois si affinités - en notre compagnie.

Il reçut en gros l'accueil réservé à un chien qui débarque dans un jeu de quilles : les participants ont chacun un chien, sont en gros tous amis des chiens, "pour les chiens", mais "pas maintenant ! pas sur le terrain!". Ainsi en est-il aux eis du chaliakh'. On veut beaucoup en recevoir un, on a de très bons sentiments autour du mot Israël, mais "qu'est-ce qu'il croit celui-là ? ici, c'est pas Israël ! ici, c'est pas un mouvement sioniste ! c'est un mouvement pluraliste et EN AUCUN CAS une agence de l'agence juive."

Ami s'étant prudemment encore tu lors de ce premier contact, le premier clash se produisit à l'issue des derniers débats, quand, une fois tous les congressistes repartis dans leurs autobus respectifs, nous nous retrouvâmes quelques permanents et affiliés, occupés à remettre tout en état, balai à la main, et qu'Ami nous signifia qu'il n'était pas venu d'Israël pour balayer, mais pour avoir un rôle éducatif. Le non-dit sous-jacent à cette phrase lapidaire nous apparut comme une vaste critique de tout l'ensemble et, comme les dignes élèves d'une école communale de quartier, nous commençâmes quasiment à nous battre comme dans la cour de récréation.

Encore une fois, peut-être un des présents, par exemple s'il était historien, pourrait faire remonter cet accrochage à tel ou tel thème du CN lui-même. Je crois quant à moi qu'aucun sujet n'aurait été suffisant à nous faire ainsi nous accrocher, aucun autre sujet que la rencontre. Rencontre entre le monde extérieur et les eis.

Ami, Alain et moi, Bruno après moi, Jean-Charles, Monique et encore quelques autres avons par la suite travaillé de longues années avec Ami, et se sont créés entre tous ces protagonistes des liens différents selon les caractères et les affinités réciproques, mais ces liens furent tels que beaucoup de travail et beaucoup de réalisations purent en découler. Mais la rencontre ne coulait pas de source, et cela n'est que quelques bons mois plus tard qu'Ami commença à dire à voix haute que les eis ont surtout comme constante d'être et de demeurer à très forte concentration d'élément humain de très haute qualité. 

Alain, Monique et moi en particulier avions littéralement préparé ce CN de nos mains et à la sueur de nos fronts, à grands renforts d'heures des jours et des nuits, de réunions, d'étude (avec le rav Chouchena, avec Tim Herzberg, avec Bertrand Klein), d'écriture et de téléphone, et il était un peu notre bébé. Et nous étions en phase de rencontre, et Ami réagissait probablement à l'accueil qu'il avait ressenti dans tous les pores de sa peau, et nous étions tous exténués.

J'avoue ne plus pouvoir dater l'arrivée et le départ de Mikado (Maxime Hayot), qui fut présent, en tant que commissaire général, au cours de ces années 1976-81. Je dirais qu'il n'était pas encore là à ce CN, (ici aussi : SOS historien !) mais il faut avouer qu'il ne fut pas central dans la dynamique du QG de cette époque, ou en tout cas que peu de mes souvenirs incluent sa participation. 

J'ai pris sur moi à un certain moment le projet de réimprimer et rénover, et pudiquement augmenter, une très bonne brochure de zemirot produite en son temps par Gilbert, et je me souviens que ce projet lui tenait à coeur, mais à part deux mémorables séances de violente prise de bec, une entre lui et moi, et une autre, plus déplorable (du fait du bas niveau d'argumentation auquel était arrivé l'adversaire) entre le tenancier du café voisin et lui, je n'ai que peu de souvenirs de sa présence.

Les évènements marquants de ces années de travail à base d'Alain, Ami, Monique et moi furent à mes yeux les quelques stages de formation, quelques réunions nationales, les voyages en Israël qu'Ami suscita - et organisa -, et l'oneg shabbat. Je parlerai plus tard de ces voyages et de cet oneg.

Ces souvenirs encore une fois sont indissociables de lieux, parmi lesquels il est impossible de ne pas citer le foyer Médicis, restaurant universitaire cachère face au jardin du Luxembourg, dont Bertrand était le gérant à une époque et où nous mangions quand il ne nous livrait pas les repas, le restaurant Gagou, qui était littéralement l'annexe de l'appartement d'Ami, et le fameux 41. 

Au 41 rue du faubourg Montmartre, à deux rues du restaurant chez Gagou, au centre de ce qui était alors le quartier juif de Paris, laissant la traditionnelle "rue des rosiers" bien loin en arrière, vécurent plusieurs années en communauté en particulier Wanda, Alain et Philippe Marx.

Ce dernier était strasbourgeois, Alain et Wanda étaient nancéens, et ils étaient montés à la capitale, pour entamer leurs vies d'adultes, en vivant pour cent cinquante pour cent de leur temps la vie e.i. et en étant quand même inscrits à la fac pour pouvoir justifier de l'utilisation de cartes d'étudiants.

Aucun doute, si la technologie avait été de l'ordre de ce qu'elle est aujourd'hui, que le QG aurait été de facto transféré au 41. C'était presque plus là-bas que vibrait le mouvement, tandis que les circulaires et les téléphones provenaient quand même du 27 avenue de Ségur.

J'ai l'impression qu'Alain a dû passer plus de temps à Ségur quand il est allé fouiller dans les archives pour ses recherches que durant ses années de QG.

Je fréquentai aussi assez souvent le 41, en particulier le matin où ma journée commençait chaque semaine par un cours de talmud du rav Frankforter rue Cadet, et où je me rendais ensuite pour le petit déjeûner..qui se prolongeait parfois tard dans l'après-midi. Beaucoup de gens y furent bien plus assidus que moi et il reste dans de nombreuses têtes comme Les Prés ou le Mont Dore.

Le chateau de Laversine fut aussi le lieu de quelques séances mémorables, telles ces journées de préparations de camps qui se tinrent dans le parc et les prėfabriqués en avril 78 il me semble, et cette réunion d'équipe nationale qui se tint dans le château lui-même, et où Marianne et moi, seul couple marié à cette époque, reçurent magistralement la chambre de la comtesse.

C'est aussi à cette période que Shlomo, alors en poste de relais à Paris de   l' historique organisme Nativ, auprès du consul d'Israël en France de l'époque,  Itshaq Michaéli    (dont l'irremplaçable google m'apprend la disparition le mois dernier, prit contact avec nous et nous demanda de trouver des couples qui partiraient en URSS, , de l'autre côté du rideau de fer de l'époque,  en voyage payé, afin de rencontrer  des refuzniks et de leur apporter du matériel  sioniste méthodes  d'apprentissage  de l’hébreu, stylos, sidourims, livres et  colifichets israéliens).   L'histoire de ces voyages a été mise en film ("les interdits" de Anne Weil et Philippe Kotlarski.2013) et elle n'a en fait jamais été officialisée ni répertoriée dans la liste des actions menées dans le cadre du mouvement, alors qu'en fait sont partis  beaucoup de couples eis (les eis furent l'organisme français juif qui envoya le plus  grand nombre de couples, qui s'acquittèrent tous de leur tâche de façon exemplaire, rapportent aujourd'hui les commanditaires de l'époque), et alors qu'il s'agissait dune réelle action miliאante au soutien des juifs d'URSS, à l'époque interdits d'alyah si ce n'est de judaïsme. Nous chantions alors à chaque rencontre "trois millions de nos  frères vivent là bas dans une cage de fer" qu'avait écrit et que chantait Bertrand en  collaboration avec Bernard Sztybel, et ces voyages permirent à ceux qui partirent  d'avoir eu  un avant goût en "live" de ce qu'était la vie dans le monde soviétique  d'avant  la chute du rideau de fer, et de qui étaient ces réfuzniks.

Marianne et moi partîmes ainsi à Leningrad ( qui ne s'appelait alors pas Saint Petersbourg) et Moscou pour Noël et jour de l'an, fin 1977. Nous faisions partie d'un groupe "tourisme et travail" de bons français, probablement communistes ou aveugles sympathisants du socialisme à la russe, et qui s'étaient offerts ce voyage par l'intermédiaire de leur comité d'entreprise. La rencontre avec eux ne fut pas le moindre exotisme de ce voyage, duquel je ne saurais dire que je n'ai aucun souvenir touristique (nous visitâmes l'Ermitage, nous allâmes à un spectacle de danse russe, on nous parla en long et en large de la "perspective Nevski", et j'ai relativement beaucoup de souvenirs visuels, parmi lesquels souvenirs des monuments, souvenirs de la construction massive à la soviétique, mais aussi souvenirs des femmes de cinquante ans occupées à des tâches d'entretien de la chaussée enplace de cantonniers, des kiosques dans lesquels on ne semble rien vendre d'autre que du poulet, des magasins aux rayonnages vides, et l'aspect terriblement vieillot de tout et en particulier les chambres d'hôtel par lesquels nous passâmes. 

Plusieurs épisodes sont ainsi restés gravés dans ma mémoire. Certains relatifs au voyage en lui-même comme par exemple ce bonhomme qui avait entrepris un voyage en URSS au coeur de l'hiver et ne s'était même pas muni d'un mantreau, comme par exemple le contraste entre le magasin pour touristes et le "grand magasin" Goum, mais j'ai surtout des souvenirs relatifs à notre "mission". Tout d'abord le choc que nous eûmes lors de notre première visite dans l'appartement de Youli Karoline à Léningrad. Non seulement nous réalisâmes qu'ils avaient un meilleur hébreu que le nôtre, mais surtout, au fil de la conversation, entre deux questions sur Israël, ils parlèrent soudain de leurs voisins, avec lesquels ils disaient partager cuisine et salle de bains et wc. Notre guide, de l'Intourist, l'agence officielle soviétique de tourisme, nous avait précisément raconté avec fierté le même jour comment, malgré le peu de temps écoulé (30 ans !) depuis la guerre, il n'y avait plus aujourd'hui d'appartements collectifs. Et nous avions tellement "gobé" sa propagande qu'il fallut nous prendre par la main dans l'appartement et nous montrer concrètement combien la réalité était éloignée de la version officielle "pour touristes".

Ensuite, l'impression d'être suivis et surveillés constamment, avec le téléphone qui sonne dans la chambre d'hôtel (le film témoigne très bien de cela), et l'individu qui suit partout notre groupe comme le montre la photo.

on peut distinguer le patibulaire individu assis au volant. Cette voiture stationnait ainsi partout où nous nous trouvions.

 On m'a reproché d'avoir pris cette photo. Peut-être effectivement me suis-je alors réellement mis en danger. Je n'ai pourtant pas le souvenir d'avoir ressenti quelque chose de tel.

Le passage de la frontière ne fut facile ni à l'aller ni au retour (et certains, tel Alain, se sont fait refouler. Il laissait implicitement Wanda continuer seule puisqu'officiellement ils n'étaient pas ensemble ) mais je ne me sentis pas réellement menacé. Je me souviens comment à l'aller, le douanier ouvrit ma valise, fouilla un peu, prit soudain en main mes tefilins et que je lui dis, encore avant de l'avoir décidé : "c'est à moi!" en français dans le texte et sur un ton involontairement autoritaire. Bizarrement, il s'exécuta, reposa mes tefilins dans la valise et me laissa continuer ma route. Une semaine plus tard, je me souviens juste du soulagement ressenti après que l'avion du retour ait décollé, et la résurgence de l'angoisse quand on nous annonça que l'on allait avoir une escale à Varsovie. Moi qui avais grandi bercé par les récits familiaux accablants sur la Pologne, crus alors que le cauchemar recommençait. J'eus la bonne surprise de me sentir à l'aéroport de Varsovie comme en Europe. On pouvait même commander du jus d'orange au café. À Moscou, on ne vendait que de la charcuterie, de l'eau gazeuse et probablement de la vodka.

Nous rentrions allégés de tout le matériel que nous avions emporté dans les poches intérieures (ajoutées pour la circonstance) de nos manteaux, alourdis de toutes les impressions - et de quelques photos de tout un document dont je n'ai jamais su la teneur mais pour lequel on m'a aussi copieusement fait des reproches - , surtout soulagés d'avoir pu rentrer sans ennui, et conscients d'avoir oeuvré, de n'être pas membres d'un centre aéré mais d'un réel mouvement d'éducation et de militantisme juifs.


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