Dès
la seconde rentrée, je reçus du galon et me retrouvai promû au rang
d'instituteur de campagne, ceux qui font simultanément la classe à plusieurs
niveaux.
La
seconde promotion était aussi d'effectif léger, et on me pria d'avoir ensemble
en classe kitah aleph et beth.
J'aurais
pu me révolter mais ce n'est pas vraiment un mode que j'ai su pratiquer au long
de mon existence, et j'ai au contraire relevé le défi.
Je
mis au point une technique à base de fiches que je fabriquais, utilisais jour
après jour et qui en étaient la colonne vertébrale (je travaillais en
parallèle au quartier général des EIs où j'étais alors responsable national
branche cadette - celle des 8-11 ans - et nous avions à notre disposition
une ronéo, que nous utilisions de toute façon abondamment. Je préparais donc le
soir des feuilles d'exercices, les imprimais le matin et faisais la classe en
système parallèle : tant que j'enseignais aux uns, les autres faisaient les
exercices).
Pour
autant que je me souvienne, ceci concernait la partie hébreu, lecture et
écriture, tandis que je faisais la partie kodech, - celle que je préférais à
l'instar de madame Gordin - aux deux niveaux ensemble.
J'ai
d'excellents - quoique menus - souvenirs de quelques perles ( "moi je
n'ai pas besoin que la Torah me dise de ne pas mentir, je le sais" qui me
reste comme une phrase catégorique autour de laquelle se fit le silence tant
elle était majeure, elle fut probablement la meilleure de
toutes) qui sortirent à l'occasion de ces séances de Torah, qui
étaient de véritables débats animés. Les enfants participaient énormément et il
y avait beaucoup de dialogue autour de l'immensité de sujets qu'offre la Torah.
J'ai aussi le souvenir de débats occasionnés par l'hétérogénéïté de la classe
avec par exemple les familles qui respectaient strictement le shabbat et celles
où on regardait la télévision ce même jour. Il s'agissait alors - pour moi - de
faire se cotoyer et s'accepter mutuellement les uns et les autres. En poste aux
eis, mouvement pluraliste par vocation, j'y enseignais la tolérance aux
animateurs qui eux-mêmes rencontraient la même hétérogėnéïté sur leur terrain
d'activités, tandis que j'étais mis au jour le jour en situation.
Je
crois que ces parties avec les enfants étaient presque exclusivement orales. Je
faisais probablement copier tel ou tel résumé de ci de là , mais ces enfants
n'étaient respectivement qu'en cours préparatoire et en cours élémentaire et
écrire leur était un exercice difficile en soi.
Nous
chantions aussi. J'ai le souvenir de leur avoir enseigné "yeroushalaïm
chel zahav" ce qui m'avait fourni l'occasion d'en apprendre moi-même les
paroles.
Enseigner
ainsi deux classes en parallèle exigeait cependant du temps en préparation, en
correction, et peut-être pour me "dédommager" de cette surcharge, il
y eut quelques après-midis qui ne se passèrent pas à l'école comme on
peut le voir sur ces photos de sorties au parc de Saint Cloud. J'ai aussi le
souvenir de visite aux jardins Albert Khan, les deux à portée de pied depuis la
rue des Abondances, mais je ne saurais pas dire combien de fois - si même
plusieurs fois il y eut - ceci se produisit.
Ces
années furent riches pour moi à de nombreux niveaux. J'ai eu aussi le grand
plaisir de pouvoir entendre/lire que cela avait aussi été le cas pour plusieurs
élèves. J'en suis évidemment heureux, et ému, mais aussi
"interpellé". La question des facteurs qui sont liés à cela
m'accompagne tout au long de ma vie en général, et de ma vie professionnelle,
tant en tant qu'enseignant qu'en tant que psychologue.
En
tant que psychothérapeute je suis sollicité par la question de l'impact de la psychothérapie.
Qu'est-ce qui aide ? Qu'est-ce qui soigne l'âme ? Quel enseignement est majeur
? Formateur ? Quel enseignant laissera plus ou moins d'impact ?
Un
exemple me vient à l'esprit : en tant que psychologue, il m'est arrivé
maintes et maintes fois de devoir non seulement accompagner un patient, mais d'avoir
à estimer la situation mentale et psychologique de tel ou telle. On utilise
pour ce faire une batterie d'outils, dont un tenu pour mesurer l'intelligence.
J'ai eu plusieurs modes relationnels à ce test. J'en appris l'existence au
cours d'études dans une université résolument hostile à la psychométrie où on
m'apprit en premier lieu la méfiance à son égard. La suite de mes études- dans
un autre monde universitaire - impliqua de devoir dominer complètement l'outil
et c'est ce que je fis, laissant de côté pour un temps les questions
idéologiques à son sujet. Ayant ensuite travaillé de très longues années auprès
d'adolescents en situation psychologique très difficile, j'eus l'occasion de me
rendre compte combien ce test ne mesure pas la "vérité vraie" quant à
la capacité intellectuelle, mais seulement au mieux dresse un état des lieux.
Les enfants ont ainsi parfois des résultats complètement différents à peu
d'années d'écart, apparaissant alors comme beaucoup plus intelligents que par
le passé ou le contraire. L’environnement peut influer ainsi sur la situation
de l’individu non du tout au tout mais au moins énormément.
Plus
encore, et c'est lié plus directement à mes souvenirs d'instituteur, j'ai eu
l'occasion de remarquer quelque chose de bien précis, lié à la mémoire. On
mesure la mémoire immédiate entre autres au moyen de répétition de séries de
chiffres. L'examinateur lit une série de chiffres et l'enfant doit répéter
après lui. Si l'examinateur est concentré sur la série de chiffres, l'enfant en
aura un bien meilleur souvenir que si elle lui a été lue tandis que
l'examinateur pense à autre chose, ou encore j'ai pu aussi constater que la
qualité de la rencontre influe aussi sur le résultat, et donc que la note que
recevra l'examiné va varier non du fait de sa propre intelligence, mais du fait
de la situation interpersonnelle !
Autrement
dit, ce que notre esprit enregistre n'est pas uniquement fonction de ce que nos
capacités nous permettent de faire, mais aussi (et dans quelles proportions ?)
des données de la situation, de combien l'interlocuteur est présent, insistant,
concerné, ou "autre" et indifférent dans la même situation, de
combien on est porté vers lui ou au contraire de combien il nous est antipathique.
J'ai
eu une expérience de ce genre en tant qu'élève, en classe de première,
prisonnier de la férule d'une prof. de mathématique, élitiste et sadique, qui
avait réussi à me persuader que j'étais apte à tout sauf aux mathématiques,
dans lesquels j'étais de son appréciation rien moins que nul. Ayant eu le
privilège d'avoir en terminale quelqu'un qui se trouvait à l'extrême opposé,
j'obtins une excellente note en maths au bac, après une année qui m'avait
réconcilié avec la matière, et mieux encore, avec mes capacités.
Et
ainsi la période que je vivais au cours des six années sur lesquelles
j'enseignai à Maïmonide a certainement contribué à l'expérience, à la qualité
de l'enseignement, et à ce que les enfants en retirèrent.
Qui
étais-je à l'âge de 20 ans ?
Les
sorties étaient ma "spécialité" si je peux m'exprimer ainsi, étant au
point culminant de mon exercice de "chef e.i." qui alla de 1971 à
1981. Et ce que je commençai à faire en 1976 était comme une consécration de
cette activité. A l'intérieur du mouvement de jeunesse, je recevais un rôle
éducatif à proprement parler, devenant responsable national de la tranche d'âge
8-11 ans. J'étais donc intimement investi dans l'éducation, dans l'éducation
juive. Comment ne l'aurais-je pas été en tant qu'instituteur ?
De
plus, ces années Maïmo sont celles où je connus ceux dont les enseignements
(pourtant fort différents l'un de l'autre) eurent une influence déterminante
sur ma vie : Manitou et Lévinas.
Je
connus Manitou (Rav Léon Yehouda Ashkenazi pour les non intimes) en février
1976, pendant les dix jours des vacances de février, en participant à un
séminaire de dix jours à Mayanot à Jérusalem. L'impact de ce séminaire fut
majeur : J'en rentrai armé de la décision de poursuivre ma vie en
Israël.
Et
je connus Lévinas dès septembre 1977, étant venu m'installer à Boulogne, et
ayant commencé à suivre ses cours les shabbat matins à l'ENIO.
De
plus, nous nous sommes mariés Marianne et moi, au cœur de cette période et ceci
participa aussi probablement à ce que je faisais passer. Les enfants ne furent
pas conviés au mariage, et je ne me souviens pas avoir pris une semaine de
vacances (comme il aurait été naturel), mais j'eus la surprise les jours
suivants de recevoir en cadeau un dessin (je ne dévoile pas tout) qui contenait
l'annonce qui avait été publiée dans Le Monde. Publiée et donc découverte, et
lue. Le dessin est toujours chez moi.
Dernier
élément de cette carte d'identité de mes vingt ans, nous prîmes la décision de
faire notre alyah. Une alyah que nous fîmes en fait en deux temps...qui
occasionnèrent deux départs de Maïmo, la première fois en juin 1978, la
deuxième fois (la bonne), en juin 1981.
Je
ne pense pas avoir enseigné à mes élèves de 6 ans au début, de 10 ans quatre
ans plus tard, ni les enseignements de Manitou, ni encore moins ceux de
Lévinas, je ne leur ai pas fait d'endoctrinement, ni pluraliste ni sioniste,
mais je suis convaincu que se déroulait en moi à cette époque comme une ébullition
qui, elle, a certainement été ressentie, qui, elle, a certainement eu un rôle
dans l'impact de ces années Maïmo, sur mes élèves et sur moi.
A suivre.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire