mardi 6 août 2019

Voyage aux sources polonaises - 3ème volet


Mercredi 25.7.

Le matin se déroule très rapidement au musée juif, qui requiert au moins le double des trois heures que nous avons à lui consacrer. Il est très intéressant, retrace toute l’histoire du judaïsme polonais, on suit l’exposition dans le sens chronologique, l’accompagnement audio à l’oreille. Le ton est récurrent, constant et rappelle de façon atténuée le message actuel du gouvernement polonais : les juifs ont trouvé en Pologne le paradis. Plusieurs personnages notables, rois ou princes, ou autres nobles leur ont accordé à diverses phases de l’histoire toutes sortes de droits, les ont protégés, leur ont permis de s’institutionnaliser, de se développer, et tout ceci justifie l’interprétation du nom Polania : ici réside la chekhina.
Ce n’est pas à cause des polonais que tout ceci s’est achevé tragiquement, mais à cause de l’église, ou des diverses invasions qu’a subies la Pologne. Les turcs, les russes, les autrichiens et en fin de compte les nazis puis les soviétiques. Tous ceux-là ont, qui envahi et massacré, qui conquis et imposé leur loi, qui restreint les droits qui avaient été donnés aux juifs, et c’est ainsi que furent abolis les droits et même les privilèges dont ont bénéficié les juifs entre 1200, date estimée de leur arrivée, et 1800.

Ce ton est un peu révoltant, même s’il repose sur la réalité historique et géographique de la Pologne, qui a toujours été faible politiquement, en étant installée en étau entre l’ouest et l’est, entre de puissants empires, qui l’ont sans cesse envahie, se la sont partagée et ont causé tous les torts, dont la shoah n’a été que l’apothéose, à cause de la folie hitlérienne.

On n’entend pas de tout ce discours ce avec quoi j’ai été élevé, c’est à dire l’énorme méfiance, teintée de rancune à l’égard des polonais, qui m’a baigné, tant du côté Fliederbaum (Varsovie), que du côté Tauber (Pulawy), mais ce discours était inclus dans le message venant du côté « tata Renée »(Wajnberg) et du côté « Jack Fliderbaum ». Eux gardent de bons sentiments à l’égard de la Pologne, tandis que l’autre côté dit : « si un feu prend à une frontière et ravage toute la Pologne jusqu’à l’autre frontière, je n’appellerai pas les pompiers » (Salomon Fliederbaum).

Nous quittons le musée à la salle des débuts du sionisme ( c'est-à-dire en n'atteignant pas la rue de Varsovie reconstituée…ce dont je reste triste) et il est possible que nous ne complèterons jamais cette visite, au cours de laquelle nous retrouvons le récit de la richesse de Shmul Zabitkouber (Jacubovitch), dont le fils Berek Sonenberg créa le cimetière juif de Varsovie et est l’ancêtre d’Henri Bergson, nous découvrons celui de la trop courte vie de Maurycy Gottlieb, peintre fort narcissique ( inclus en selfie dans grand nombre de ses tableaux, et non uniquement dans l’ultra célèbre du jour de Kippour) mais fort talentueux, surtout quand on réalise qu’il est mort à 23 ans ! et nous rencontrons Suzanna Rogojinsky, notre nouvelle guide et chauffeure, venue nous rencontrer à 13h00 face à la gigantesque sculpture de Nathan Rappaport représentant un regard très soviétiquement inspiré sur le ghetto et sa révolte.





Avec elle nous quittons Varsovie après avoir de façon éclair « complété «  la visite : nous passons devant Mila 18, où est erigé le monument en souvenir de la révolte du ghetto, devant les piles de métal érigées en souvenir du pont de ulica Choldna mais nous ne nous arrêtons pas...et bien nous en prend.

Suzanna est d’un calibre « hors calibre ». Petite nana souriante à la belle chevelure dorée, aux yeux bleus et au grand sourire, elle explique rapidement comment elle sait l’hébreu grâce aux six mois d’oulpan qu’elle fit à Haïfa suite à son alyah...une alyah qui dura six mois, après lesquels elle fuit littéralement Israël à cause de la chaleur (!). Elle est interprète de formation mais essentiellement guide de tioulé shorashim depuis deux ans, monitrice de ski en Italie l’hiver, étant native de Zakopena, et elle pilote de main de maître même dans les rues les plus étroites son Opel vivario de neuf places.

Elle a pris contact avec notre hôte de Pulawy, le prêtre protestant Yaroslav Bator (dont Katarzyna a découvert puis m’a donné les coordonnées) qui nous attend à 16:30 au bord de la rue principale d’accès à Pulawy.


C’est un gros bonhomme au crâne rasé, vêtu de noir, d’une cinquantaine d’années, circulant en scooter, ne parlant que le polonais, et qui fait plutôt fruste. Il est pasteur, mariée à une pasteure, père de quatre enfants, est né à Pulawy...et a un passé de néo-nazi qui s’était même fait tatouer le sigle ss...jusqu’à avoir commencé à lire la Bible et le nouveau testament. Depuis quelques bonnes années, il œuvre à faire connaître l’histoire des juifs de Pulawy (ainsi que de Kurow, d’après sa page facebook, mais il ne sera pas question de Kurow au cours des quatre heures que nous passerons en sa compagnie. D’après le musée, l’histoire du judaïsme est plus courte à Pulawy qu’à Kurow...mais c’est Pulawy notre sujet).




La visite débute au bord de la route, au pied de la toute petite pierre gravée et ornée d’une plaque et d’un Magen David, située au haut d’un monticule fleuri et entretenu (aux frais de la mairie précise-t-il. Cette pierre a été érigée...puis profanée, et est restée en l’état, recouverte de peinture, jusqu’à ce que lui-même vienne la frotter et la restaurer), et alors qu’il nous retrace l’histoire de l’invasion nazie, il confirme ce que les lectures m’avaient appris : les nazis arrivèrent à Pulawy dès début septembre 1939, bombardant et incendiant les deux synagogues en bois encore le 6 du mois, installant le deuxième ghetto en date de toute la Pologne encore au cours de ce même mois. Ce ghetto fut fermé le 28 décembre 39 quand les juifs furent transférés-regroupés dans d’autres ghettos...et l’histoire du judaïsme à Pulawy s’arrête brutalement et définitivement à cette date. Michèle et moi savons par les récits historiques familiaux que la famille n’était pas dans ce ghetto mais qu’ils avaient fui à Baranow, village (très – trop…) proche. Quand tous ceux du ghetto furent conduits à Sobibor, cela incluait aussi ceux qui avaient fui à Baranow et dans peut-être d’autres villages-bourgades environnants. Bator raconte comment ce 28 décembre , il faisait moins 30 et comment les juifs ont été contraints quand même à marcher, ceux qui n’en avaient pas la force étant enfermés dans la synagogue, où ils moururent de froid. Ces récits se trouvent dans le livre « yskor buch Pilow ».

Mais la visite se poursuit. Ou plutôt commence.

De là, il nous montre d’un geste un peu évasif que se trouvaient à proximité la synagogue et le mikveh...mais rien de cela n’est à voir : ces bâtiments ont été détruits et ont été construites d’autres choses à leur place. A ce stade, la situation parait être qu’il n’y a que cette stèle à voir avec les yeux à Pulawy, et que le seul habitant qui conserve le souvenir de la présence juive à Pulawy se trouve face à nous.

Nous marchons cependant, en direction de la Vistule tandis qu’il nous raconte comment dans ce qui est la maison où habitait le rav Mendel Naj (le dernier rabbin de Pulawy), lui et le petit groupe qui l’accompagne dans ces actions vouées au souvenir au judaïsme de Pulawy, ils se sont soudain aperçus de l’existence d’une soucca ! dit-il avec excitation. Nous nous trouvons à ce moment dans une petite rue parallèle à la grand-rue, alors qu’il nous désigne du bras deux immeubles d’habitation récents en disant « ici était la synagogue, ici le mikve » alors que nous ne pouvons rien en voir, mais nous continuons à marcher 20 mètres, et découvrons sur la gauche une vieille maison de briques rouges, d’environ 60 mètres de long, sur deux étages, inhabitée....et dont il nous explique qu’ici vivait le rav Naj.





 A une extrémité, au premier étage, un balcon sur lequel se trouve comme un mahsan en bois et c’est, dit-il, la soucca. Le mahsan ainsi que le balcon sont couverts, la toiture les incluant et les couvrant entièrement, et après quelques secondes d’hésitation, je lui explique qu’une soucca doit être ouverte sur le ciel pour en être une. Il répond que le bâtiment a vécu des jours difficiles, a été d’abord utilisé par les allemands, qui y ont entreposé toutes sortes de choses, une écurie entre autres, il sait ce que je viens de lui répondre sur la soucca, et répond que le toît n’est pas celui qui existait du temps du rav Naj. C’est la première maison, le premier signe tangible que nous découvrons.




Ce sont des signes d'autant plus impressionnants qu'ils sont inattendus. Ces découvertes sont néanmoins impersonnelles, ne nous touchent qu'indirectement : ma grand-mère, le père de Michèle ont quitté Pulawy bien avant ces évènements..

Nous revenons en direction de la grand-route, et il nous montre sur le trottoir d’en face deux maisons dont il dit qu’elles étaient des maisons juives, tandis que nous continuons à deviser et que je crois constater que j’en connais un peu plus que lui sur l’histoire du judaïsme de Pulawy : lui connait surtout la tragédie (à cause des allemands - encore une fois) de la seconde guerre mondiale. Il semble n’avoir pas conscience de la différence entre hassidim et mitnagdim, et ne sait pas que le judaïsme de Pulawy avait d’abord deux versants (mitnagdim venus de Lithuanie en fin dix-huitième siècle, puis hassidim fin dix-neuvième) puis plusieurs encore (toute la gamme de la haskala et des mouvements d’inspiration sioniste). Voici ce que je crois savoir : Le rav Naj était le rav officiel de la ville, et en parallèle de sa communauté s’est installé en 1895 le rebbe Haïm Israël Morgenstern, petit fils du Menahem Mendel Morgenstern, « saraf miKotzk » et premier Kotzker Rebbe. Avec son installation à Pulawy, se créa la hassidout Pilev (nom yiddish pour Pulawy), qui attira de nombreux juifs (et en particulier Yankeleh Tauber, père de Israël, qui passa pour cela de Szydlowiecz à Pulawy) et avec elle se développa non seulement la présence juive mais aussi l’importance socio-économique de toute la bourgade. Ce rebbe est l’auteur du « shalom Yeroushalaïm », premier livre hassidique sioniste avant le « em habanim semekha » et dans lequel il prône l’achat de terres et l’installation des juifs en Palestine. A sa mort en 1906, lui succéda le Moshe Mordekhaï Morgenstern, son fils, deuxième admor de la hassidout Pilev...qui quitta Pulawy en 1914 pour Varsovie, vraisemblablement du fait de la guerre, pour finir ses jours en 1939 et être enterré au cimetière juif de Varsovie, là où nous vîmes hier sa tombe, son ohel. 

A ce stade de la visite, nous ignorons encore que nous attend bien mieux..

1 commentaire:

  1. Super de pouvoir lire l'histoire en faisant ce tyoul ... ça me parle complètement; j'attends la suite :)
    Dan

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