Au bout de trois ans, je crus que
s'achevait ce que je ne savais pas encore qu'il conviendrait un jour d'appeler
ma première période d'enseignement.
Nous avions décidé de faire notre alyah et
je me séparai de Maïmonide en fin d'année scolaire 77-78, émotions - et même
cadeaux - à l'appui.
Les choses ne se passèrent cependant pas
comme nous avions prévu et nous nous retrouvâmes début septembre...de nouveau à
Paris, vraisemblablement pour trois ans (nous comptions sur une équivalence
universitaire qui ne fonctionna pas comme espéré).
Je ne sais plus ce qui fit que je ne
retournai pas directement à Maïmo, il n'est pas impossible que je ne me sentais
pas très fier de me re-présenter après être ainsi parti pour ainsi dire en
grandes pompes.
Je retournai donc travailler aux eis, et
commençai à Paris les études de psycho pour lesquelles j'avais été admis en
Israël.
Un an après, je retrouvai Maïmo, ayant
choisi de retourner à l'enseignement plutôt que de continuer à faire de
l'éducation depuis un bureau, et c'est dans la foulée de ce choix que je devins
non plus instituteur de kodesch, mais que je commençai à enseigner les matières
générales, dans le but - qui s'avéra non ainsi atteint - d'être plus "au
centre" de ce que les élèves apprenaient.
Je découvris - avec grand plaisir, en fin
de compte - que ce qui est englobé par l'enseignement "général" met
moins en contact avec les élèves que ce que permet l'enseignement de la Torah.
Il ne s'agit ici nullement d'une
proclamation "militante", mais bien plutôt d'une constatation. Peut
-être la constatation n'a-t-elle aucun caractère universel et provient de ce
que je préfère l'enseignement de la Torah à celui de "nos ancêtres les
gaulois".
Je retrouvai ainsi "mes élèves",
ceux que j'avais eus en kita aleph, kitah beth, et qui étaient à présent en
cm1.
Le décor aussi changeait : à la place de
l'hôtel particulier du 11 rue des Abondances, se trouvait alors un énorme trou
dans lequel allait être construite sur toute l'année à venir ce qui allait être
la nouvelle école.
Nous nous retrouvâmes donc, un beau matin
de septembre, dans une caravane du bout de la même rue, où était logée
provisoirement l'école.
L'école primaire en était alors à sa
cinquième année et les effectifs avaient pris de l'allure : je me retrouvais
face à quelques 25 élèves (j'ai presque honte face à mes collègues du corps
enseignant d'avouer qu'au cours - on devrait même plutôt dire "au
long" - de mes quelques 25 ans cumulés d'enseignement je n'ai jamais eu
plus d'élèves dans aucune de mes classes ! J'ai bien conscience que ceci
pourrait être une des formes les plus concrètes - et discrètes - de ce qu'on
appelle "la Providence individuelle", à supposer qu'elle existe, ce
que j'ai toujours un peu ressenti, au risque de passer pour un ignorant, un
ignorant de Maïmonide en tout cas..paradoxe pour un enseignant de Maïmonide !).
Cette classe était donc composée des
anciens, auxquels s'étaient ajoutés une petite douzaine de nouveaux.
Les données avaient un peu changé : une
classe de 25 enfants de 9-10 ans est différente d'une classe de 15 petits de
6-8 ans, essentiellement par le coffre et la verbalité (si j'ose ce néologisme)
de chacun.
Je voulais encore et toujours que la classe
soit lieu d'échange autant que lieu de transmission et cela imposait plus de
règles.
Je n'ai pas le souvenir que ce sujet en ait
été un. C'est à dire que je ne me souviens pas avoir souffert du chahut, et j'espère
n'avoir fait souffrir personne pour l'éviter - ou le contenir.
La tâche me paraissait plus ardue et exiger
plus de préparations, même si là encore, je n'ai le souvenir d'aucune directive
de programme autre que les livres, qui n'avaient pas été choisis par moi et
dans lesquels je préparai les cours.
Je retrouvai les dictées de mon enfance,
qui étaient le seul souvenir concret de mes années d'école élémentaire, et
j'achetai quelques livres qui me donneraient matière à enseigner un peu de
poésie, matière à "récitations" dont j'avais aussi un léger mais
plutôt agréable souvenir.
Je ne souviens plus où j'avais trouvé le
texte ci-après partiellement reproduit, probablement pas dans un des livres de
classe, mais je suppose que le thème récurrent de cacophonie qui s'y trouve
évoqué, de "tout le monde parle ensemble au point qu'on n'entend plus
rien" et que ceci est encore et encore à combattre, et que le seul moyen
de le combattre est l'intervention violente est ce qui m'avait le plus
interpellé. Je ne jurerais pas que je le validerais encore aujourd'hui,
mais il me parût adapté à une version plus dynamique - parce que collective
entre autres - de la récitation, et je me souviens que nous l'avions mis en
scène. Qui se souvient quel rôle il tenait ?
L'orgue de barbarie
Jacques Prévert
Moi je joue du piano
Disait l'un
Moi je joue du violon
disait l'autre
Moi de la harpe moi du banjo
Moi du violoncelle
Moi du biniou
Moi de la flûte...
Et moi de la crécelle.
Et les uns
et les autres parlaient parlaient
Parlaient
Parlaient de ce qu'ils jouaient.
On n'entendait pas la musique
Tout le monde parlait parlait
Personne ne jouait
Mais dans un coin un homme se taisait
"Et de quel instrument
Jouez-vous monsieur?"
Qui vous taisez et ne dites rien?"
Lui demandèrent les musiciens
Moi je joue de l'orgue de barbarie
Et je joue du couteau aussi
Dit l'homme qui jusqu'ici n'avait
absolument rien dit
Et puis il s'avança
Le couteau à la main
Et il tua tous les musiciens...
Et il joua de l'orgue de barbarie
Et sa musique était si vraie
Et si vivante
Et si jolie
Que la petite fille du maitre de la maison
Sortit de dessous le piano
Où elle s'était couchée
endormie par ennui....
Je ne me souviens pas de tous les rôles
loin s'en faut mais je me souviens très bien de nos séances de répétition.
De façon générale, je revois très
clairement cette classe, je me revois circulant entre les rangs, et je revois
les élèves, jusqu’à presque pouvoir dire aujourd’hui où chacun(e) était assis(e).
J'étais déjà à cette époque comme aimanté
vers celui ou celle qui ne comprend pas, qui reste un peu en arrière, mais en
parallèle en gardant (recherchant ?) le contact et le dialogue avec les têtes
de la classe.
C'est finalement ce qui caractérise encore
aujourd'hui ce qui se passe quand j'enseigne, où le dialogue prédomine et passe
bien avant la didactique elle-même.
Je devais me faire alors violence pour
marquer des temps d'arrêt, et faire copier résumés ou têtes de chapitre, et
c'est une préoccupation dont je suis heureux d'être dispensé depuis que
j'enseigne à des adultes.
Il me reste un assez bon souvenir de cette
gymnastique d'une semaine d'enseignement, au long de laquelle on passe du
français, à l'orthographe, la grammaire, le calcul, l'histoire et la
géographie, et l'instruction civique, mais alors que je pensais que de cette
manière on atteignait plus les élèves et on fait plus leur éducation, je reste
avec l'impression massive que les matières du kodesch rencontrent plus
l'individu et ce qui le meut vraiment, ou comme je le dis plus haut, me
mettent plus en phase avec l'individu, enfant ou adulte.
A moins que, comme cela s’est présenté à
mon esprit suite à un magnifique cours de Daniel Epstein, les sujets de la
Torah ne soient non seulement plus propices à faire surgir des questions mais
surtout qu’il s’agisse de questions qui nous interpellent au cœur de
nous-mêmes. Lévinas ne disait-il pas que ce sont dans la littérature laïque les
textes de Kafka qui sont le plus « bibliques », ils débutent à la
« Berechit bara elokim » et ils interpellent l’individu au plus
profond.
A suivre.
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerJean peux tu me joindre ?
RépondreSupprimerPhilippe Glikman
oismiami@gmail.com
je suis sur la photo de groupe l'avant dernier le petit garcon au blouson bleu marine avec le col :)
Philippe Glikman