jeudi 31 juillet 2014

lettre ouverte à un(e) ami "de gauche"

Je m'adresse à toi sans vraiment savoir si cela aura un résultat, si je recevrai une réponse, si un quelconque dialogue peut émerger entre des individus que parait tenir éloignės l'un de l'autre au moins un océan, si ce n'est un univers.

Je m'adresse à toi en souvenir d'un passé qui n'est pas si éloigné et où j'avais l'impression qu'au plan politique, nos idées n'étaient pas si éloignées.

Je parle d'idées de gauche, d'idées en vertu desquelles, l'individu refuse de rester passif devant les inégalités, devant la pauvreté, idées qui poussent à manifester et à agir contre les discriminations, idées auxquelles je souscris.

Idées auxquelles je souscrivais, mais non sans avoir déjà constaté à l'époque que ceux qui partageaient ces idées se retrouvaient souvent face à moi dès qu'il s'agissait du moyen orient.

Ces idées semblaient pousser un bon nombre de ceux qui s'en revendiquaient à voir en les palestiniens ceux qui faisaient au moyen orient les frais de ce qu'ils détestaient, l'impérialisme, le colonialisme.

Je suis quant à moi venu m'installer en Israël en raison de priorités personnelles. J'ai adhéré à la conviction que cet endroit est celui qui est le plus propice à ce que je puisse me réaliser au plan personnel, tout en n'ayant aucune entrave à l'intégration de mon judaïsme à ceci, j'ai acquis depuis le plus jeune âge la conviction que la Torah n'est pas uniquement une religion mais aussi qu'elle prône un mode de vie, et qu'elle a de tout temps été le livre d'un peuple qui aspire à créer une collectivité, un état en Israël.

Depuis la fin du 19ème siècle, ceci s'appelle le sionisme, cela n'a à mon sens, à son point de départ aucun lien ni avec du colonialisme, ni avec de l'impérialisme, ni avec une situation d'inégalité ou de ségrégation, même si je sais que la concrétisation de ce sionisme nécessite de surmonter un obstacle de cohabitation.

J'ai vécu ces trente trois dernières années en Israël, je m'y suis développé personnellement, professionnellement, nous y avons élevé des enfants Marianne et moi et j'ai trouvé ici énormément de raisons de m'y plaire, ã de multiples niveaux, tout en sachant que la question de notre cohabitation avec les palestiniens n'est toujours pas réglée, tout en ayant cette question sempiternellement présente face à nous.

Cette question n'est pas qu'une question théorique, elle nous a occasionné bon nombre de situations de belligérance, de souffrances de progressions et de régressions au fil des années, et nous voici de nouveau au cœur d'un conflit, qui n'est pas le premier.

Autour de nous, j'ai vu au long de ces mêmes années la carte du monde se modifier, des situations évoluer. J'ai assisté à la réorganisation géographique  et politique de bon nombre de pays, pays qui avaient été fabriqués par la fin de la première guerre mondiale, puis de la seconde, pays qui semblaient laïcs et qui redevenaient religieux. 

Le monde a été ponctué ces trente dernières années de bon nombre de mouvements, quand ce ne sont pas des catastrophes.

Les idées semblent avoir été bien éprouvées au cours de ces années, bon nombre de croyances se sont effondrées, quand ce ne sont pas des empires.

L'antisémitisme que l'on croyait relégué à certains extrémismes, l'antisémitisme dont on espérait que la shoah avait prouvé le potentiel désastreux, est petit à petit réapparu, d'abord par l'apparition des négationnistes de la shoah, en France et ailleurs, puis par le biais de grignotages progressifs.

Depuis quelques années des individus comme Dieudonné ont non seulement pignon sur rue, mais ont aussi un public, qui ne fait d'ailleurs pas grand cas de son antisémitisme, qui vit avec, qui ne s'en offusque pas.

Et même s'il ne manque pas de réactions, de gens pour refuser cette minimalisation, cette banalisation, cela ne semble pas être le sens du courant.

Le courant pousse dans le sens de cette banalisation, de cette acceptation.

Depuis décembre dernier, il est possible de dire "mort aux juifs" dans une manifestation à Paris, il est possible de dire " les juifs dehors", et donc, se re-pose la question du "où ?".

Dans les années d'avant la seconde guerre mondiale, il était souvent écrit sur les murs "les juifs en Palestine". Aujourd'hui, on dit "dehors". Où?

Et pour revenir sur la Palestine, nous israéliens et palestiniens ne sommes pas restés immobiles toutes ces années. Nous nous confrontons depuis plus d'un siècle à une très dure tâche : celle de trouver un modus vivendi, et au risque de détonner, dans ce contexte de conflit violent de ces dernières conq semaines, je dirais que la situation est loin, très loin d'être statique.

Quiconque vient en Israël - et même, paradoxalement pendant cette période de belligérance - peut constater combien les populations juive et palestinienne vivent ensemble, se côtoient, malgré la difficulté, malgré les réticences, malgré le mur de séparation, malgré la situation encore problématique de nombreux kilomètres carrés. 

Cela se constate dans un grand nombre de domaines, celui de la santé (hôpitaux et dispensaires), celui de l'université, celui du monde du travail, même celui des relations de voisinage, d'amitié.

Se côtoient ici et sont même en relation cordiale énormément de gens qui n'auraient pas cru que cela serait possible si on leur avait prédit un tel avenir.

La situation est cependant loin d'être idyllique. La frontière, le mur, les difficultés, beaucoup de problèmes existent. Mais il y a cohabitation, on la voit dans la rue partout.

À côté de cela, d'autres ne partagent pas ce vécu, de part et d'autre de la frontière identitaire, ne voient pas cohabitation, restent cantonnés sur des positions conflictuelles, polarisées, agressives.

Mais dans le monde, quelle est la situation ?

L'islamisme s'est énormément développé. Le come back de la religion a touché des millions de gens. Il y a eu aussi des guerres, des mouvements de masse. La guerre Iran-Irak, puis la guerre du golfe, le printemps arabe, puis la guerre civile en Syrie, et j'en oublie  malheureusement un grand nombre, puis récemment l'EI et le mouvement des sunnites qui viennent de réinstaurer un califat, qui tentent de s'approprier un territoire, qui mènent une guerre sanglante, contre les chiites, contre les chrétiens.

Notre conflit avec les palestiniens est-il le même qu'il y a cent ou soixante dix ans?

Est-il encore un conflit territorial entre une puissance colonialiste et un peuple opprimé ?

Notre conflit est-il le conflit le plus important ? Le plus sanglant ? 

J'ai l'impression à lire certains textes de Julien Salingue, à entendre des Michèle Sibony, Jacob Cohen, Stamboul et autres, que ces personnages n'ont pas remarqué combien le monde avait changé depuis qu'ils avaient 20 ans et avaient appris à manifester, à protester, à militer.

Il y a quelques années on pouvait lire sur des stickers en France "un raciste est quelqu'un qui se trompe de colère".

N'es-tu pas en train de te tromper de colère, à continuer à être persuadé(e) que les palestiniens sont persécutés, massacrés par la puissance colonialiste et impérialiste Israël ?

Ne remarques-tu pas quelles différences il y a entre Gaza et la cis-Jordanie ? Entre la situation d'un palestinien en Israël -même si énormément reste à faire - et un palestinien en Jordanie, Arabie Saoudite, au Liban ou en Egypte ou au Qatar ?

Ne vois-tu aucun vice de forme à ce que le système éducatif des palestiniens, de Gaza en particulier -mais aussi en Cis Jordanie -  appellent à tuer des juifs ? 

Es-tu bien sûr que quand un Saramago compare la cis Jordanie aux barquements des camps de concentration, quand un Erdogan compare Israël à Hitler et au nazisme, il convient d'applaudir ou même de se taire ? 

Ne soulèverais-tu pas un sourcil à la constatation (que ce conflit vient de révéler) que l'UNRWA est tout sauf une entité neutre, que les écoles et les infirmeries de cet organisme sont des caches à armes ?

Vis-tu en paix avec ces tunnels qui ont ėté creusés de manière à pouvoir étendre l'impact du terrorisme, en perpétrant enlèvements et assassinats à l'intérieur des frontières d'Israël, dans des terres qui ne sont pas les "territoires occupés" ? As-tu lu les rapports qui démontrent combien de maisons, d'écoles, d'hôpitaux aurait pu construire le gouvernement de Gaza avec l'argent et le béton utilisé à cette machine de guerre ? As-tu entendu qui a construit ces tunnels, combien d'enfants palestiniens sont morts à leur construction ?

Où des enfants meurent à creuser des tunnels au 21ème siècle ?

Est-il possible, grâce à internet, à facebook, de n'avoir vu aucune de ces images qui montrent ces enfants maniant des armes, ces camps d'entrainement militaire ? Crois-tu que ce n'est que propagande israélienne ? 

As-tu lu la charte du Hamas qui prône non la restitution de quelques territoires mais la disparition d'Israël, non pour des raisons territoriales mais islamistes ?

Es-tu sûr(e) de ne pas te tromper de colère ? 

Es-tu sûr(e) de n'avoir pas raté la station à laquelle tu aurais dû descendre, en tant qu'humaniste, en tant qu'individu qui défend des idéaux, et pour bon nombre de cas, en tant que juif(ve) ?

Bon nombre de juifs ont épousé ces idées antisionistes du fait du sentiment d'avoir été comme trahis par le judaïsme, qui aurait "dérapé" en colonialisme, en que sais-je ? 

Ces juifs ne devraient-ils pas se sentir aujourd'hui trahis non moins par cette extrême, dont il devient difficile de savoir si elle est extrême gauche ou extrême droite tant ces deux paraissent tant se retrouver, se juxtaposer ( comme par exemple quand Jacob Cohen se retrouve assis à la Main d'Or aux côtés de Dieudonné) ?

Ne devrais-tu pas reconsidérer un peu ces positions auxquelles tu es peut-être accroché(e) comme à un radeau en perdition? 

Ne devrais-tu pas te demander s'il est opportun aujourd'hui de se revendiquer précisément de l'extrême ? 

La situation des palestiniens d'Israël qui s'est énormément améliorée -  ceux pour lesquels il y a eu amélioration et ils sont nombreux - ne s'est pas améliorée ni du fait de l'acquisition de ce droit à "l'autodétermination" pour lequel milite chroniquement je ne sais qui depuis cinquante ans, ni du fait d'accord de restitution de territoires, ni du fait d'arrêt de construction dans ces mêmes territoires, ni encore moins du fait de vociférations dans les rues de Paris ou sur des plateaux de télévision.

Il ne serait peut-être pas si faux de se demander (ou de leur demander) si l'amélioration de leur situation n'est pas plutôt le fait d'une normalisation, si parfois les entreprises israéliennes installées dans les territoires ne pourraient pas plus servir les palestiniens que les desservir, s'ils ne préfèrent pas mille fois être palestiniens en Israël que nulle part ailleurs dans le monde.

Ne devrais-tu pas te demander quelle cause tu soutiens en fin de compte ? Et quelle cause tu contribues à desservir ?

Voilà les questions que je voudrais te poser, toi chez qui, avec qui j'ai grandi, toi qui crois en de belles idées qui continuent à m'interpeller, mais toi qui me parais aujourd'hui tellement aux antipodes de ce que je vis.

Me répondras-tu ? 

Aurons-nous un dialogue ?

Est-il possible ?

L'avenir nous le dira.


1 commentaire:

  1. Cher Jean, tu t'exprimes si bien que j'espere que ton texte recevra un echo, une reponse si petite quelle soit me serait tres agreable a lire...Comment dire avec des mots la douleur qui m'oppresse dans ces jours...De DROITE, ou de GAUCHE, laic ou religieux, chacun aujourd'hui combat coude a coude pour defendre le droit d'existence a Israel...
    Suis nee en Algerie,(Alger) de mon pere francais, et d'une mere d'origine autrichienne, orpheline de naissance qui grandira ,abandonnee par son pere, en Allemagne. A l'age de 20 ans, elle partira en Algerie comme gouvernante dans une famille juive et riche, elle rencontre mon pere, se marie..trois enfants viennent au monde. C'est la guerre, mon pere est prisonnier dans un camp de travail, mes freres sous le signe de l'etoile jaune sont sortis de l'ecole, et moi je viens au monde...Ma mere avec un fort accent, faisant la queue pour des bons d'alimentation sera traitee de "sale boche" par les francais et devra faire la queue avec les indigenes et les arabes...pas de lait pour m'allaiter, enterite aigue, je survivrais par une Decision Divine, nourrie d'oeufs et de pommes de terre depuis l'age de 6 mois...Les histoires, et les souffrances sont trop nombreuses pour etre ici racontees. Du cote francais la lachete, la haine, du cote musulman une amitie interessee mais aussi la trahison et les crimes.Il suffit de lire l'histoire des massacres de juifs assasines avec le laisser faire et l'indifference du gouvernement francais...Mon pere a voulu rompre avec son judaisme, la raison et la cause de trop de souffrances, mais mes grands parents vivaient avec nous alors par respect nous celebrions le premier jour des trois grandes fetes..J'etais en perte d'identite, ne sachant pas tres bien si je devais approuver ou desapprouver celui qui devait etre mon modele d'homme..J'ai eu la chance d'etudier au Pensionnat de Notre dame de Sion a Marseille (les ecoles juives n'existaient pas en 1950) mon pere voulait que je recoives une bonne education>Ayant entendu certains cours de catechisme par curiosite -J'en etais dispensee- j'ai compris combien il me manquait de reponses, et suis allee au Dror entendre d'autres sons de cloches... Je ne voulais que d'un juif pour mari et religieux..et un soir de Hanoucca la fete des lumieres, Meir (celui qui eclaire)etait venu pour accompagner ses jeunes soeurs, alors que moi j'etais venue trainee par mon frere qui ne voulait pas venir seul...Tout ce recit pour expliquer que mon parcours a ete un parcours du combatant, plein d'ideal, la jeunesse avec la fureur de changer le monde, d'introduire des valeurs, d'etre et de rester un Homme. Ainsi, nous avons eduques nos enfants...J'ai aussi, decouvert qu'il y avait en moi des sentiments negatifs que je devais combattre, et j'ai etudie plus de quinze mois le Rav Kook...je l'avoue tres humblement, je n'arrive toujours pas a comprendre et a aimer tous ceux qui se rapprochent de la gauche, qui protegent le musulman au detriment du Juif.Je comprends l'humanitaire, mais pas le sectaire. La bonte ne doit pas permettre la betise. Et lorsque la guerre est la, avec l'extremisme, le terrorisme, l'antisemitisme...tous ces "ismes" ne sont que negativisme. Nous sommes de toutes les manieres comme des marionettes dont les fils sont actionnes par des groupes politiques, mais je reste confiante car les memes groupes politiques sont aussi actionnes, dirriges et gouvernes par la Puissance Divine...
    Le dialogue ? avec qui ? l'intelligence n'est pas toujours dans la question, mais dans la reponse...moi aussi, comme toi, j'attends, je crois en l'Homme, mais je crois plus en D.ieu....

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